Mais quelle intransigeance?

Un éditorial de Carlota: a-t-on le droit de demander aux "progressistes" pourquoi ils veulent rester dans l'Eglise? (5/9/2012)

J'ai reçu hier un message d'un visiteur que je suppose occasionnel, et qui, ayant lu cet article intitulé Et si les progressistes quittaient l'Eglise? m'accuse d'intransigeance, allant jusqu'à évoquer de ma part (il ne me connaît pas!) "la foi pure comme un diamant et la dictature assurée".
N'est-ce pas un peu excessif? D'autant plus qu'il y a plus qu'une nuance entre enjoindre à des gens de partir, et leur demander pourquoi ils tiennent à rester.

Je tiens d'abord à faire une mise au point nécessaire. Je revendique chaque ligne de l'article, mais je ne faisais qu'en reprendre un autre, issu du remarquable blog Contre-débat: Pourquoi les progressistes restent-ils dans l'Eglise ? (lui-même soulevant une question qui avait transité par La Vie et le NYT, pas vraiment la presse réac, donc!)
Voilà, il est juste de rendre à César ce qui lui est dû.

Cette mise au point faite, et même si intransigeance et intolérance sont deux concepts distincts - mais pas disjoints - cela me semble une coïncidence providentielle que j'aie traduit tout à l'heure l'homélie prononcée par le saint-Père à l'issue du Ratzinger Schulerkreis (Nous n'avons pas la vérité, c'est elle qui nous a ), où il dit justement:

(...) qui de nous oserait se réjouir de la vérité qui nous a été donnée? Il nous vient tout de suite la question: mais comment peut-on avoir la vérité? Ceci est de l'intolérance! Les notions de vérité et d'intolérance ont aujourd'hui presque complètement fusionné entre elles, et ainsi, nous n'osons plus croire à la vérité ou parler de la vérité. Elle semble éloignée, elle semble quelque chose auquel il vaut mieux ne pas recourir. Personne ne peut dire: j'ai la vérité - c'est l'objection que l'on avance - et à juste titre, personne ne peut avoir la vérité. C'est la vérité qui nous possède, c'est une chose vivante! Nous n'en sommes pas les propriétaires, mais nous sommes saisis par elle.

Laissant mon correspondant méditer sur cette profonde "vérité", je laisse la parole à Carlota, qui, replongeant dans l'Histoire jusqu'à Luther, a sur l'intransigeance (et l'intolérance), des arguments bien plus percutants, plus érudits, et surtout plus étayés que les miens.

 

Quelle intransigeance ?
(Carlota, 5/9/2012)
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Est-ce de l’intransigeance que de dire à ceux qui ne sont pas d’accord avec le magistère de l’Église catholique : Mais pourquoi restez-vous dans « une » Eglise qui ne vous convient pas ?
Vous qui êtes si hostile à l’autoritarisme que vous critiquez dans l’Église romaine, à cette monarchie absolue d’un autre temps, vous entendez pourtant imposer vos points de vue, en employant tous les moyens, et beaucoup parmi eux manquent d’élégance, pour ne pas dire de loyauté.
Mais qu’est-ce qui vous empêche de quitter une entité où vous ne vous sentez pas à l’aise puisque tout vous gêne dans son fonctionnement ? Pourtant vous ne risquez aucune sanction.
Evidemment, vous ne serez pas menacé de mort physique et pas plus de mort sociale. Bien au contraire, vous pourrez ainsi atteindre une notoriété que vous n’auriez pas eue, en ayant simplement essayé de continuer à marcher, même en grognant un peu, derrière le Saint Père qui, a une patience d’ange et beaucoup d’indulgence envers ses brebis bien turbulentes. Vous pourrez écrire un livre, les médias vous interrogeront, vous vous retrouverez dans les studios de radio, les plateaux de télévision (éventuellement avec un masque si vous voulez préserver votre anonymat, voire avec une voix déformée électroniquement, - là ce serait vraiment une pub formidable), et pourquoi pas ne pas envisager un film de votre histoire, et en ce moment les séries télé qui tapent sur l’Église Romaine, il faut avouer qu’elles ont le vent en poupe (en particulier sur les chaînes étatiques françaises).
Mais peut-être craigniez-vous de ne pas être quelqu’un, dans une autre religion, et de devoir vous plier à une nouvelle discipline ? Finalement l’Église Catholique c’est bien pratique, vous pouvez lui taper dessus sans risque… (Et peut-être lui nuire mieux encore, pardon, poursuivre plus efficacement votre œuvre de modernisation de l’Église ?). C’est sans risque, enfin pas tout à fait : au risque du Salut ? Mais comme c’est loin et que personne n’y croit plus…

Non vraiment je ne vois pas où est l’intransigeance que dire aujourd’hui, si l’Église (comprendre l’Église catholique) ne vous convient pas, qu’attendez vous pour la quitter ? Notre siècle, tout au moins en Occident et encore pour l’instant, met pourtant, à la portée de tous, un super marché des croyances largement achalandé (l’on y trouve même des druides qui ont pignon sur rue, des petites annonces dans les journaux gratuits nous proposent des marabouts africains, des cartomanciennes, et pour faire carrière en politique et avoir du pouvoir, il faut, semble-t-il, être francs-maçons). Et surtout, sauf exception (que l’on ne citera pas…), l’on peut même passer d’une religion à une autre, sans problème, et revenir à la précédente ou en avoir plusieurs. Et cependant d’autres restent aujourd’hui de fidèles catholiques (ou chrétiens au sens large) au risque de leur vie, du Pakistan au Nigéria, en passant par l’Égypte, l’Irak, la Syrie et bien d’autres pays encore.

Donc je ne vois toujours pas où est l’intransigeance que de demander à ceux qui critiquent sans cesse l’Église de l’intérieur d’aller voir ailleurs ?

L'exemple de Luther
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Certains par le passé certains n’ont pas eu ces états d’âme et ont quitté cette Église qui ne leur convenait pas.

L’intransigeance était plutôt de leur côté, d’ailleurs. Par exemple et sans s’arrêter sur le rejet du célibat (Luther en 1521) pourtant pratiqué par le Christ, rappelons- nous ce que déclaraient, en 1534, certains feuillets rédigés et imprimés à Neuchâtel en Suisse par Antoine Marcourt, un de ceux qui se désignaient comme « Ministre de la Parole de Dieu » (déjà, quel défi dans ces mots !). Ces feuillets ont été placardés jusque sur la porte de la chambre du Roi de France, François 1er. Ils portaient comme titre : «Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papiste, inventée directement contre la sainte Cène de Notre Seigneur, seul médiateur et sauveur Jésus-Christ». […] et faisaient en particulier remarquer que : «Il ne peut se faire qu'un homme de vingt ou trente ans soit caché en un morceau de pâte». Des déclarations de guerre en paroles qui par leur intransigeance, ne reflétaient guère de vertus évangéliques, et ont dans la forme bien des ressemblances avec celles prononcées contre le Catholicisme, par les pratiquants d’une religion ou d’une autre que les Rois Catholiques et leurs successeurs, à la même époque eurent à gérer pour maintenir l’unité et la paix dans leur Royaume enfin libéré de sept cents ans d’occupation étrangère.

L’intransigeance ne réside-t-elle pas plutôt chez ceux qui ont préféré ou préfèrent mettre la division dans les cœurs des chrétiens (et des hommes d’une manière générale) comme cela s’est passé et comme cela se passe aujourd’hui avec les moyens correspondant à notre époque.

L’intransigeance de ce terrible XVIème siècle
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Parce que certains clercs n’étaient pas de bons clercs, fallait-il au XVIème décider de faire, avec un orgueil sidérant « sa propre religion » dont les adeptes furent d’abord appelés hérétiques. Certains curés de village ayant décidé en chaire de prêcher « leur » religion, vont d’ailleurs finir au bûcher (se replacer bien sûr dans le contexte de l’époque) mais après avoir été invités à se repentir: « Va et ne pèche plus ». Ils n’ont rien voulu entendre. Ils sont devenus des « saints protestants martyrs » ou plutôt des victimes de leur intransigeance car ces curés « désobéissants », même à l'époque de François 1er, n’auraient pas été brûlés, s'ils avaient reconnu leur erreur. Mais même s’ils disaient connaître la Bible, non plus en latin, mais dans la langue de chaque pays, pour être mieux comprise de tous, ils n’ont pas voulu se souvenir (ni lire à leurs fidèles) : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle» Matthieu 16 :17-18. S’en souviennent-ils ceux d’aujourd’hui qui se disent dans l’Église catholique mais combattent sans cesse, d’une manière plus ou moins ouverte, le Saint Père ?

L’intransigeance de ce terrible XVIème siècle pour ne citer que celui-là, a évidemment, entraîné des réactions en chaine terriblement difficiles à maîtriser. L’histoire officielle enseignée revisitée et simpliste de la IIIème République, qui avait tout intérêt à « charger la mule » contre ces catholiques « intransigeants », n’a pas facilité la juste compréhension des événements. Mais est-ce vraiment différent aujourd’hui ?

L’intransigeance de qui par conséquent ?
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- de ceux qui se prétendent de religion catholique mais qui demandent des changements qui vont à l’encontre du magistère et du bien commun de l’Église du Christ?
- de ceux qui ont pratiqué le protestantisme le plus rigoureux mais dont l’église officielle d’État (en particulier luthérienne dans les pays scandinaves) « marie » les personnes du même sexe (cf tout récemment au Danemark) ? Et pourtant les protestants sont réputés connaître sur le bout des doigts l’Ancien Testament contrairement aux Catholiques. Mais a priori ils ont du oublier de relire la Genèse et notamment: « Or les hommes de Sodome étaient méchants, et grands pécheurs devant l'Éternel » (Gen 13 :13) ; « Et l'Eternel dit: Le cri contre Sodome et Gomorrhe s'est accru, et leur péché est énorme » (Gen. 18 :20) ; « La femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une statue de sel » (Gen 19 :26) ;
- de ceux qui ne veulent pas négocier sur des valeurs fondamentales, et se battent pour le respect de la vie de la conception à la mort naturelle, le mariage qui est l’union d’un homme et d’une femme, le droit de l’enfant et non pas le droit à l’enfant, la liberté d’enseignement et non pas l’embrigadement, par un état-providence omniprésent, des enfants, les éventuels parents conventionnels n’étant que de vulgaires géniteurs de « citoyens modèles », la liberté religieuse, etc.

Si l’intransigeance, c’est d’écouter au mieux les conseils du Saint Père qui montre le chemin et notamment nous aide à nous battre contre ce relativisme nihiliste inhumain et ses conséquences, alors je suis intransigeant et je le revendique C’est ce que l’église orthodoxe de Russie a également compris et j'aime son intransigeance qui consiste, par exemple, à faire effectuer à l’icône catholique polonaise Notre Dame de Czestochowa « la traversée pour la défense de la vie et de la famille » du Pacifique à l’Atlantique, de Vladivostok à Fatima (en France fin novembre 2012) - Quel symbole ! (cf. http://from-ocean-to-ocean.org/ )