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Assise, point d'orgue

C'est l'article de Massimo Introvigne, écrit après le discours prononcé vendredi au Vatican par le Saint-Père, devant les participants (31/10/2011)

J'ai commencé une rubrique "Assise" le 1er janvier, au moment où le Saint-Père lui-même annonçait l'évènement, lors de l'Angelus: http://benoit-et-moi.fr/2011-I/
A l'époque, j'essayais de comprendre le "pourquoi" et de trouver des arguments à opposer à ceux qui critiquaient pour ce qui me semblait être de mauvaises raisons.
La rubrique s'est poursuivi dans ces pages: Assise
Je m'attendais à ce qu'elle soit très nourrie après, mais la banalité des commentaires a fait que je n'ai presque rien trouvé d'intéressant en français, et rien non plus qui me donne envie de le traduire, dans ce que j'ai lu en italien (mais je suis évidemment loin d'avoir tout lu).

Voici donc le bel article de Massimo Introvigne, sorte de point d'orgue à ma rubrique.
Texte original: www.labussolaquotidiana.it.
Ma traduction .

Assise. Il y en qui n'ont toujours pas compris
Massimo Introvigne
31/10/2011
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Recevant au Vatican les participants à la rencontre d'Assise (ndt: en anglais sur le site du Vatican; Résumé très détaillé sur Zenit en français), le Pape, le 28 Octobre, a encore eu l'occasion de clarifier la signification de l'événement.
A en croire les vaticanistes, Benoît XVI lit quotidiennement une revue de presse, et s'il l'a fait après Assise, il doit avoir été plutôt déprimé. Il y a beaucoup d'exceptions louables, mais un certain type de presse - faisant partie d'un circuit où tout le monde connaît tout le monde, de la «Repubblica» au «New York Times» - a souligné presque exclusivement la «honte» exprimée par le Pape pour la contribution que les chrétiens eux aussi ont parfois apportée dans l'histoire à l'usage de la violence justifiée par la religion. Il est normal que les journalistes laïcs ne connaissent pas la différence, dans la doctrine sociale de l'Église, entre la force dont en certaines circonstances, il est légitime, et même juste pour les chrétiens de faire usage, et la violence, qui est par définition l'usage déraisonnable ou disproportionné de la force, et comme tel, est un péché.

Mais il n'y pas de bonne foi là où échappe le contexte du discours, qui appartient au genre littéraire de l'intervention à Ratisbonne, le 12 Septembre 2006, du récent discours devant le Parlement fédéral allemand et de l'encyclique de 2007 «Spe salvi». Il y a un fil conducteur qui lie ces interventions du Pape.

Le monde est menacé par la violence, comme on le sait des horreurs du XXe siècle et de la sonnette d'alarme du 11 Septembre 2001. Cette violence est perpétrée au nom de religions et d'idéologies inconciliables entre elles. Rechercher un fond commun entre des religions et des philosophies incompatibles peut conduire à organiser des manifestations et des congrès qui dans le pire des cas alimentent le syncrétisme et le relativisme, et dans le meilleur, sont de purs exercices intellectuels, parce que ces visions du monde suivent des lignes parallèles qui, même prolongées jusqu'à l'infini, ne se rencontrent jamais.

Reprenant la grande leçon de l'encyclique Fides et Ratio du bienheureux Jean-Paul II, selon laquelle la personne et la société sont comme des avions, avec deux ailes, la foi et la raison, et ne peuvent voler que si les deux ailes sont équilibrées - autrement, ils s'écrasent - Benoît XVI a toujours condamné l'intégrisme (ndt: le mot utilisé en italien est "fondamentalismo"), c'est-à-dire l'hypertrophie de l'aile de la foi au détriment de l'aile de la raison. En même temps, il a condamné le laïcisme, c'est-à-dire l'hypertrophie de l'aile de la raison - qui corrompt cette même raison, la transformant en relativisme - au détriment de l'aile de la foi. Peu importe quelle aile est hypertrophique. Avec une aile très grande, et une autre rachitique, l'avion s'écrase.
De fait - a répété le Pape à Assise - même si des événements tragiques comme le 11 Septembre ont attiré l'attention sur le danger de l'intégrisme, nous ne pouvons pas oublier que le laïcisme et les idéologies anti-religieuses ont laissé au XXe siècle une traînée de morts que le Pape a appelé «sans mesure» par rapport à toute autre source de violence, y compris l'intégrisme. Il est donc juste d'avoir «honte» de l'intégrisme, une tentation qui peut attaquer, et attaque effectivement toutes les religions, y compris le christianisme, mais sans jamais négliger le fait que le laïcisme et les idéologies anti-religieuses, du simple point de vue de la quantité de violence produite, sont « sans mesure» avec tout autre phénomène.

A quoi donc sert Assise? Même un partie de la presse non anti-cléricale s'est limitée à répéter des platitudes, copiant et collant à partir de vieux comptes-rendus de l'événement organisé à Assise par le bienheureux Jean-Paul II vingt-cinq ans plus tôt, dans un monde très différent d'aujourd'hui. Benoît XVI a voulu le répéter encore une fois dans l'audience de vendredi aux participants: il est allé à Assise, pour trouver des règles communes sur «la justice et la paix», inspirées par la «vérité» c'est-à-dire par la raison, règles dont le but est «le bien commun de la famille humaine».

C'est pourquoi à Assise il n'y a pas eu, à proprement parler, de prière commune. Benoît XVI a toujours été sceptique sur les prières communes universelles et les tentatives de faire se rencontrer des parallèles qui ne peuvent pas se rencontrer, ou de promouvoir un dialogue interreligieux au rabais, à la recherche du plus petit dénominateur commun entre les religions. Non seulement le Pape n'a promu rien de tout cela, mais ce sont des thèmes qu'il n'a même pas mentionnés. Il a évoqué en revanche la raison, le bien commun, la vérité.

La raison est commune à tous - chrétiens, musulmans, bouddhistes - et elle est la seul «grammaire commune» - l'expression est du Pape - qui puisse fixer les règles du jeu. Si chacun argumente à partir de son écriture sacrée ou de sa philosophie, on n'arrivera jamais à des règles communes. Si tous argumentent à partir de la raison, il se peut qu'on arrive à quelque résultat. Si au contraire on n'arrive pas à des règles partagées, inévitablement, la violence prévaudra.

La raison, bien entendu, est aussi commune aux non-croyants. De ce point de vue, l'invitation à des non-croyants referme le cercle et montre aussi à ceux qui ne veulent pas le voir qu'à Assise, on a recherché les règles communes sur la base de la raison et non de la foi ou d'une «super-foi» syncrétique, car la foi, les non-croyants ne l'ont pas.
Mais dans son discours de vendredi, le Pape a ajouté des qualificatifs: ont été invités les croyants «de bonne volonté» et prêts à «s'engager dans la recherche de la vérité». Si le Pape se sert de ces adjectifs, cela signifie que tous les non-croyants ne peuvent pas s'asseoir effectivement à la table de la raison pour fixer les règles du jeu communes. Ils doivent être «bonne volonté» , c'est-à-dire de bonne foi et capables d'un usage de la raison qui n'est pas faussé par l'idéologie. Et il faut qu'ils «s'engagent» dans la «recherche de la vérité», ce qui implique qu'ils croient que la vérité existe, et exclut les relativistes.

Naturellement, ceux qui sont parfois appelés «nouveaux athées» sont nombreux, mais ils ne sont pas organisés, et j'imagine qu'identifier qui parlerait en leur nom n'a pas été facile (Ndt: ce fut la tâche du cardinal Ravasi). Certains choix (Ndt: Julia Kristeva? Je n'ai malheureusement pas trouvé le texte de son discours en français, mais Raffaella a archivé la version en italien reproduite sur l'OR ... Je n'ai pas trop envie de traduire) peuvent être discutés, mais il n'était pas prévu d'inviter par exemple un Giuliano Ferrara en le considérant comme étant un représentant typique des «nouveaux athées». Malheureusement, la plupart des «nouveaux athées» ne sont pas comme Ferrara, ils ne sont pas d'accord avec le Pape sur l'avortement ou sur d'autres principes non négociable, et même quand ils ne sont pas relativistes, ils sont très confus sur les problèmes concrets. Si on avait seulement invité Ferrara, non pas comme intellectuel, mais en prétendant qu'il représentait d'une certaine façon les «nouveaux athées», on aurait renouvelé l'erreur de ceux qui avaient fait appel à Magdi Allam, avant sa conversion, pour une confrontation avec le monde islamique, non pas comme expert - le choix aurait été excellent - mais en pensant qu'il représentait les musulmans, lesquels non seulement ne le suivaient pas mais souvent le poursuivaient, et avec des intentions hostiles.

Lors de l'audience de vendredi, Benoît XVI a voulu souligner deux autres points, avec un oeil sur des malentendus survenus avant, pendant et après Assise 2011, davantage à l'intérieur qu'en dehors du monde catholique.
Le premier est que le contexte très différent entre Assise 2011 et Assise 1986, ne comporte aucun désaveu du bienheureux Jean-Paul II et d'un événement qui pourtant, comme Benoît XVI l'a noté dans sa lettre du 2 Septembre 2006, qui en rappelait le vingtième anniversaire, s'était exposé, par ses modalités de déroulement à des «confusions inopportunes» et à de faciles interprétations syncrétiques et relativistes. Au contraire, le Pape a exhorté à apprécier la «clairvoyance» du bienheureux Jean-Paul II en organisant Assise 1986, advenu dans un contexte de graves et même apocalyptiques menaces à la paix - le dernier soubresaut, nous le savons maintenant, mais ne le savions pas alors du communisme soviétique avant la chute - face auxquelles un tel geste fort, même ouvert au risque de mauvaise interprétation, assumait en effet un caractère «prémonitoire», c'est-à-dire prophétique dans le sens étymologique du terme.

Le deuxième commentaire du Pape concerne le fait que ces événements sont «nécessairement exceptionnels et non fréquents». S'ils deviennent la routine, l'ancrage dans la raison ne peut plus émerger et il devient impossible d'arrêter l'interprétation relativiste.

C'est précisément la position du Pape Léon XIII (1810-1903) quand, avec le Parlement mondial des religions à Chicago en 1893, on commença à organiser des réunions interreligieuses de ce genre. Il y a une sorte de «fausse mémoire» très répandue, qui a refait surface parmi les détracteurs d'Assise 2011, selon laquelle l'Eglise catholique n'a pas participé à Chicago 1893, et condamné à l'événement. Je suis en possession des actes officiels de Chicago 1893 et je suis familier avec la littérature la plus scientifique qui fait autorité sur le sujet, qui montre très clairement que les catholiques, y compris les évêques, ont été parmi les organisateurs et les conférenciers de l'événement, gardant le Saint-Siège constamment informé. Le Parlement de Chicago ne s'est pas ouvert par une prière commune, mais avec la récitation du Notre-Père par le seul Cardinal catholique James Gibbons (1834-1921). Comme événement, dirait Benoît XVI, «exceptionnel et peu fréquent», le Parlement des Religions à Chicago pouvait avoir le rôle de promouvoir la coexistence pacifique aux Etats-Unis et ailleurs, de communautés religieuses que le colonialisme et l'immigration avaient amenées à vivre à proximité les unes des autres .

Ce fut en revanche lorsque des événements similaires à celui de Chicago commencèrent à se répéter de façon à dire vrai lassante, devenant une routine, et plus «exceptionnelle et non fréquente», que Léon XIII intervint pour interdire la participation des catholiques avec une lettre apostolique du 18 Septembre 1895, à un moment où l'objet de débat entre les évêques américains était de savoir si on devait ou non participer à une nouvelle conférence interreligieuse à Buffalo. Bien qu'il existe encore des gens qui considèrent la lettre de Léon XIII, qui parle de «tolérance» et de «silence prudent» à propos des épisodes précédents, comme un désaveu posthume de Chicago 1893, déjà en 1970 un travail d'archives appronfondi de James F. Cleary avait montré que la participation au Parlement mondial par l'Eglise catholique n'avait pas été décidée à la légère, mais seulement après avoir recueilli l'avis de la majorité des évêques américains et en tenant constamment informé le Secrétaire d'Etat, dont les contacts avec le Pape étaient quotidiens, de sorte qu'il aurait suffi d'un signe dde Léon XIII pour bloquer l'initiative.
Si on veut co-exister sur la base de la raison, sans laisser le dernier mot à la violence, des événements tels que Chicago ou Assise - certes dans des contextes historiques très différents - sont au moins potentiellement utiles. Qu'ensuite, ils soient utiles dans la pratique dépend de nombreux facteurs, pas tous contrôlables par l'Église, parmi lesquels la perception et la possible manipulation de l'événement par les médias, un problème déjà apparu à Chicago en 1893.

Mais il n'y a pas beaucoup d'autres tables dans le monde où des personnes qui pensent de façon différente, et inconciliable, sur les questions de foi peuvent être convoquées ensemble sur la base de la raison commune. Et il n'y a pas d'autre autorité que l'Église catholique et le Pape en mesure de garantir le sérieux et la véritable universalité de ces tables. La recherche de règles communes fondées sur l'idée que les hommes ont une nature commune que la raison peut connaître, est en soi l'opposé du relativisme. Plutôt, le relativisme naît quand, au lieu de regarder les résultats possibles, on regarde la recherche, et certains professionnels du dialogue tentés par le syncrétisme s'entichent de la recherche pour la recherche comme il y a un art pour l'art. Mais le Pape enseigne exactement le contraire.

Une interviewe du card. Ratzinger à TSR, en 1988 Regard sur Assise