Une interviewe d'Alain de Benoist

Pépites: droite et gauche, Sarkozy, Hollande, "bobos", capitalisme, Syrie, etc. (31/8/2012)

Pour ceux qui ne connaissent pas le philosophe, ou seulement de nom, comme moi, le mieux, c'est de lire ce qui suit (ou directement, l'interviewe en entier) avant de chercher des informations sur lui. C'est-à-dire sans aucun préjugé.

L'article, publié sur Polemia, est issu du blog d'un jeune journaliste (qui me semble très talentueux), Paul Moffen.

Texte complet ici: http://www.paulmoffen.com/

 

Pépites (mes sous-titres)


Sur Nicolas Sarkozy
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Le « sarkozysme » n’existe pas. Il y a simplement eu un moment Sarkozy dans l’histoire de la Ve République. Ce moment s’est caractérisé par la mise en œuvre d’une sorte de libéralisme autoritaire, par une désacralisation accélérée de la fonction de chef de l’Etat, par une pratique sociale au service des plus riches, par un alignement de fait sur la politique des Etats-Unis d’Amérique, par le règne du paraître et le pouvoir des mots.
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Aucun régime n’est jamais totalement bon ni totalement mauvais. Mais c’est le bilan général qui compte. Je le trouve pour ma part détestable. Avec Sarkozy, nous avons assisté à la liquidation d’un certain nombre d’acquis sociaux hérités de plus d’un siècle de luttes sociales, à une désindustrialisation grandissante, à une perte d’indépendance dont la piteuse réintégration du commandement intégré de l’Otan a été le point d’orgue, à un engagement militaire dans des guerres qui ne nous concernent en rien (Afghanistan) ou des opérations militaires totalement dépourvues de sens (Lybie). Face à la crise financière mondiale, Sarkozy a déplacé beaucoup d’air, mais n’a rien réglé sur le fond....
Sarkozy me semble plutôt appelé à connaître le sort de ces présentateurs de télévision qu’on voit tous les soirs, mais auxquels personne ne pense plus dès qu’ils ont définitivement quitté l’écran. Il a abandonné le pouvoir il y a trois mois à peine, mais j’ai l’impression qu’on l’a déjà oublié.

Sur la droite et la gauche
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Toutes les familles politiques, « de droite » comme « de gauche », sont aujourd’hui plongées dans une profonde crise d’identité dont les causes sont nombreuses. L’une de ces causes est le « recentrage » des discours et des programmes, qui donne l’impression (confirmée dans les sondages) qu’il n’y a plus de véritables différences entre la droite et la gauche. Les divers partis apparaissent de plus en plus comme interchangeables, ce qui explique la volatilité électorale : les gens votent pour un parti après l’autre de la même façon qu’ils « zappent » entre des chaînes de télévision. Comme le résultat est toujours plus ou moins le même, ils sont toujours plus déçus.
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Je suis indifférent aux étiquettes. Les étiquettes, c’est le paraître, le contenant, alors que seuls les contenus m’intéressent. Cela veut dire aussi qu’en tant qu’historien des idées, ce qui me paraît le plus nécessaire n’est pas tant d’identifier des « idées de droite » ou des « idées de gauche » que de distinguer les idées fausses des idées justes. Au cours des deux derniers siècles, de nombreuses thématiques sont d’ailleurs passées de droite à gauche, ou vice versa. ...
Le nationalisme, souvent classé à droite, est né à gauche à l’époque de la Révolution française, qui fut la première à considérer la nation comme une entité politique souveraine. Au XIXe siècle, l’idéologie coloniale fut essentiellement propagée par des hommes de gauche, comme Jules Ferry, tandis que la droite y était en général hostile ; au siècle suivant, ce fut le contraire. Le régionalisme et l’autonomisme se situaient plutôt à droite dans les années 1930, à gauche dans les années 1960. L’idéologie du progrès, associée à la philosophie des Lumières, a d’abord été combattue par la droite contre-révolutionnaire. Elle est aujourd’hui critiquée par la gauche écologiste, qui récuse le productivisme et les diktats de la techno-science. On pourrait donner bien d’autres exemples.

Nouveau conformisme (et les bobos)
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... il y a « un conformisme de l’anticonformisme. » ...
Le style « bobo » en est l’incarnation même. Le libéralisme sociétal (la « liberté des mœurs ») se donne volontiers pour anticonformiste, mais s’intègre pleinement dans un système économique dominant qui tire profit de la tendance des individus et des groupes à vouloir faire reconnaître n’importe quel désir comme une « norme ». La « libération sexuelle » des années 1960-1970 a surtout permis de créer un profitable marché du sexe. D’autres croient « violer des tabous » en s’en prenant à la famille, à la religion ou à l’armée, sans s’apercevoir qu’ils tirent sur des ambulances. Il y a longtemps que ce ne sont plus là des tabous ! Les mêmes prennent d’ailleurs bien soin de ne violer aucune des règles du politiquement correct actuel. Une autre manière de tomber dans le conformisme de l’anticonformisme est de s’engager contre le fascisme à une époque où le fascisme a disparu, ou contre le communisme à une époque où celui-ci s’est effondré. C’est à la fois rentable et sans aucun risque. Ces gens-là n’ont pas la moindre idée du moment historique où ils vivent. Ils cheminent dans l’existence en regardant dans leur rétroviseur, ils croient pouvoir livrer des guerres qui sont déjà terminées. Ils n’ont pas compris que l’époque postmoderne, qui est celle du capitalisme absolu, est à la fois post-fasciste et post-communisme, post-bourgeoise et post-prolétarienne.

Nouveau capitalisme
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nous vivons à l’époque du capitalisme absolu, qui est bien différent de l’ancien capitalisme marchand ou industriel. Le vieux capitalisme avait encore un ancrage territorial, tandis que le capitalisme actuel est entièrement déterritorialisé. C’est la raison pour laquelle son alliance avec les classes moyennes a pris fin.
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Toutes les valeurs sont rabattues sur la valeur d’échange, ce qui revient à dire que rien n’a plus de valeur, mais que tout a un prix. L’Homo œconomicus est posé comme un être qui se réduit à sa fonction de producteur-consommateur et ne cherche dans la vie qu’à maximiser de manière égoïste son meilleur intérêt personnel.

Syrie
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La première condition pour ramener le paix en Syrie consisterait, non pas à y intervenir, mais à cesser d’y intervenir, afin de laisser les Syriens décider par eux-mêmes de leur sort. Il y a maintenant des années que les puissances occidentales font tout pour déstabiliser la Syrie dans le cadre d’un programme de balkanisation du Proche-Orient, dont on a déjà vu les résultats en Irak et en Libye. Il s’agit toujours de diviser pour régner. En Syrie, la rébellion a dès le début été soutenue, financée et armée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, appuyés par la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. Parmi ceux qui combattent dans ses rangs, on trouve un grand nombre de « djihadistes » étrangers. Les médias occidentaux, auxquels le prétendu « printemps arabe » n’a pas servi de leçon, cherchent à faire croire que le conflit oppose un dictateur à des foules désireuses d’instaurer la démocratie et la paix. C’est être aveugle sur la réalité des choses. La fin du régime alaouite en Syrie donnerait le signal du massacre des chrétiens et se traduirait par la montée en puissance des extrémistes musulmans dont vous parliez à l’instant.
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Dans une guerre civile, il n’y a pas de partie innocente. Le gouvernement syrien combat la rébellion avec une grande brutalité. Les rebelles multiplient eux aussi les massacres et les exécutions sommaires ; les médias occidentaux oublient simplement d’en parler.

Nouveau monde
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Nous sommes actuellement dans une époque de transition. Nous voyons se dissiper les contours de l’ancien monde, sans que se précise nettement celui qui vient. Je ne parlerais certainement pas de « fin des idéologies ». Le thème de la fin des idéologies, très à la mode il y a une trentaine d’années, ne vaut pas mieux que celui de la « fin de l’histoire » lancé par Francis Fukuyama. Toute société humaine a son idéologie dominante. Celle qui domine aujourd’hui est l’idéologie de la marchandise.
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L’approche de la société en termes de spectacle et de consommation... reste encore insuffisante pour décrire des évolutions plus récentes, comme la montée du technomorphisme dans la vie quotidienne (la dépendance à la télécommande et aux écrans), la féminisation de la vie sociale, la vogue des « victimes », la montée comme type humain de l’individu narcissique immature, la désinstitutionnalisation, la privatisation de la foi (la croyance religieuse n’est plus aujourd’hui qu’une opinion parmi d’autres), etc.
La notion de « société liquide » proposée par Zygmunt Bauman me semble intéressante (1). Elle explique bien comment le transitoire, le changeant, l’éphémère, tend dans tous les domaines à remplacer ce qui, auparavant, paraissait à la fois durable et constant. Les sociétés occidentales actuelles relèvent d’une logique à la fois « maritime » et commerciale : tout y est affaire de flux et de reflux, de communautés et de réseaux.

Journalistes
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Il est notoire que les compétences philosophiques de la plupart des journalistes tiennent à l’aise sur un confetti.

Nouveau gouvernement
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Quand les hommes politiques arrivent au pouvoir, c’est en général pour découvrir leur impuissance. Pour des raisons qui excèdent leurs personnes, je ne crois donc pas qu’il y ait beaucoup à attendre de François Hollande ou de Jean-Marc Ayrault. Je crains qu’ils n’aient pas la carrure nécessaire pour faire face à la crise généralisée dont la situation présente est un signe avant-coureur. Pour desserrer l’étau du système de l’argent, il faut beaucoup de volonté et beaucoup de moyens. A mon avis, les deux leur font défaut.

Note

(1) Société liquide: Cf. Benoît XVI dans son discours au monde de la culture à Venise en mai 2011 (benoit-et-moi.fr/2011-II)