Art contemporain et art sacré

Une réflexion de Steen Heidemann, auteur du livre "Le prêtre, image du Christ" (11/8/2012)

Nino Pasionista

Aristide Artal

J'ai trouvé ce texte, grâce à Raffaella, sur le site du diocèse suburbicaire de Porto Santa-Ruffina (nous avons déjà rencontré les "diocèses suburbicaires" à l'occasion de la récente visite du saint-Père à Frascati). Pour l'anecdote, l'actuel titulaire de ce diocèse est le cardinal Etchegarray.
Le texte en italien est ici: www.diocesiportosantarufina.it/
Il renvoie par un lien au texte original en anglais (www.sacredarchitecture.org), très long mais passionnant, que j'ai traduit, car le thème de l'art sacré me tient particulièrement à coeur, et a été à de multiples reprises abordé dans ces pages, notamment à l'occasion de la rencontre de Benoît XVI avec les artistes, en novembre 2009 (benoit-et-moi.fr/2009).
J'ai repris les illustrations de l'article en anglais.

>> Sur le rapport entre l'art et la foi: Michel-Ange, artiste théologien
>> Nombreux articles également sur l'art contemporain: moteur de recherche interne Google.

Enfin, la traduction récente de l'article Joseph Ratzinger et le mystère du Samedi Saint , où j'apprenais que le théologien Ratzinger avait accepté de préfacer un livre d'art consacré à l'oeuvre - pour moi très discutable - de William Congdom oblige à une lecture nuancée de l'article qui suit.

L'auteur de l'article, Steen Heidemann (1), a dirigé la publication d'un album d'art d'une beauté à couper le souffle, dont le titre original est The Catholic Priest: Image of Christ Seen through Twenty Centuries of Art, traduit en français sous le titre "Le Prêtre image du Christ à travers quinze siècles d'art", et publié aux éditions de l'Oeuvre (http://www.oeuvre-editions.fr/Le-Pretre-image-du-Christ) ).
Je l'avais commandé il y a une paire d'années, et étais persuadée d'en avoir parlé... mais il semble que ce ne soit pas le cas.
Il est raisonnablement cher, pour un livre d'art, surtout une publication de cette qualité, et les images sont presque toutes sublimes.

 

Art sacré d'aujourd'hui: est-ce de l'art et est-il sacré?
par Steen Heidemann
(Texte original en anglais, ma traduction)

Né au Danemark dans les années 1950, j'ai grandi dans la société des années 1960, entouré de tous les clichés de l'athéisme libéral qui ont abouti à mon expérience de vide spirituel. Ce vide n'a pas été rempli jusqu'à ce que je me convertisse à la foi catholique de nombreuses années plus tard, à la cathédrale de Westminster à Londres. Travaillant dans le domaine des arts et ayant été profondément impliqué dans la mise en scène d'une grande exposition sur les jésuites et le baroque, j'en suis venu à réaliser l'importance de l'image sacrée dans la proclamation de la foi, si vitale aujourd'hui, surtout en l'absence de recherche intellectuelle et de lecture chez les jeunes.

Passant du XVIIe siècle à notre époque historique, je me suis aperçu que nous sommes maintenant confrontés à ce qu'on appelle un art catholique qui le plus souvent traite de ce que le Christ n'est pas, plutôt que de ce qu'il est. Il s'agit d'une forme d'art (si l'on peut appeler cela «art») où, souvent, le tragique, l'absurde, et le rejet du vrai Christ deviennent une nouvelle et perverse trinité. C'est devenu une pseudo-religion en elle-même, dans laquelle l'"artiste" athée, humanitariste, a été élevé au rôle de prêtre dogmatique.

Comme une réponse à la récente crise des vocations, j'ai commencé, avec le soutien de plusieurs prêtres, à utiliser mes connaissances artistiques pour créer un livre, qui sera publié en plusieurs langues, intitulé "Le prêtre catholique: Image du Christ Vu à travers vingt siècles d'art". Grâce à 550 œuvres d'art de toutes les périodes depuis l'époque des catacombes, ce livre cherche à expliquer le sacerdoce à travers l'image visuelle, avec l'espoir d'attirer des vocations au plus important et au plus beau des ministères. Inutile de le dire, le dilemme s'est vite posé quant aux œuvres d'art devant être incluses pour représenter notre propre époque.

1.

[Étude pour la station VI de la Via Dolorosa par James Langley, Etats-Unis. Série commandée par l'Eglise catholique Saint-Paul à Pensacola, en Floride, et installé en Février 2009].

Pour comprendre pourquoi la grande majorité de l'art catholique au cours du demi-siècle écoulé a été un échec monumental, il faut comprendre non seulement comment la société a évolué, mais aussi comment ce changement s'est traduit dans ce qu'on appelle «l'art contemporain». Deux études récentes qui traitent de cette question sont les livre de Christine Sourgins «Les Mirages de l'Art contemporain» (La Table Ronde, Paris 2005) et d'Aude de Kerros «L'Art caché» (Eyrolles, Paris 2007). Ce dernier fournit une bonne description de la façon dont l'art contemporain a émergé et s'est développé:

Le mouvement dominant aujourd'hui est l'art conceptuel, qui se nomme lui-même «contemporain». Ce n'est pas une forme d'art au sens traditionnel du mot, mais une idéologie basée sur la déclaration faite par l'artiste lui-même que «c'est de l'art», entièrement confirmé et approuvé par l'"établissement". Il a été baptisé «art contemporain», fruit de l'arbitraire, et ne prétend pas avoir un caractère essentiel ou véridique. Toutefois, cette infinie diversité exclut un élément spécifique: l'art. L'art contemporain est fortement fondé sur l'interdiction de plusieurs éléments clés: l'usage des mains pour moduler et transformer des matériaux, avec son résultat métamorphique positif; l'articulation de la forme et du sens dans une unité organique; la beauté et sa manifestation mystérieuse: l'«aura», la gloire de la sensibilité. La plupart des gens croient toujours qu'ils sont dans le prolongement de l'«avant-garde» de l'art moderne et n'ont pas perçu la réalité de la situation.

2.

[Ordinatio par Neilson Carlin, USA, 2008. Commande pour le livre "Le prêtre catholique" par Steen Heidemann]

En France, mais à des degrés divers ailleurs aussi, l'art contemporain est devenu la forme d'expression officielle et la seule acceptable . Cela est vrai dans la sphère profane aussi bien que dans la sphère catholique. Cet «art» fait partie d'un mécanisme commercial dans lequel les opinions souvent mal informées et politiquement correctes des bureaucrates du gouvernement déterminent l'allocation des fonds pour l'achat d'œuvres d'art estimées par des intellectuels et des critiques d'art à la mode, des investisseurs nouveaux riches ignorants et dans le vent, principalement anglo-saxons, des galeries d'art mondialistes. Il s'agit d'un système totalitaire, où l'art est devenu un produit financier de plus avec lequel on peut spéculer. Le concept de l'art ne servant à rien d'autre qu'à lui-même était né. Il n'y a pas de transmission de la connaissance, pas de reconnaissance du passé, et il n'y a certainement rien à apprendre pour l'étudiant en art, étant donné le risque perçu que l'apprentissage pourrait «dé-naturer» son talent spontané. L'art contemporain est un vide culturel, mais quiconque oserait en parler - comme la petite fille dans l'histoire des habits neufs de l'empereur qui a réalisé que l'empereur était nu -serait ignoré ou considéré comme un ignorant. Il s'agit d'un rackett qui a peu à voir avec l'art et n'a rien à voir avec la transmission du message du Christ.

L'art contemporain n'offre aucune référence à la beauté, à la vérité, ou à la bonté, et ne peut donc avoir aucune idée d'une esthétique morale. Il ne peut avoir aucune place dans l'Eglise, non seulement pour des raisons esthétiques, mais parce qu'il a été conçu avec l'intention de ne servir rien d'autre que l'ego tombé (?). En fait, un peu comme les anges corrompus, la devise de l'art contemporain pourrait facilement être «non serviam». Cette tension était déjà visible au dix-neuvième siècle, lorsque quelques-uns des artistes les plus cotés, en particulier en France, ont tourné leurs talents loin de l'art sacré. Le profane a pris le contrôle et ne l'a pas lâché depuis. L'mpressionnisme a ouvert la voie non seulement à un style de peinture, mais aussi à une philosophie de vie.

Même au sein de l'Eglise, à un moment où elle a un besoin particulier d'artistes capables de transmettre le message du Christ, on sent clairement l'absence marquée d'une philosophie et d'une théologie de l'art. Sans que la plupart des gens ne s'en rendent compte, deux mille ans d'art chrétien ont été discrètement, mais fermement, poussés de côté. Il s'agit d'une apostasie silencieuse que Christine Sourgins décrit en termes de pseudo-religion:

«Prêtre, prophète, artiste d'art contemporain, il est aussi roi. Mais son royaume est celui des passions, c'est-à-dire l'héritagee lointain mais direct de l'époque des Lumières. Pour l'art contemporain les passions sont le spirituel. La transgression qui nous permet d'aller au-delà de nos perceptions ordinaires des choses, est pour l'art contemporain une véritable transcendance. On est, en somme, confronté à une inversion religieuse, qui se pense encore comme religieuse».

Pour la plus grande partie de l'art contemporain, il n'y a pas de résurrection et nulle part on ne trouve le Rédempteur. L'art contemporain entraîne une castration mentale, ou peut-être, citant George Orwell dans 1984 ,«la condition mentale dominante doit être une folie contrôlée» (“the prevailing mental condition must be controlled insanity.) Et en fin de compte, l'art contemporain constitue une attaque contre la foi chrétienne, qui est le fondement de notre société et de sa culture.

3.

[Le prêtre qui se voit dans l'image du Christ, par Rodolfo Papa, Italie]

Les principes anti-esthétiques courants et la nouvelle orthodoxie de l'iconoclasme provocateur dans les milieux artistiques n'ont pas seulement apporté aux musées et aux galeries à la mode des blasphèmes contre le message de vérité et de beauté du Christ comme le crucifix d'Andres Serrano plongé dans un récipient d'urine et les moqueries contre la messe catholique de l'Autrichien Hermann Nitsche (pour ne prendre que quelques exemples), ils ont également créé une ambiance dans laquelle l'absence de forme et d'expression et la distorsion mentale et spirituelle ont acquis la respectabilité. C'est comme si la beauté et la vérité avait été remplacées par la laideur et la perversion en tant que moyen pour représenter le sacré!
L'art contemporain est censé être «contextuel». C'est le contexte qui, souvent, couronne l'«œuvre d'art», et sa transgression révolutionnaire devient sacrée ou significative. Une cuvette de wc exposée dans une galerie chic de Londres devient immédiatement une œuvre d'art, tandis que vue dans un endroit d'équipements publics, elle reste ce qu'elle est. Ceux qu'on nomme les «vrais» artistes dans le monde de l'art contemporain peuvent s'exprimer spirituellement, mais seulement s'ils montrent qu'ils ont des doutes quant à la religion, en particulier la religion chrétienne. Ainsi l'ambiguïté et / ou l'ironie sont des éléments bienvenus. Les icônes du New Age d'Alex Grey constituent une réponse «idéale». L'acte de vandalisme (il y a quelques années) contre la Pietà de Michel-Ange offre peut-être l'emblème d'un monde porté à détruire le vrai, le bon et le beau et à supplanter le Christ avec un ordre du jour baignant dans la culture de la mort spirituelle. Il est intéressant de noter que 'la dernière Cène' et 'la Crucifixion' de Salvador Dali sont les deux seuls tableaux du XXe siècle d'un sujet religieux qui aient gagné la faveur universelle. On les voit dans les magasins de posters du monde entier. Aucune peinture d'art contemporain à caractère chrétien n'a pu approcher leur statut.

4.

[La Nuit Obscure de Saint-Jean de la Croix, par Philippe Lejeune, France]

Un bon artiste chrétien, en particulier un qui s'exprime de façon figurative, est pour les médias un artiste mort, au mieux un objet de pitié, tout juste bon à être placé dans un musée comme simple folklore. Deux ans avant sa mort, Andy Warhol a créé un ouvrage intitulé Repentez-vous et ne péchez plus! La question se pose de savoir de quel côté nous devons nous tourner pour exprimer artistiquement le message du Christ, d'une manière que les fidèles ordinaires peuvent comprendre. Il y a des artistes qui ont eu le courage de se démarquer et de créer des oeuvres d'art où le message du Christ est représenté de manière claire et attrayante, sans une dizaine de pages de «supplément écrit» pour les comprendre! Leur travail est ce que Aude de Kerros nomme avec le terme «art caché». Les médias les ignorent purement et simplement, comme s'ils n'existaient pas, ou plutôt comme s'ils étaient de simples décorateurs, et certainement pas des «artistes».

Selon Aude de Kerros, il y a des indications qu'en Amérique, l'art contemporain a été largement accepté pour ce qu'il est, une sorte de marchandise, et ce que l'on appellerait art véritable conserve sa place. Cependant, comme elle le conclut, il faudra attendre qu'une distinction sémantique soit faite pour séparer l'art contemporain de l'art véritable. On pourrait alors commencer à évaluer l'art non-conceptuel, et chaque artiste. Ceci est important en général, mais c'est vital pour l'Eglise, pour marquer clairement les limites.

Si cette étape était atteinte, qu'est-ce que cela signifierait pour l'art chrétien?
La première considération serait de réaliser que l'art ne peut être produit de la même manière dont on commande une voiture ou une pièce d'art contemporain. C'est un genre de cadeau que l'on ne peut pas avoir par matérialisme. Il exige le don de la foi. Partout où il se présente, le message du Christ tel qu'il est exprimé dans l'art trouve sa propre expression. Entrer dans une discussion détaillée et profonde sur l'art chrétien dépasse les intentions de cet article; cependant, je voudrais faire quelques suggestions, la première, bien articulée par Rodolfo Papa, artiste et professeur à l'Académie pontificale pour les arts à Rome:

L'Eglise n'a pas un style artistique qui lui est propre, parce que ce qui est important, ce n'est pas comment dire quelque chose, mais ce que vous voulez dire ou communiquer; il est facile de savoir quoi faire: "Rem tene, verba sequuntur" [Saisis le sujet, les mots suivront]. Je pense que seul l'art figuratif est en mesure de parler des mystères chrétiens. L'art catholique s'est exprimé dans de nombreux styles différents dans le passé, mais tous sont figuratifs.

5.

[Saint-Alphonse de Liguori, par Giuseppe Antonio Lomuscio, en Italie]

Certains diront que l'abstrait peut être utilisé avantageusement pour dépeindre des aspects de la vérité qui ne sont pas spécifiquement narratifs. En fait, le non-figuratif peut souligner le mystère de l'infini et le mystique avec une intensité qu'aucune autre forme ne peut accomplir. Le danger, cependant, est que, si elle est totalement abstraite, l'œuvre d'art peut rapidement perdre son sens trinitaire et devient juste une image qui pourrait tout aussi bien adhérer à des concepts New Age qu'aux réalités chrétiennes. Des peintres, par exemple Giovanni Battista Gaulli ("il Baciccio") ont dans le passé abordé ce sujet avec succès, combinant le flot de lumière avec le symbolisme figuratif chrétien. Quelques exemples récents sont inclus ici, comme les oeuvres de Philippe Lejeune et d'Agnès Hémery. On peut avoir une préférence pour les sobres expressions monastiques du Moyen Age, le baroque exubérant, ou quelques-unes des œuvres les plus sentimentales du dix-neuvième siècle, mais un Catholique accueille toutes ces formes d'expression comme faisant partie d'une même unité centrée sur le Christ. Le problème se pose lorsque l'on envisage les œuvres récentes de l'art contemporain où l'esprit sous-jacent a été détruit.

6.

[Le Baptême du Christ, par Sergio Ferro, Brésil]

Christine Sourgins écrit que «le visible devient digne de Dieu pour la raison que Dieu s'est rendu visible; ceci pourrait être la base de l'art chrétien» Selon Sourgins, le peintre figuratif a besoin de la foi et de la connaissance de la vérité pour exécuter son art . A l'une des plus grandes expositions consacrées principalement à des sujets chrétiens qui aient été organisées ces dernières années (National Gallery of Victoria, en Australie, 1998), une oeuvre a été exposé, représentant une femme comme un Christ crucifié. De telles images blasphématoires, suggère Sourgins, ne peuvent pas orienter les fidèles à la prière, la dévotion, ou un sens authentique du christianisme en ligne avec l'enseignement de l'Eglise. Beaucoup d'excellents artistes du passé ont été de grands pécheurs, mais leur foi permettait à leurs œuvres d'incarner la divinité de la Trinité. Un artiste n'a pas besoin d'être la perfection de la sainteté pour être un bon artiste chrétien, mais la foi doit apporter une transformation. Au cours du dix-neuvième siècle le christianisme représentait encore quelque chose d'une base sociale qui, malgré ses lacunes, animait la société en général, et a eu une influence sous-jacente sur de nombreux artistes traitant de thèmes sacrés. Bien que rarement des chefs-d'œuvre au sens spirituel, certains tableaux conservaient une certaine «aura» chrétienne.

Cependant, on doit conclure que ce n'est plus le cas. Le meilleur qu'on puisse espérer chez la plupart des artistes du XXe siècle est une sorte de mysticisme cosmique. De nombreux intellectuels traitant de cette question ont oublié que l'artiste chrétien peut être l'instrument de la grâce divine. Fra Angelico est réputé avoir déclaré que «Pour peindre le Christ, il faut vivre le Christ», ou comme l'artiste américain James Langley le voit:

Le point de référence ultime pour l'artiste chrétien n'est ni la culture contemporaine ni soi-même, mais plutôt la découverte de la beauté dans la rencontre avec le Christ. Partant de l'expérience du Dieu-homme radieux, comme revêtu de la Divine Liturgie, l'approche catholique de la fabrication de l'art religieux est enracinée dans l'expérience commune d'une tradition reçue et à laquelle sa propre contribution est humblement ajoutée. Accepter cette tradition implique une étude et une appréciation de la façon dont d'autres artistes ont vu l'image de Dieu. Les formes d'art qui tiennent l'originalité et l'expression de soi comme primordiales commencent par une compréhension désordonnée de la liberté des enfants de Dieu. Comme telles, elles risquent de produire de l'art, comme nous l'avons vu dans les dernières décennies, qui déforme et est littéralement sans rapport avec l'expérience chrétienne.

On peut bien sûr faire valoir que l'espoir et la foi peuvent trouver leur expression, même dans l'art contemporain. L'argument pourrait suivre que nous vivons aujourd'hui à une époque où l'approche chrétienne directe n'est plus viable, et que le message chrétien peut être seulement perçu dans l'absurdité et le désespoir de l'art contemporain. Et pourtant, alors qu'il est en effet aujourd'hui difficile d'être chrétien, les deux mille dernières années ont montré de nombreuses autres périodes de persécutions directes ou indirectes; il ne faut pas perdre courage pour se lever et se compter. L'art contemporain caractérise une contre-culture anti-chrétienne, dans laquelle on peut contempler le Christ crucifié, mais pas sa Résurrection. Comme le Christ l'a déclaré: «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi» (Lc 11:23). Un compromis entre le christianisme et l'époque contemporaine conduira inévitablement à des peinture comme dans l'exposition mentionnée ci-dessus, en Australie, où l'image de la Trinité est cachée par l'absurde, le tragique, et le nihilisme.

Est-il possible, alors, de continuer à se tourner vers l'art contemporain comme un lieu possible pour trouver des formes d'art qui serviront le message du Christ? Comme Anthony Visco l'a écrit, «Prendriez-vous un adorateur du diable comme consultant liturgique sur les rites et les rituels de l'Église? Voulez-nous des athées pour obtenir des conseils de prière sur les exercices spirituels de saint Ignace? Pourquoi alors se tourner vers l'art contemporain qui n'est décidément pas fait pour servir l'Eglise, et se demander comment il pourrait s'intégrer?»
Certains catholiques eux-mêmes se jugent «courageux» quand ils commencent à dialoguer avec l'art contemporain, mais aussi bien intentionnés soient-ils, leurs efforts ne pourront jamais porter de vrais fruits, puisque les racines de l'arbre sont pourris jusqu'à la moelle. Ils soutiennent en outre que l'art contemporain encouragera une nouvelle recherche spirituelle et, donc, une meilleure compréhension de la vérité. Pour eux, les gens devraient être aventureux et essayer de comprendre le nouveau et le non conventionnel. Les intellectuels peuvent avoir de bons arguments à faire valoir, mais leurs arguments auront-ils un sens pour les simples fidèles? Certains catholiques persisteront à débattre en disant que plus d'un artiste, comme Giotto était un révolutionnaire en son temps, et alors pourquoi l'art contemporain ne serait-il pas accepté dans l'Église? C'est évidemment un point qui, pour toutes les raisons énoncées dans le présent article n'exige pas de réponse.

7.

[Verbum caro factum est, par Ugo Riva, en Italie]

L'Eglise catholique et universelle aspire à une renaissance, à ne pas confondre avec une simple rénovation. Certains diront que remettre en question l'art contemporain et chercher une alternative conduirait à une sorte de triomphe de la propagande néo-fasciste. C'est adopter une position facile et confortable et ne pas affronter la réalité du message du Christ de sortir et de convertir le monde. L'Eglise a connu des difficultés avant, et elle se trouvera une nouvelle voie où l'art chrétien servira à nouveau la parole de Jésus, de façon pédagogique, intelligible et efficace: une manifestation d'espoir et de promesse, comme le Pape Benoît XVI l'a décrit dans sa récente encyclique Spe salvi. On devra faire la distinction entre art religieux, sacré et liturgique, mais par dessus tout, il ne faudra pas avoir peur de reconnaître ces formes d'art qui traduisent le mieux les différents messages du Christ ainsi que les besoins de dévotion des fidèles dans les différentes cultures et régions du monde. Une œuvre d'art en Espagne ne répondra évidemment pas aux critères d'une personne en Arménie, mais l'esprit sous-jacent doit être le même. Le Saint-Père, le Pape Benoît XVI, dans une lettre du 25 Novembre 2008, à l'archevêque Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la Culture et des Commissions pontificales pour le patrimoine culturel de l'Église et l'Archéologie Sacrée, a exprimé la nécessité de relancer un dialogue entre esthétique et éthique, entre beauté, vérité et bonté. En effet, un Pavillon du Vatican est prévu pour la Biennale de Venise 2012, un grand festival international d'art contemporain.

Au cœur, il y a un besoin de retourner à l'Eucharistie comme source de l'expression artistique. Selon les mots d'Anthony Visco, «La réalité de l'Eucharistie doit être réaffirmée dans notre monde d'aujourd'hui. Avec le Christ, l'Eucharistie est toujours un scandale, quelque chose à surmonter» Sans cela, tout art devient simple décoration ou ornement de l'ego. «Pour être missionnaire, l'Église a besoin de réincarner dans l'art le mystère du Christ d'une manière claire, et de l'exposer avec courage dans un monde qui a apostasié. Bien que l'art sacré ne puisse pas effectuer le salut, ni contenir la réalité du sacerdoce ou de la messe, il peut montrer la voie. Il devrait rendre service à la foi, à la compréhension de Dieu, qui a parlé à l'homme par la Sainte Ecriture. La différence sémantique entre «renaissance» et «rénovation» doit être traitée d'urgence. Nous commençons à voir une renaissance, puisque certains évêques ont compris la question et ont eu le courage de commissionner des architectes et des artistes dignes de leur nom. Un nouvel encouragement pourrait également être tirées du fait que cette année, la fameuse foire d'art contemporain de New York a été un flop financier, ce qui pourrait inciter les collectionneurs à réévaluer ce qu'est l'art véritable, tout en transférant le centre de l'attention loin de cette ville américaine, où au cours des dernières décennies, l'idéologie courante et l'argent ont été les seuls critères. Le travail de certains artistes prometteurs a été illustré ici, pour montrer que l'art véritable est en train de sortir de ses cendres. Une vraie recherche a commencé.

Note

(1) Originaire du Danemark, Steen Heidemann a fait ses études en Angleterre et obtenu des diplômes en art et architecture à Oxford et une maîtrise de gestion à Reading. Converti, il s'est ensuite marié avec une française. Il organise actuellement des expositions internationales d'art.