Articles La voix du Pape Livres, DVD Sites reliés Recherche Saint-Siège
Page d'accueil Articles

Articles


Noël Les collages de Gloria Bénin Blasphème au théâtre Indignés Assise Allemagne (suite) 2011: L'Année Benoît

Castelucci à Paris, la bataille du théâtre

Le commentaire mi-figue mi-raisin de Massimo Introvigne (5/11/2011)

L'illustration ci-contre est celle de la Bussola.

Massimo Intovigne passe au crible de sa raison les manifestations de protestation entourant la pièce de Castellucci (1).

Carlota m'a demandé: que disent les italiens?
Eh bien, jusqu'ici, à part l'excellent article de Marco Tosatti, traduit ici (Blasphème français vu d'Italie ) pas grand chose: sans doute sont-ils blasés, ils ont vu pire chez eux!
J'étais donc curieuse de voir si Massimo Introvigne en parlerait, et si oui, en quels termes.
Il est inclassable, dans ma rubrique "les pour/ les contre" (cf. Blasphème ). Normal. Elle était sans doute réductrice.
Très franchement, son analyse me laisse par moments perplexe (comme quoi personne n'est parfait), et, disons, un peu déçue. Mais comme elle se situe sur le plan sociologique, politique, voire historique, et pas du tout sur le plan spirituel et philosophique (comme l'approche, par exemple, de l'Abbé de Touarn), elle ne contredit pas d'autres que j'ai appréciées, et n'apporte pas non plus d'eau au moulin des réactions les plus exaspérantes .
Bref, il renvoie tout le monde dos à dos.

Pour résumer, il désapprouve évidemment l'offense faite aux catholiques - mais une offense qu'il déclasse au rang de simple manifestation de mauvaise éducation!
Surtout, il se démarque clairement des organisateurs, selon lui des groupes qu'il qualifie de marginaux (peut-être faut-il chercher son antipathie dans l'idée qu'il défend de Jean Ousset - cf. Pour qu'Il règne - contre celle de Civitas... je peux me tromper): "Combattre la christianophobie - écrit-il - est un problème trop sérieux pour en laisser la bannière à ce micro-monde, ultra minoritaire sur les plans de la religion et de la politique".
La deuxième partie de son argumentation est plus intéressante: à la question "faut-il interdire de telles représentations", sa réponse est "le remède risque d'être pire que le mal" (il parle de boomerang).
Au final, il partage l'opinion de De Gaulle qui avait dit, il me semble: "on ne peut pas revenir au temps de la marine à voile". Le monde ancien a disparu, et c'est dans ce monde-ci que nous vivons, même s'il ne nous plaît pas.
C'est pourquoi, même perplexe, il ne condamne pas la réserve prudente des évêques de France.
Texte ici: www.labussolaquotidiana.it .
Ma traduction.

Castellucci à Paris, la bataille du théâtre
Massimo Introvigne
11/05/2011
----------------

Que se passe-t-il à Paris? Le Théâtre de la Ville est pris d'assaut par des centaines de militants, protestant contre la scène finale de la pièce (en français dans le texte) de théâtre de la compagnie italienne Societas Raffaello Sanzio, de Cesena, Sur le concept du visage du Fils de Dieu, mise en scène par l'ancien directeur de la Biennale Teatro (ndt : de Venise; cité par ce site dédié à l'Art contemporain, à la page d'accueil très éloquente!) Romeo Castellucci. Le spectacle est centré sur la déchéance de la vieillesse représentée de façon très explicite par l'incontinence qui empêche les viellards de contenir leurs excréments. Et à la fin, une photo géante du célèbre portrait de Jésus-Christ par Antonello da Messina, située derrière les protagonistes, est aspergée par un liquide noirâtre qui veut donner l'impression des excréments.

Ce n'est pas la première fois que de tels incidents se produisent. Le 17 avril de cette année une manifestation similaire a presque détruit à Avignon une oeuvre contestée aussi aux Etats-Unis et en Australie, Piss Christ, photographie «artistique» de 1987 par l'Américain Andres Serrano, représentant un crucifix immergé dans un verre qui contient l'urine de l'artiste. Et on annonce pour bientôt à Paris le spectacle Golgota Picnic du dramaturge espagnol né en Argentine, Rodrigo Garcia, où Jésus ne multiplie pas les pains, mais les hamburgers tandis qu'un pianiste joue totalement nu. Enfin, les mêmes organisateurs des protestation contre les oeuvres annoncent des actions contre une énième reprise de la pièce Le Vicaire sur le Vénérable Pie XII.

Evacuons tout de suite le cas du Vicaire, parce qu'il s'agit d'une affaire différente des autres. Cette pièce de Rolf Hochhuth, présenté en 1963 en Allemagne avec un grand lancement de propagande et de presse, accuse le vénérable Pie XII de complicité avec Hitler. Les documents issus des archives soviétiques et le témoignage du général Ion Mihai Pacepa, ancien chef des services secrets de la Roumanie communiste et personnellement impliqué dans l'opération, permettent de conclure aujourd'hui sans la moindre possibilité de doute que la pièce de Hocchuth a été commandée à l'auteur allemand par le KGB, en la personne du général Ivan Ivanovitch Agayants (1911-1968), chef du département D (Désinformation) du contre-espionnage soviétique. Agayants collabora personnellement à la rédaction du texte signé par Hocchuth, qui était - et reste - si peu ami du peuple juif qu'il s'est fait connaître en 2005 comme soutien public et partisan des thèses qui nient la réalité historique de l'Holocauste, de l'auteur britannique David Irving. L'objectif du KGB était de discréditer le magistère anti-communiste du Vénérable Pie XII et de conditionner le Concile Vatican II, empêchant en particulier une condamnation publique du communisme. Sur ce point, nous pouvons dire que le KGB a rencontré un succès, mais les raisons de l'absence de condamnation ne se sont certainement pas limitées à la pièce d'Hocchuth, et il n'y a pas de preuve que celle-ci ait effectivement joué un rôle important. Quoi qu'il en soit, reproposer aujourd'hui un produit de l'espionnage soviétique, surtout sans expliquer exactement ce qu'il est, est une falsification flagrante de l'histoire, et la protestation est plus que justifiée.

Mais qu'en est-il des autres cas?
Le schéma est toujours le même : certaines personnes protestent contre l'insulte au christianisme, et les artistes s'empressent d'expliquer que leur intention n'était pas d'offenser Jésus-Christ, mais que la provocation voulait plutôt inviter à réfléchir sur la façon dont notre société matérialiste a rejeté le christianisme. Parfois, l'explication est manifestement incroyable, compte tenu de l'histoire de l'artiste impliqué. Dans d'autres cas, il peut rester un doute. Mais les doutes concernent tout au plus la subjectivité de l'artiste. Objectivement, il s'agit d'une provocation et d'une insulte aux chrétiens: quelque chose qui, s'il s'adressait à d'autres religions, ne serait pas toléré, et si c'était les musulmans, nécessiterait l'intervention non pas de commentateurs érudits débattant sur les limites de la tolérance, mais d'équipes de déminage. Comme l'a écrit le sociologue Philip Jenkins, offenser les chrétiens est la seule forme d'intolérance que nos sociétés postmodernes se font un devoir de tolérer.

Par conséquent, un fois exprimé sa désapprobation pour l'offense, le mauvais goût et les simples mauvaises manières - qu'une application du vieux dicton «il ne faut pas mêler le sacré au profane» (littéralement: «plaisante avec les soldats et laisse les saints tranquilles» - scherza coi fanti e lascia stare i santi) aurait évité - restent sur la table deux questions très délicates.

La première est de savoir si la protestation - qui a pris des formes à la limite de la violence, et certainement illégales du point de vue du droit français en vigueur - doit être soutenue de manière inconditionnelle. En effet, si par exemple, aux Etats-Unis et en Australie, les évêques s'étaient mobilisés contre Piss Christ, en France, les autorités de l'Église et les mouvements catholiques (même ceux pas vraiment progressistes) ont été très réservés dans l'affaire du Théâtre de la Ville. Ils l'ont sans doute été à cause de ceux qui ont organisé et accaparé la protestation: côté religieux, des éléments du monde qui gravite autour de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X - en particulier l'Institut Civitas, qui rassemble ceux parmi les adeptes du penseur contre-révolutionnaire Jean Ousset qui ont fait un choix "lefebvriste", que par ailleurs le même Ousset avait toujours refusé - et côté politique des groupes monarchistes et nationalistes qui refusent le tournant en quelque sorte "laïc" de la candidate à la présidence de la République française pour le Front national, Marine Le Pen, et se situent à sa droite.
La question du Théâtre de la Ville est ainsi devenu un prétexte pour les questions politiques et ecclésiales qui agitent l'Eglise catholique et le monde de la droite française, et qui, finalement, ont peu à voir avec la pièce. Combattre la christianophobie est un problème trop sérieux pour en laisser la bannière à ce micro-monde, ultra minoritaire sur les plans de la religion et de la politique.

Mais cela appelle un second problème: ces spectacles doivent-ils être interdits? La question est pertinente: en Australie, le cardinal George Pell lui-même a demandé à la Cour suprême de l'Etat de Victoria - mais n'a pas obtenu - une injonction pour empêcher l'exposition de Piss Christ . Il faut cependant, considérer toutes les implications juridiques de cette problématique - dont nous avons discuté sur La Bussola, à propos de la censure sur Internet.
Un des aspect les plus étonnants de l'affaire du Théâtre de la Ville, c'est la solidarité que les blogueurs musulmans proches du fondamentalistes ont offerte aux manifestants catholiques, non seulement parce que l'islam considère Jésus comme un prophète, mais parce que leurs conceptions légales prévoient que toutes les manifestations irrespectueuses envers les prophètes soient interdites par la loi, comme le confirme le cas bien connu des caricatures danoises.

Et c'est là que réside le problème. Il y a dans les manifestations à Paris une nostalgie, que l'on peut aussi apprécier, d'une vieille France qui se reconnaissait chrétienne. Mais cette France-là n'existe plus. Aujourd'hui, la loi ne protège pas le christianisme en tant que tel, mais les groupes sociaux qui ont droit, dans certaines limites, à ne pas être insultés publiquement. Ces groupes sociaux - du point de vue de la très délicate législation sur les «crimes de haine» et l'intolérance - sont tous également protégés: chrétiens, musulmans, homosexuels (ndt: je ne suis pas sûre que ce soit le cas dans les faits, M. Introvigne en donne d'ailleurs les raisons plus bas [*]). Les chrétiens eux-mêmes réclament souvent des règles qui censurent ou punissent le «langage de haine», la diffamation et les offenses réelles qui affectent l'Eglise et la figure-même de Jésus-Christ. Dans le même temps, certains chrétiens sont parfois victimes des règles qui censurent un présumé «discours de haine» contre les homosexuels et l'islam. Si on demande - comme le font certains libertaires, y compris catholiques - que la loi n'interdise rien, au nom de la liberté d'expression, alors les insultes à l'Église vont aussi proliférer et les images sacrées seront recouvertes d'excréments. Si au contraire on réclame plus de censure, le risque est que les juges arrêtent les groupes pro-vie et les chrétiens opposés au mariage gay, bien avant de restreindre les activités de tous les Serrano et Castellucci de la terre, parce que beaucoup d'entre eux se sentent plus proches de l'idéologie du genre et de l'avortement - ou en ont plus peur - que des chrétiens (*). Et cela vaut en France, en Italie et dans plein d'autres pays.

Soyons clairs: ce n'est pas une situation idéale, ce n'est pas l'Europe que nous aimons et voulons. Nous préférerions une Europe qui, comme le demandait le Bienheureux Jean Paul II, reconnaisse explicitement - et donc, logiquement, protége - ses racines chrétiennes. Mais, tandis que nous travaillons à la changer, nous ne pouvons que nous mouvoir au sein du cadre juridique actuel et des rapports de force médiatiques et culturels existant.

Dans ce cadre, tout en restant perplexe, je ne me sens pas de condamner la position prudente de la hiérarchie française ecclésiastique.
On peut certes pécher par excès de prudence. Mais aussi, le ton trop haut, sans parler des gestes violents et du fait de confier la direction de la protestation à des groupes marginaux qui ont sur d'autres questions des positions qui sont incompatibles avec le Magistère (ndt: là, il devrait préciser, parle-t-il des jusqu'auboutistes de la FSSPX?), risquent parfois de se transformer en un boomerang.

(1) Tous les articles sur ce sujet ici: Blasphème au théâtre

Bénin, premier jour Blasphème français vu d'Italie