La grande surprise de Jean (Partie I)

Vittorio Messori remplit un devoir posthume envers son ami, le Père Jésuite Ignace de la Potterie, grand exégète de l'Ecriture, qui avait découvert dans l'Evangile de Jean la preuve de la triple virginité de Marie: avant, pendant et après l'accouchement. Un article passionnant, et que l'Année de la Foi ramène au premier plan de l'actualité (18/10/2012)

Comme l'article est très long, je le traduis en deux ou trois fois.
Il ne faut absolument pas se laisser rebuter par le caractère ardu d'un thème que l'on pourrait croire réservé aux spécialistes. Moi-même, je ne connais rien à la question. Mais l'exposé de Vittorio Messori est si clair et si vivant qu'il se lit presque comme une enquête policière!

     

La grande surprise de Jean
Vittorio Messori
Original en italien: www.et-et.it/..
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Le Père Ignace de la Potterie, jésuite, a longtemps été titulaire de la chaire de Nouveau Testament jugée (à juste titre) la plus importante de l'Institut, à son tour conisidéré (encore une fois, à juste titre) comme la plus grande autorité de l'Eglise pour l'étude de l'Écriture.

Nous parlons de l'Institut biblique pontifical, une branche de l'Université grégorienne, dont le recteur - comme confirmation de son importance - est nommé par le Pape lui-même.
Le «Biblico» comme on l'appelle, a été fondé en 1909 par saint Pie X pour répondre, avec les mêmes armes de rigueur scientifique, aux attaques contre les fondements mêmes de la foi portées par la soi-disant «critique indépendante». C'est-à-dire celle qui disséquait les textes de l'Ancien, et surtout du Nouveau Testament, concluant - très souvent - qu'il ne s'agissait pas d'histoire, mais de mythes, de symboles, de légendes, et que le «Jésus de l'histoire», celui qui avait réellement vécu, était un personnage obscur, à la biographie incertaine, qui avaient peu ou rien à voir avec le «Christ de la foi». En somme, le Credo avait des bases abusives et historiquement insoutenables, et le christianisme n'était rien de plus qu'une construction tardive née entre hellénistes et éléments marginaux d'un judaïsme obscur.

Face à un tel assaut, l'Eglise a finalement réalisé que ce n'était pas assez de s'indigner et de jeter des invective contre les «mécréants», mais qu'il était nécessaire de répliquer avec les mêmes outils, avec la même érudition. C'est à quoi s'est consacré l'Institut pontifical, avec de bons résultats qui, en premier lieu, enlevèrent aux catholiques la crainte que les fondements de leur foi ne soient plus défendables devant la Science (avec une majuscule, bien sûr, comme le voulaient les professeurs des universités laïques); et ils leur ôtèrent le soupçon, peut-être non formulé, mais troublant, que l'incarnation de Dieu dans l'histoire était impossible selon les catégories strictes de l'histoire moderne.

Le Professeur de la Potterie, décédé il y a quelques années, fut un élément éminent et de premier plan, dans les rangs des chercheurs qui ont illustré le «Biblico» pendant plus d'un siècle, ayant entre autre, d'abord parmi ses enseignants puis parmi ses administrateurs un certain Carlo Maria Martini.
Bien sûr extrêmement cultivé, maîtrisant de nombreuses langues, à la fois modernes et anciennes, le Père Ignace m'honorait de son amitié et partageait ce que j'essayais de faire (bien sûr à mon niveau de non-spécialiste, quoiqu'informé du sujet autant que je le pouvais) pour trouver des preuves de l'historicité des Évangiles. Et quand, désormais très âgé, il se retira dans son pays natal, la Belgique, de temps à autre, il me surprenait d'un coup de téléphone qui me remplissait de joie, et en même temps m'attristait un peu. En fait, il s'épanchait avec moi, désapprouvant un certain «modernisme» et «rationalisme» qui avait pénétré aussi parmi les biblistes catholiques, trop souvent par imitation des maîtres vénérés des facultés de théologie protestantes qui, en Allemagne, existent encore dans les universités publiques.

Je ne pouvais que lui donner raison, aussi parce que l'excellent Père Ignace était tout sauf un traditionaliste fermé, il était même au courant de toutes les méthodes et toutes les théories modernes, dont il acceptait tout ce qui ne tendait pas à transformer en mythe ou un symbole le réalisme historique des Évangiles. Des Professeurs pour qui rien dans l'Écriture, ne devait être pris au pied de la lettre, les seules choses indiscutables étant leurs notes et leurs introductions «démythifiantes».

Tout en évoluant avec maîtrise dans toute l'Ecriture, et en particulier dans le Nouveau Testament, de la Potterie était surtout connu comme le meilleur connaisseur de Jean: l'Evangile, bien sûr, mais aussi les trois lettres qui lui sont attribuées.
Et justement dans le quatrième évangéliste, il avait identifié, précisé et souligné, avec une certitude inégalée jusqu'alors un aspect aussi important que très peu connu. Autrement dit, rien moins que ceci: dans le célébrissime Prologue («Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu .... »), Jean nous apporterait le témoignage explicite et précis de la triple virginité de Marie: avant, pendant et après l'accouchement.
Le même Père de la Potterie me disait, et écrivait dans ses articles, que, parmi les biblistes d'aujourd'hui (y compris, malheureusement, dans certaines universités catholiques) on préférait survoler cet aspect, pourtant si important dans l'histoire de la rédemption. Dans certains milieux, celui qui parle encore avec une foi convaincue de la 'semper virgo' éveille les soupçons comme s'il était un «intégriste», ou alors suscite l'ironie, comme il sied à un vieux rétrograde.
Et pourtant, voilà que ce distingué professeur d'une université papale illustre scrute «son» Jean, et, au tout début de l'évangile découvre (ou redécouvre, comme nous le verrons) que le texte a été manipulé déjà dans les temps anciens, cachant ainsi la vérité par le simple changement d'un verbe du singulier au pluriel.

Le Professeur de la Potterie avait exposé sa thèse extrêmement documentée dans deux articles d'au moins 50 pages chacun sur Marianum , la revue de la Faculté théologique pontificale homonyme, déjà en 1978, et il avait repris le discours, enrichi par de nouvelles recherches en 1983. Cette centaine de pages, remplie de notes et de citations en latin, en grec, et en hébreu a été lue par des spécialistes qui, cependant, avait choisi le silence.

Cela arrive souvent dans le monde des spécialistes de la Bible: ce qui pourrait remettre en question les modèles et les préjugés hégémoniques du moment est mis de côté, si un éreintement n'est pas possible en raison (comme dans le cas présent) du sérieux rigoureux de la recherche et de l'autorité de l'auteur. Je me souviens combien, dans un de ses derniers appels téléphoniques, le vieux savant se désolait du silence autour de cette importante question. Il m'a semblé percevoir chez lui, une invitation courtoise, non-dite, mais explicite, à l'aider à faire connaître cette découverte si importante pour la foi elle-même et propre à appuyer avec l'autorité du quatrième évangéliste, le dogme de la virginité perpétuelle de Marie.

Eh bien, avec ces pages, je vais essayer de respecter la volonté du Père Ignace, donnant la nouvelle d'une recherche dont il a été l'instrument efficace, mais qui ne concerne certes pas sa personne et sa carrière scientifique, mais bien la foi de chacun d'entre nous. Ici, je ne vais bien sûr, donner qu'une synthèse de vulgarisation, encore que (du moins je l'espère) correcte, étant donné le soin avec lequel j'ai examiné cette centaine de pages. Mais ce serait bien, pour ceux qui voudraient aller plus loin, de lire les deux articles de la Potterie, en se les faisant peut-être envoyer par courrier électronique à partir de la revue elle-même (marianum@marianum.it): je vous assure que cela en vaut la peine
Il ne s'agit pas ici d'une sorte de curiosité, mais d'un moyen de renforcer, en se basant sur l'Écriture elle-même, une vérité sur Marie que l'Église a toujours crue et proclamée.

Voyons donc comment sont les choses, en reproduisant le court verset sur lequel tout repose. C'est le treizième du premier chapitre, le Prologue de Jean que nous avons mentionné ci-dessus et que nous donnons dans la version la plus récente (celle de 2007) de la Conférence épiscopale italienne. Mais pour comprendre, nous devons d'abord reproduire aussi les deux versets précédents, le onzième et le douzième (ndt: je traduis mot à mot; voir note [1]): «Il vint parmi les siens et les siens ne l'ont pas accueilli. A ceux qui pourtant l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom». Suivent les lignes sur lesquelles s'est fixée la recherche de notre savant: «Lesquels, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu ont été engendrés».

Telle est donc la version traditionnelle; et voici selon le savant du «Biblico», la version authentique: «Non de sangs, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu, il (Jésus) a été engendré».

Comme on le voit, le verbe "engendrer" est au singulier et non pas au pluriel comme dans la version de nos éditions de l'Écriture. En fait, le sujet est unique: Jésus. Alors que dans la version traditionnelle, il est au pluriel, le sujet étant «ceux qui croient en son nom». Donc, je le répète, mais pour des raisons de clarté, dans ce point décisif: mis au singulier, le verset parle de la génération divine du Christ; mis au pluriel, il parle de la transformation des croyants en lui.
A remarquer tout de suite, aussi, que - dans tous les manuscrits anciens dont nous disposons - «sang» en grec est au pluriel, mais tandis que dans la Vulgate latine le pluriel a été respecté (ex sanguinibus ), en italien (et en français!), il est toujours traduit au singulier. Et pourtant (on peut le vérifier aussi sur les dictionnaires classiques comme celui de Tommaseo), "sangs" en italien (et aussi en français) est rare mais il existe et il est aussi utilisé par de bons auteurs.
Si dans les traductions italiennes, il n'a pas été utilisé et il ne l'est toujours pas, ce n'est pas (comme beaucoup l'ont dit) parce que «sangs» n'existe pas dans notre langue, mais parce qu'on n'a pas compris quelle était son importance dans la pensée de Jean. Comme nous allons le voir.

A suivre...

Note

[1] En français, la version officielle sur le site catholic.org donne:

11. Il vint chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu.
12. Mais quant à tous ceux qui l'ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom,
13. Qui non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu sont nés.