Interview d'un intellectuel libanais chiite modéré

... Ibrahim Chamseddine, qui fut ministre dans le gouvernement Hariri. (17/9/2012)

"
Peut-être que la sortie du film [sur Mahomet] avait exactement le but de ruiner la visite du pape au Liban et de semer le chaos dans la région en général". (2)

Le début de l'article pose, implicitiment, et à nouveau, cette question cruciale: qui manipule les fous d'Allah?

>>> Voir à ce sujet:
Liban: Coïncidences troublantes

 

Texte original: Il Sussidiario
La visite de Benoît XVI au Liban, où le pape à la fin d'une messe célébrée devant 500 mille personnes, a donné aux évêques l'Exhortation apostolique post-synodale pour le Moyen-Orient, a pris fin hier . Benoît XVI a exhorté les musulmans et les chrétiens au dialogue et à la paix «afin que chacun puisse vivre en paix et dans la dignité».
Cette dignité à laquelle la nature humaine ne peut renoncer.
Pour cette raison, la visite du pape au Liban peut être considérée comme la vraie réponse aux violences qui ont marqué le Moyen-Orient ces jours-ci, provoquées par le film jugé blasphématoire sur le prophète Mahomet. Sur ces questions et sur la visite du pape Benoît XVI, IlSussidiario.net s'est entretenu avec Ibrahim Chamseddine (1), intellectuel libanais, professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth, ancien ministre de Hariri et fondateur de l'Imam Shamseddine Foundation for Dialogue à Beyrouth.

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- Alors que Benoît XVI s'apprêtait à visiter le Liban, dans de nombreuses rues en Afrique du Nord et au Moyen-Orient se sont déclenchées des violences anti-occidentales. À votre avis, qu'est-ce qui s'est réellement passé ces derniers jours?

- Le soi-disant «film» sur le prophète Mahomet a été la cause déclarée de la violence dont nous avons été témoins ces derniers jours. Mais ce «film» était un piège (3) et, malheureusement, beaucoup sont tombés dedans. Il y a encore des gens qui préfèrent le chaos à la stabilité, qui n'aiment pas le changement et qui ont utilisé l'incident du film pour attaquer des bâtiments publics, des objectifs et du personnel diplomatique. Peut-être que la sortie de ce film avait exactement le but de ruiner la visite du pape au Liban et de semer le chaos dans la région en général.

- En Occident, on a parlé de la fin du printemps arabe. Est-ce vrai?

- Permettez-moi de commencer par dire que ces actes de violence sont détestables et ne sont en aucune manière l'expression d'une défense de l'islam ou du prophète. Dans les faits, ces actes violents, offensants, illégaux ont nui à la réputation des musulmans. N'oublions pas que la religion a toujours été exploitée comme couverture de nombreuses mauvaises actions par les laïcs et les politiciens. Non, ce n'est pas la fin du printemps arabe. Ces sociétés sont en mutation, et chaque transformation prend du temps, même des épisodes de trouble, et il faut des efforts constants pour parvenir à une conclusion et honnête. Voyez la Révolution française.

- Qu'a représenté la visite du pape au Liban?

- La visite du Pape était importante pour tous les Libanais, musulmans inclus. Il s'agit d'un avertissement à la communauté internationale de ne pas oublier le Liban. Elle a également montré la préoccupation constante du Vatican pour ce pays, de sorte que cette visite est, en fait, un prolongement de celle de Jean-Paul II en 1997. Son sens, à mon avis, est de rappeler aux chrétiens Libanais et Arabes qu'ils appartiennent à leur propre pays, et qu'ils ne sont pas et ne doivent pas être considérés comme faisant partie de l'Occident.

- Pourquoi pensez-vous que le Liban est au sommet des préoccupations du Pape ?

- L'importance du Liban est d'être le pays où les chrétiens ont la présence la plus dynamique dans le monde arabe. Le Liban est une démocratie avec de nombreux problèmes, c'est vrai, mais c'est une démocratie. Ce pays est marqué par le «vivre ensemble» - comme a dit le Pape - de musulmans et de chrétiens; ils constituent une seule et même société politique, en dépit de toutes les difficultés. La coexistence entre musulmans et chrétiens est inscrite dans la Constitution, ce n'est pas une affaire entre les chefs des religions, c'est vraiment ce que les gens veulent et la vie que les gens veulent vivre. Donc, ce n'est pas une concession accordée aux chrétiens par quelque parti, et qui en tant que telle peut être retirée. C'est un droit et il doit être défendu.

- Existe-t-il un «modèle libanais?»

- Le modèle libanais est la preuve vivante que la vie commune est possible entre les peuples de différentes religions. Je voudrais également dire que notre «formule», la formule libanaise, a besoin d'être protégée par les Libanais eux-mêmes. Dans le même temps, ils doivent constamment la «retrouver», la revitaliser. La visite du pape au Liban est une contribution dans ce sens.

- Hier, le pape Benoît XVI a invoqué la paix, comme témoignage des hommes de foi et comme bien souhaitable pour la Syrie et l'ensemble du Moyen-Orient. La paix est un objectif réaliste?

- Vivre en paix devrait être la première manière de vivre. Après tout, c'est le message que tous les prophètes ont porté et enseigné à l'homme. Aucune vraie religion d'origine divine ne prêche la guerre comme mode de vie. La guerre et la violence comme mode de vie n'ont jamais été dans l'enseignement de vrai judaïsme, du christianisme véritable et du vrai Islam. La violence est le produit de l'homme, et non de la religion.

- Pour une grande partie de l'opinion publique occidentale, l'islam est synonyme de violence. Qu'en pensez-vous?

- Islam ne signifie pas violence. Bien sûr, il y a des musulmans violents, tout comme il y a des chrétiens, des juifs et des athées violents. Le problème est que la religion en général continue à être jugée par les actes de certains de ses disciples plutôt que les enseignements. On peut démontrer combien l'islam décourage l'utilisation de la violence et la limites largement. Il en règle l'utilisation dans des cas spécifiques, l'imposant dans des circonstances telles que l'auto-défense, la défense du pays et la dignité de la personne humaine, mais en même temps, il offre des restrictions précises à son utilisation même dans les cas légitimes. Il y a de nombreux versets dans le Coran et de nombreux enseignements du Prophète où ces questions sont abordées de façon claire.

- Donc, vous condamnez les musulmans qui ont recours à la violence.

- Oui. L'utilisation de la violence par les Musulmans ne la rend pas justifiable par l'Islam. Soit ils sont ignorants, soit ils utilisent délibérément des slogans islamiques ou bien ils incitent à la violence, pour des buts politiques. Oussama Ben Laden était un musulman, il est né de parents musulmans et a toujours prétendu être un musulman. Personne ne peut lui refuser l'islam, mais en est-il un vrai prophète, son porte-parole légitime et accepté? Non, il était musulman comme Hitler ou Mussolini étaient des chrétiens.

- Que pensez-vous de la relation entre le christianisme et l'islam?

- L'Islam et le Christianisme partagent de nombreux concepts et croyances; il m'arrive de sourire quand je lis certaines choses dans la Bible, parce que j'ai l'impression de lire un texte islamique. La différence réside dans des concepts de la foi tels que la nature du Christ, la trinité de Dieu, et d'autres chose encore. Mais l'islam est l'islam, le christianisme, le christianisme et ils le seront jusqu'au jour où Dieu nous appellera tous à sa présence et à son jugement.

- Et du point de vue de la rencontre entre personnes de confessions différentes? Quels sont ou devraient être les véritables racines du dialogue entre le christianisme et l'islam?

- Le dialogue est fondé sur un fondement simple mais solide, celui selon lequel chacun de nous doit accepter l'autre comme une personne qui n'est pas ce que lui pense qu'il devrait être. Un vrai dialogue, le dialogue comme vie - comme le disait mon père, le premier imam Chamseddine - est d'accepter l'autre tel qu'il s'offre lui-même. On ne devrait pas essayer de le transformer en ce que nous sommes, ce qui signifierait le dupliquer, le cloner. Le dialogue n'est pas quelque chose comme inventer une nouvelle religion qui émousserait les différences, non, c'est d'accepter les gens avec la foi qu'ils ont.

- «Le fondamentalisme est toujours une falsification de la religion», a déclaré Benoît XVI en route vers le Liban. «Il va à l'encontre de l'essence de la religion, qui veut réconcilier et créer la paix de Dieu dans le monde. Donc, (...), une purification de la religion de ces tentations est toujours nécessaire». Qu'en pensez-vous?

- Je suis d'accord avec le Pape, que le fanatisme est contraire à l'essence de la religion. Le fanatisme est le produit de l'homme, ce sont les gens qui sont fanatiques, pas la religion. En ce qui concerne la purification, le Pape n'explicite pas dans son discours comment l'Eglise devrait assumer cette mission parmi les chrétiens. La façon dont je comprends la purification consiste à la mettre en œuvre à travers des enseignements clairs et limpides, en assumant ce qui concerne la religion à partir de ses sources justes et légitimes, et non par les médias ou par les journaux à sensation ou des chrétiens ou des musulmans qui font du bruit; en s'abstenant d'utiliser la religion comme un instrument politique, et en empêchant les politiciens, autant que possible, de répandre la peur au nom de la religion; en travaillant étroitement avec les gouvernements pour avoir un meilleur développement du pays, réduire la pauvreté et augmenter la liberté . Une purification est nécessaire dans le milieu socio-politique; elle est progressive dans le sens où elle révèle davantage lessentiel avec le passage du temps. Mais cela ne se fait pas en changeant la religion en tant que telle, qui n'est pas modifiable.

- Revenons au Liban, un pays de confessions différentes. Qu'est-ce que le Liban de ce point de vue? Un accident de l'histoire, une erreur? Ou, au contraire, cette caractéristique fait de lui une mission?

- Le Liban n'est pas une erreur historique, il n'est pas plus le fruit du hasard. Le Liban existe ar la volonté et la détermination de son peuple. Ce peuple est fait de musulmans et de chrétiens et veut le rester. Oui, le Liban est un message et une mission, et c'est ce que je voulais dire avant en disant que c'est une patrie qui doit être réinventée chaque jour. Le Liban est l'œuvre de Libanais et ils continueront à le construire, à le développer et à le préserver. En dépit de tous les problèmes et les difficultés actuelles, je suis optimiste quant à l'avenir du Liban et sur la coexistence que chrétiens et musulmans sauront construire ensemble. Je suis également optimiste quant à l'avenir des deux religions au Liban et au Moyen-Orient.

- Le Pape a parlé de la «société plurielle». Qu'est-ce que ces mots signifient pour vous, qui êtes aussi une personne publique, en termes sociaux et politiques?

- Les grandes choses ne se produisent pas par hasard, mais elles ont besoin de temps être faites. Je dis toujours que Dieu a créé le monde en six jours, non pas parce qu'il s'agissait d'une mission très complexe et difficile pour lui; quand Dieu décide de créer quelque chose, il dit simplement «que cela soit» et cela est. La leçon qui nous vient de temps passé à la Création, c'est que les grands objectifs ont besoin de temps pour se réaliser, et que le temps lui-même est une composante de chaque événement. (Federico Ferraù)

Notes

(1) Ibrahim Chamseddine est un homme politique libanais, fils de Cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine.
...
Il a perdu les élections législatives de 2005 à Beyrouth, face au candidat Hezbollah Amine Cherri. Il est connu pour ses positions modérées, proches de l'alliance du 14 Mars, qui lui ont valu d'être choisi comme ministre d'Etat au Développement administratif au sein du gouvernement d'union nationale formé en juillet 2008 par Fouad Siniora
(wikipedia)

Faisant une recherche sur son nom, j'ai trouvé une notice biographique plus détaillée, sur le site du Meeting de Rimini.

Ibrahim Chamseddine né en 1959, est le fondateur de la Fondation Imam Chamseddine pour le dialogue, une organisation civile qui vise à diffuser la culture du dialogue et de la paix, et il a été membre fondateur de Together Around Saint Mary (qui a favorisé la fête de l'Annonciation comme fête nationale au Liban)
Il est professeur de sciences politiques et d'administration publique à l'Université américaine de Beyrouth (AUB). Il enseigne également à la California University aux U.S.A.
De Juillet 2008 à Novembre 2009, il a été Ministre d'Etat pour la réforme administrative au Liban dans le gouvernement Hariri. Il a été aussi vice-président du Conseil libanais pour le développement et la reconstruction (CDR) de 1991 à 1996.
Son père, Mahdi était un Aytollah, né en Iran, et a été une grande figure pour le Liban.


(2) C'est une hypothèse que j'ai déjà largement évoqué.
L'Orient le Jour rappelait ce matin:
Le mystère demeure sur les raisons pour lesquelles les 14 minutes d'extraits mises en ligne sur YouTube depuis des mois ont soudain provoqué une flambée de violences antiaméricaines au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cette vidéo circulait sur internet depuis des mois sans grande audience, avant d'embraser soudainement la région le jour même où l'on a commencé à voir des manifestations au Moyen-Orient, notamment au Caire.
http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/778424/Les_auteurs_du_film_anti-islam%2C_des_partisans_du_pretre_copte_Zakaria_Botros.html


(3) Nouveau piège, à ce qu'il semble:
Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a invité hier les musulmans du Liban à manifester contre la poursuite de la diffusion des extraits du film L’Innocence des musulmans qui a provoqué de violentes réactions à travers le monde. http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/778566/Nasrallah_appelle_les_Libanais_a_manifester_contre_le_film_islamophobe.html

J'entends à l'instant sur Europe 1:
Manifestations musulmanes notamment au Liban, au lendemain de la visite du Pape.
La trêve Benoît XVI n'aura pas duré longtemps.

Décidément, mon soupçon se confirme!!!