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La lettre de Jeannine du 5 mai

Elle revisite les derniers évènements: le retour de Benoît XVI au Vatican et le début de polémique sur une prétendue cohabitation, les premiers "pas" de François, les medias... (6/5/2013)

     

Chère Béatrice,

Je viens vous faire part de mes réflexions après un début triomphal du pontificat.
Il fallait bien qu'un "évènement" vienne secouer la routine qui s'est installée au Vatican, en passant par l'intermédiaire de la maison Sainte-Marthe. Le retour du pape émérite qui a été pendant un certain temps annoncé sans précision de date a eu lieu, et je m'en réjouis.

Depuis le 1er mars j'ai appris à lire les journaux avec une plus grande disponibilité puisque je savais que les articles relatifs à mon centre d'intérêt: Benoît XVI, deviendraient plus rares et pour finir inexistants.
J'ai continué à ignorer les radios. Le Figaro a très vite diminué la production de ses articles ce qui était normal, seule la Croix nous a donné des nouvelles plus qu'abondantes au sujet du nouveau pape mais, là aussi, la longueur des articles est revue à la baisse. Frédéric Mounier, fidèle à lui-même, persiste à donner beaucoup de détails, collectionne les "fioretti" de François, revient sur les détails du monastère, mais signale le refus du pape pour des interviews par les médias, ce qui les force à interroger les fidèles place Saint-Pierre. C'est moins confortable et surtout moins valorisant que de pouvoir faire paraître une longue conversation en tête à tête avec le Saint-Père. Il paraît qu'en Argentine le cardinal Bergoglio n'avait accordé qu'une interview. Il souhaite peut-être contrôler l'utilisation faite de ses paroles; si c'est le cas il a parfaitement raison de n'accorder aucun crédit aux intermédiaires. Je n'écoute ni la radio ni les informations télévisées car les intervenants me fatiguent et m'énervent.
Je ne suis qu'une simple lectrice, même plus assidue à la télévision, et j'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi la présence de Benoît XVI fait naître tant d'inquiétude chez certains. Ce pape qui a été traité de nullité, pour lequel on mettait en exergue les moindres paroles et les plus petits gestes soigneusement recueillis par les médias et d'autres pour créer des polémiques, dites-moi pourquoi et comment cet homme sous-estimé, éreinté, calomnié, et décrit comme très largement incapable de diriger l'Eglise pendant son pontificat (je n'invente rien : gouvernance nulle et demande de démission par la vox populi) peut-il représenter un danger quelconque pour le Pape François?
Ce dernier me paraît savoir ce qu'il veut et ne pas céder aux sirènes des médias. Je pense que ce pontife est bien assez grand pour demander des conseils s'il le juge utile. De plus, il a un début de pontificat rempli de grâce avec l'appui des foules et des médias et je ne vois pas en quoi notre timide, discret et humble Benoît XVI peut se révéler être un problème. Ce ne sont pas deux mois passés à Castel Gandolfo qui vont avoir transformé notre pape émérite, épuisé par le gouvernement de l'Eglise, en une éminence grise avide de pouvoir, se cachant derrière des hauts murs pour exercer son influence.

Selon Georg Ratzinger son frère est heureux de ne plus être pape et je ne le vois pas manquer aux paroles qu'il a prononcées au moment de la renonciation. Son retour a été un modèle de discrétion et le sourire heureux de Mgr Gänswein en retrait derrière lui est très éloquent: Benoît XVI est revenu à "sa maison" avec sa famille pontificale et son secrétaire, c'est aussi simple que cela. Il est mieux certes, mais devant l'ampleur des attentes exprimées clairement il est certain que notre Benoît XVI a eu parfaitement raison de prendre sa décision. Il n'a pas agi sur un coup de tête, tout a été soigneusement mûri, soupesé, les mots utilisés fort à propos et l'homme de la dernière audience était certes ému mais pas déboussolé. La maîtrise était totale même si la voix laissait filtrer une certaine émotion. Il partait parce qu'il l'avait décidé, au jour et à l'heure fixés par lui; j'ai admiré sans réserve le courage, la dignité dont il a fait preuve. J'ai beaucoup pleuré, sur le grand vide qu'il laissait dans mon emploi du temps, sur l'absence de son sourire doux, réconfortant, sur ses paroles que j'écoutais et que je reprenais mais c'était une peine égoïste puisque je ne pensais pas qu'ainsi, en se retirant, il allait mener la vie qu'il avait toujours souhaitée. J'ai beaucoup réfléchi à tout cela et je pense avoir fait quelques progrès même si je lui reste indéfectiblement attachée et sensible à tout ce qui le touche.

Le cardinal Bergoglio devenu pape est "un père" pour les Argentins de son diocèse qui le vénèrent. Il a la réputation d'être l'homme qui sait résoudre les situations de crise, il travaille vite et beaucoup, il décide seul, habitué à une obéissance sans faille, jamais gêné par des remises en cause radicales. Il suffit de voir comment il a évacué le protocole fort rigide de la papauté au Vatican; messe tous les matins avec un public fort varié et un petit déjeuner pris dans le réfectoire avec toutes les personnes présentes et déjà installées, grandes célébrations plus courtes, avec moins de décorum, Angélus faisant suite directement, sans attendre midi, si la messe est dite en plein air. Je reconnais que j' aimais les offices sous Benoît XVI avec les magnifiques vêtements pontificaux, la grande musique sacrée, tout ce qui donnait si grande allure à la basilique mais plus d'une fois, voyant Benoît XVI s'éponger le front à cause de la chaleur mais aussi de la fatigue, j'ai souhaité que tout aille plus vite pour son confort personnel, rien qu'un souhait affectif de ma part.
Il y a le problème de la résidence plus simple qui offre l'avantage d'une plus grande liberté et un cadre de vie moins étouffant mais qui est en complète rupture avec les habitudes vaticanes et la présence du pape dans les appartements, mais comme il n'a pas de famille pontificale le 3è étage est peut-être sinistre. Il utilise le 2è étage pour les réceptions officielles (c'est dans l'ordre des choses) mais préfère pour lui plus de simplicité; je ne vois pas comment je pourrais être contre cela, moi qui ai dit si souvent que j'aurais fui le Vatican pour pouvoir respirer sans me sentir prisonnière. Je pense à C.P qui regrettait tant la messe privée et le petit-déjeuner avec Jean-Paul II dans le cadre majestueux de la chapelle du pape et des appartements pontificaux; un remake du savoir-faire du grand pape mais bigrement démocratisé. Ceci n'est pas une critique de ma part, je trouve que c'est en parfaite cohérence avec le souhait du pape: une Eglise pauvre pour les pauvres. Que cela fasse naître des inquiétudes, des questionnements me paraît évident; en quoi ces changements extérieurs sont-ils précurseurs de réformes touchant l'organisation interne et profonde de l'Eglise, en quoi peut-on les relier à la nouvelle évangélisation, à la modernisation de cette vénérable institution? Cet homme qui a un don extraordinaire pour la communication fait habiter l'Evangile avec lui (Zenit 22/3/13).
Dans la Croix du 13/3 D. Quinio écrit :
"En expliquant les raisons de son retrait Benoît XVI a tracé le profil de ce que devrait être son successeur : un intellectuel vigoureux, avec une expérience pastorale, capable d'organiser, de décider, de mener le dialogue avec son temps et les autres cultures.Surtout il lui faudra réorganiser la Curie ébranlée par Vatileaks, donner confiance aux fidèles catholiques et permettre aux indifférents de trouver dans l'Eglise catholique une force agissante pour le bien commun".

Avant de savoir qui lui succéderait et avant même que le conclave soit sur les rails, Benoît XVI dans son dernier discours à la Curie le 28 février avait fait cette promesse inédite de déférence et obéissance inconditionnelle envers le nouveau pape. Notre Benoît n'est pas une girouette qui, mouchoir à la main, promet sous le coup de l'émotion ce qu'il reniera demain. De plus il n'était pas tenu de donner cette assurance mais avec sa simplicité, son éducation raffinée, son élégance intellectuelle, cela coulait de source pour lui.
François est très prévenant à l'égard de Benoît XVI, et ce depuis son élection; en cela il est cohérent avec la demande d'amour, de soins qu'il préconise envers les pauvres, les enfants, les personnes âgées, or le pape émérite fait partie de cette catégorie.

Benoît XVI et François ne sont pas, pour moi, des rivaux. Ils sont deux maillons de la grande chaîne qui a commencé depuis deux mille ans. Nous ne sommes pas dans un cadre politique où chaque candidat doit ramasser le maximum de voix pour être élu et donner de la légitimité au parti qu'il représente. Je trouve que le pourcentage de 2/3 de l'Eglise pour un conclave est beaucoup plus représentatif d'une certaine cohésion d'idées que nos maigres 50% déjà si difficiles à obtenir et qui dans les cas les plus fréquents se terminent par deux blocs presque identiques, presque ennemis et un taux d'abstentions élevé. Personnalités différentes servies par une grande intelligence ils ont un même but : œuvrer pour faire connaître le vrai visage de l'Eglise et crier au monde que cette Eglise tant critiquée n'appartient pas aux hommes mais est uniquement de Dieu qui la dirige, la mène à travers ceux qu'Il choisit pour faire avancer la barque de Pierre.

Je n'ai pas apprécié que dans son billet du 30 avril F. Mounier dise : Il semble tout à fait possible que le pape François s'empare de cette première version pour publier sa première encyclique ...
Si le pape Ratzinger (ainsi désigné par Paolo Rodari) [cf. L'encyclique inachevée de Benoît ] a remis à son successeur l'ébauche de son ultime encyclique le 23 mars, l'utilisation du verbe "s'emparer" me dérange. Il n'y a pas vol puisque l'auteur remet les documents pour qu'ils servent le cas échéant.
Au milieu de tous les qualificatifs louangeurs tant pour le nombre de fidèles présents que pour leur enthousiasme il se glisse parfois un léger rappel des grands espoirs fondés sur ce pontife qui a changé beaucoup de choses pour le contact avec la foule (apprécié et excellent peut-être pour relancer la foi et changer l'opinion défavorable sur l'Eglise) mais ne paraît pas pressé de foncer en aveugle sur les réformes fondamentales. Je trouve qu'il a raison. Réformer la Curie, supprimer l'IOR ou le remplacer, étendre le pouvoir des évêques et leur champ d'action pour une plus grande collégialité sont des réformes importantes puisqu'il en va du visage et de la constitution de l'Eglise future et il convient de ne pas les traiter légèrement. Par contre je ne suis pas du tout certaine que pour les catholiques si malheureux au sein de cette Eglise qui ne sait que dire "non" ce soit la plus grande préoccupation. Il faudrait faire passer, en priorité, les éternelles revendications qui, d'après ce que j'ai pu lire sur François, n'entraînent pas des prises de position positives de sa part. Il a des idées très arrêtées sur ces sujets sensibles. Quand on lit ses paroles précises, brèves, quand on voit son insistance pour tout ramener au Christ, à l'Eglise, brader tout ce qui touche au dogme pour plaire ne me paraît pas faire partie de ses intentions.
L'avenir nous permettra de voir si l'Eglise se dirige vers une voie très permissive (celle souhaitée par certains) ou si elle avance à pas comptés avec des réformes nécessaires et respectueuses de cette grande maison mais fidèles à son fondateur. A la grâce de Dieu!

Je suivais Benoît XVI avec les yeux du cœur, je m'informe sur le pape François afin de me faire "mon" opinion, différentes sources offertes par l'ordinateur et la télévision (si j'en retrouve le goût) et deux quotidiens m'offrent les éclaircissements dont j'ai besoin. Pour Benoît XVI qui reste mon grand souci il y a votre site qui est une vraie mine d'or. En cela je reste fidèle à ce que je suis: dire ce que je pense mais ne pas reproduire avec le Saint-Père ce qui a été infligé à Benoît XVI, une véritable ignominie. Je vous donne toutes ces précisions car je ne voudrais pas que vous puissiez croire que j'abandonne notre Benoît. Je suis heureuse que sa première impression sur le Monastère restauré soit favorable; il va être chez lui, au calme et cela montre combien la charge qu'il a assurée pendant presque huit années a dû lui peser et apporter de contraintes à sa nature profonde. D'une certaine façon il doit se sentir plus léger. J'espère qu' un chat jouant dans le jardin lui donnera envie d'aller le voir pour lui parler en allemand; cet animal, lui, aura la chance d'entendre cette voix si douce et apaisante.

Bonne après-midi et bonne chance pour votre chasse aux trésors reliés à Benoît XVI.

Jeannine