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Rio, le test de François

Les JMJ de Rio, c'est dans deux mois. Comme il en a l'habitude pour chaque voyage international du Pape, John Allen brosse un tableau intéressant (26/5/2013).

Intéressant, oui. Mais je suis prête à parier que (pour des raisons qui persistent à m'intriguer), l'accueil - des médias, pour ce qui concerne les jeunes, je n'ai aucun doute - sera triomphal.

     
Rio: Sous le battage médiatique, un test majeur pour François

http://ncronline.org
John L. Allen Jr.
24 mai 2013
(ma traduction)
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Dans exactement deux mois, le Pape François fera son premier voyage intercontinental à Rio de Janeiro, au Brésil, pour les Journées mondiales de la Jeunesse. Un évènement qui s'annonce comme la plus grande éruption catholique du début du 21e siècle, une grande célébration du premier pape latino-américain de l'histoire, dans ce qui est déjà la version catholique de Lollapalooza.

À un certain niveau, il est tentant de commencer à écrire dès maintenant une «success story». Les foules seront énormes et enthousiastes, le Brésil cherche désespérément à ce que l'événement se passe bien pour mettre en valeur son statut de superpuissance émergente du monde en voie de développement (et comme un galop d'essai pour la Coupe du Monde l'année prochaine et les Jeux Olympiques en 2016), et François a déjà prouvé qu'il est plus que prêt pour le prime time.

Sous le battage médiatique, cependant, il y a quatre défis qui attendent le nouveau pontife sur cette sortie, et aussi nombreux que soient les visuels séduisants et les témoignages émouvants que génère le voyage, le triomphe n'est pas forcément évident.

Relations Eglise/Etat

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La tendance générale récente en matière de politique latino-américaine est ce que les analystes ont appelé la «vague rose», en référence au succès des partis de centre-gauche, représentant une rupture avec le «consensus de Washington» en faveur de l'ouverture des marchés et des privatisations. En général, ces régimes mélangent une sorte de capitalisme "géré" et des positions allant de modérées à progressistes sur les questions des (droits des) femmes, les politiques de reproduction (ndt: lire: avortement et contraception!!) et les droits des gay.
Sur les 21 nations considérées comme constituant l'Amérique latine, 14 sont actuellement gouvernées par les partis de gauche, y compris le pays hôte de François, le Brésil.
La question essentielle pour l'Église est de savoir si elle peut se tailler des relations constructives avec ces gouvernements, ou si les liens seront rompus par des différends sur la politique sociale. François a une certaine expérience dans ce domaine, ayant eu une relation notoirement ambivalente avec le gouvernement de Cristina Kirchner en Argentine, en particulier sur le mariage gay.
À bien des égards, le Brésil est un banc d'essai idéal.

Lorsque la présidente Dilma Rousseff a été élue en 2010, c'était au-dessus de l'opposition des évêques du pays, principalement ancrée dans les craintes qu'elle ne légalise l'avortement (l'avortement n'est autorisé au Brésil qu'en cas de viol et de menaces à la vie de la mère.) Le diocèse de Guarulhos, par exemple, a publié une déclaration au cours de la campagne se référant à Rousseff comme la «candidate de la mort».
A un moment, les choses sont devenues tellement tendues qu'un collaborateur de l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, le mentor de Rousseff, a mis en garde les évêques que le concordat de l'Église pourrait être révisé s'ils maintenaient leurs attaques. Lorsque Benoît XVI a accepté la démission de Mgr Luis Carlos Eccel, évêque de Huntingdon en Novembre 2010, cela a été largement perçu comme une punition pour son soutien à Rousseff. (Eccel avait seulement 58 ans à l'époque, et ne démissionnait pas pour raisons de santé.)
Depuis l'élection, cependant, il n'y a pas vraiment eu d'affrontement titanesque Eglise/Etat. Rousseff a reculé dans son soutien à l'extension des droits à l'avortement, et l'année dernière elle a fait voter un loi controversée sur les registres de grossesses, rejetée par des groupes pro-choice pour un tas de raisons, y compris parce qu'elle définissait le foetus comme une personne.
En outre, Rousseff s'oppose au mariage homosexuel, favorisant plutôt les unions civiles - en substance la même position que le Cardinal Jorge Mario Bergoglio en Argentine. De nombreux analystes accusent Dilma Rousseff d'aller vers le centre, en raison de pression non seulement de la part des catholiques, mais aussi des mouvements évangéliques et pentecôtistes de plus en plus influents du Brésil .

En termes de politique économique, un Pape qui aspire notoirement à «une Église pauvre pour les pauvres» devrait trouver un peu plus de matière à applaudir.
Tandis que le Brésil battait des records d'inégalité des revenus dans les années 1990, il a fait des progrès significatifs au cours de la dernière décennie. Selon la Banque mondiale, le revenu de la tranche des 10 pour cent plus pauvres a augmenté de près de 7 pour cent par an, soit près de trois fois la moyenne nationale de 2,5 pour cent. Pendant ce temps, le revenu des 10 pour cent les plus riches du pays n'a augmenté que de 1,1 pour cent par an. Les statistiques du gouvernement disent que 28 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, tandis que 36 millions de Brésiliens sont entrés dans la classe moyenne. Dans l'ensemble, ceci a été réalisée sans sacrifier la compétitivité; en dépit d'un récent ralentissement, la croissance du PIB au Brésil a été en moyenne de 4,5 pour cent par an au cours de la dernière décennie.

Toutes choses considérées, Rousseff et son Parti des travailleurs se profilent comme le type de régime de centre-gauche avec lequel le pape doit être en mesure de faire des affaires. Les signaux qu'il envoie sur le voyage, en particulier sa rencontre du 22 Juillet avec Rousseff, pourraient faire figure de modèle pour des relations Église/État plus mûres.

Le défi évangélique et pentecôtiste

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Le plus grand réalignement religieux de la fin du 20e siècle a sans doute été la transition de l'Amérique latine, passant d'une région catholique homogène à un marché religieux concurrentiel, principalement à cause des gains massifs chez les pentecôtistes et les évangéliques. À un moment donné, dans les années 1990, les évêques latino-américains estimaient qu'ils perdaient 8.000 personnes chaque jour vers ces divers mouvements protestants.
Cette réalité met François face à trois tests distincts.

- Tout d'abord, les évêques latino-américains ont réfléchi sur les nouvelles réalités du continent dans un documents adopté lors de leur réunion de 2007 à Aparecida, au Brésil, le coeur de ce qui était l'appel à une «Grande Mission Continentale». L'idée était de faire revivre l'énergie évangélique de l'Église catholique, rompant avec le modèle clérical d'ouvrir les portes et d'attendre que les gens se présentent, et de dépasser le pentecôtistes en termes d'agitation missionnaire de rue.
Bergoglio fut l'un des principaux auteurs de ce document et il reste cher à son cœur, comme en témoigne le fait qu'il en a présenté une copie à tous les dirigeants latino-américains qu'il a rencontrés depuis qu'il est devenu pape.
À ce jour, cependant, la «Grande Mission Continentale» reste plus une ambition qu'un fait accompli. Reste à voir si François peut inspirer un nouvel esprit missionnaire en Amérique latine, et le voyage à Rio s'annonce comme un "shakedown cruise" (baptême de la mer) initial.

- Deuxièmement, la progression des évangéliques et des pentecôtistes pousse également l'Église catholique à développer de nouveaux modèles d'œcuménisme. Le paradigme post-Vatican II pour les relations avec les autres chrétiens a été le dialogue avec l'orthodoxie et les Eglises de la Réforme, en particulier l'anglicanisme. Romme se fait un point d'honneur que l'archevêque de Canterbury et le patriarche de Constantinople soient devenus des protagonistes lors d'événements majeurs du Vatican.
Statistiquement parlant, cependant, ces dénominations sont essentiellement des "détails" dans l'histoire chrétienne de notre époque.
La Communion anglicane a une audience mondiale de 80 millions de fidèles, tandis que le patriarche œcuménique de Constantinople - y compris non seulement la Turquie, mais la diaspora orthodoxe - ne peut prétendre dépasser 3 millions de fidèles.
Le Pentecôtisme, quant à lui, a quelque 300 millions de fidèles, et si vous ajoutez les Charismatiques dans les principales Eglises, l'empreinte mondiale de la spiritualité pentecôtiste dépasse 500 millions de personnes.
À ce jour, les relations du catholicisme avec le monde évangélique et pentecôtiste restent sous-développées, en partie parce qu'il n'y a pas de structure de officielle de direction, en partie parce qu'il y a un fort sentiment anti-romain dans certains milieux évangéliques et pentecôtistes.
Pourtant, à bien des égards, les catholiques, les évangéliques et les pentecôtistes ont des intérêts communs, en particulier vis-à-vis de la montée du laïcisme. Au Brésil, par exemple, la croissance de l'évangélisme et du pentecôtisme s'est refroidie, tandis que le groupe religieux qui connaît l'expansion la plus rapide dans le pays est les «nones», c'est-à-dire les Brésiliens qui disent qu'ils n'ont aucune affiliation religieuse.
À certains égards, cela semble une situation faite sur mesure pour le passage du dialogue théologique au dialogue "inter-culturel" tracé par Benoît XVI.
A quel point François est capable de réorienter le rayonnement œcuménique vers le christianisme non-catholique dans le monde sera un instrument de mesure clé pour le succès de son pontificat. À l'heure actuelle il n'y a pas de rencontre oecuménique dans l'agenda du pape, ce qui ne peut manquer de paraître comme une omission assez flagrante. Il reste à voir s'il peut faire ou dire quelque chose en dehors du programme officiel pour générer un nouvel élan œcuménique.

- Troisièmement, l'Église catholique en Amérique latine est également confrontée au défi d'apprendre un nouveau langage. Elle ne peut plus parler en tant qu'arbitre quasi-officiel de la moralité publique. C'est maintenant un acteur parmi d'autres dans un paysage religieux complexe, mais qui continue de représenter les sentiments religieux d'un bloc important de la population.
L'autorité d'establishment, en d'autres termes, doit céder le pas à l'autorité de témoignage. A Buenos Aires, Bergoglio a été parmi les pionniers dans la navigation de cette transition, positionnant l'Eglise comme une force sociale crédible fondée non pas tant sur des déclarations magistrales que sur son efficacité à administrer les couches les plus négligés de la société.
A présent, il fait face à la tâche de «changement d'échelle» de cette approche à travers le continent, avec Rio qui s'annonce comme sa grande performance.

Les médias et le message

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Jusqu'ici François est encore auréolé de l'histoire d'amour avec la presse, surtout parce que les images au début de son pontificat ont été irrésistibles - repoussant l'appartement papal, appelant son cordonnier à Buenos Aires pour commander ses propres chaussures, et ainsi de suite (ndt: toutes histoires évidemment mises en scène à dessein.... mais par qui, et dans quel but?).
Il est également frappant que depuis que François est entré en fonction à la mi-Mars, le flux habituel des fuites en provenance du Vatican dans les médias italiens s'est largement tari. Cela donne à penser qu'il suit avec succès son scénario de Buenos Aires, prenant ses décisions lui-même, gardant ses cartes dans sa manche, et consultant uniquement ceux à qui il peut faire confiance pour "ne pas laisser sortir le chat du sac" (ndt: ou bien que les auteurs des fuites croient être arrivés à leurs fins!).
À ce jour, cependant, l'exposition de François dans les médias a été principalement axée sur ses propres mots, autour d'événements du Vatican et d'anecdotes que ses amis ont choisi de révéler. Rio sera la première fois où d'autres auront une part dans l'agenda du pape, et, tandis qu'il peut certainement compter sur les autorités brésiliennes pour promouvoir un scénario positif, il n'en sera pas nécessairement de même de la part des médias.

En principe, François prendra quelques questions des journalistes à bord de l'avion papal, ce qui sera particulièrement intéressant s'il se complaît à son penchant de parler à l'improviste. Benoît XVI a appris à ses dépens que même le fait d'avoir les questions à l'avance n'empêche pas nécessairement les maux de tête. Son voyage de 2009 pour l'Afrique a été ruiné par la controverse sur sa remarque dans l'avion, selon laquelle les préservatifs rendent encore pire le problème du SIDA

Le voyage de Benoît XVI au Brésil en 2007, la dernière fois qu'un pape a visité le pays, a également connu un dur moment quand il a dit que l'arrivée du christianisme «n'a, à aucun moment, impliqué une aliénation des cultures pré-Colombiennes, et n'était pas l'imposition d'une culture étrangère».
Propos qui ont suscité la controverse parmi les groupes autochtones et les Brésiliens qui gardent un souvenirs amer de la période coloniale, et le pape a été contraint de reconnaître une semaine plus tard que «des crimes injustifiables» avait été commis durant la conquête européenne (ndt: j'avais suivi le voyage ici et cetté énième polémique était un pur montage. J Allen fait allusion à la catéchèse du 23.5.2007, celle où le pape fait habituellement le récit de son voyage ).
François a déjà eu un avant-goût de l'eau chaude que des propos irréfléchis peuvent générer, quand il a dit à un groupe de 800 religieuses (ndt: celles de la LCWR), le 8 mai qu'elles devraient être mères plutôt que «vieilles filles», ce que certains ont pris comme une référence désobligeante aux religieuses.

Ce champ de mine potentiel n'a pas vraiment explosé, en partie parce que le simple fait de rencontrer les religieuse a été considéré comme un geste de rapprochement, en partie parce que les détracteurs internes sont toujours enclins à donner à François le bénéfice du doute (à titre d'expérience, imaginez ce qui serait arrivé si Benoît l'avait dit!)

A Rio, il sera intéressant de vérifier si ce «pape improvisateur» qui aime à dévier du script, réussira à éviter de marcher sur son propre message lors la plus grande sortie publique de sa jeune papauté.

"Youth appeal"

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Compte tenu du genre de jeunes catholiques qui seront présents, ils vont être ravis d'être en présence du Pape, peu importe de qui il s'agit.

Ceci dit, certains papes établissent avec la jeunesse un lien plus vivant que d'autres; Jean-Paul II étant l'exemple le plus évident d'un pontife qui "avait le contact" (ndt: une remarque assez vaine, le phénomène étant récent, seuls deux pontifes sont concernés, et les 3 JMJ auxquelles Benoît a participé ont été de francs triomphes).
Comme François veut inspirer une Eglise plus missionnaire, sa capacité à galvaniser de jeunes apôtres sera cruciale, et Rio sera le premier vrai test sur sa capacité à atteindre cette cohorte.
François n'a jamais participé à des Journées Mondiales de la Jeunesse avant, tant comme prêtre que comme évêque. Il n'était même pas présent à l'édition de 1987 à Buenos Aires, les premières JMJ hors d'Europe, coïncidant avec une période où le Père Bergoglio était en Allemagne pour des études sur Romano Guardini.
En réponse à une question de NCR, le père jésuite Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a déclaré le 14 mai que François n'a jamais assisté aux Journées Mondiales de la Jeunesse principalement en raison de sa préférence de ne pas voyager hors d'une «stricte nécessité», notant que comme évêque et ensuite cardinal, il n'était venu à Rome que quand c'était absolument nécessaire.
Son absence lors des précédentes Journées Mondiales de la Jeunesse, a dit Lombardi, «ne doit pas être associé à un manque d'intérêt pour le travail pastoral auprès des jeunes», ajoutant qu'il ya «de nombreux témoignages significatifs» de sa préoccupation pour les jeunes.

Si vous devez faire vos débuts aux Journées mondiales de la Jeunesse, apparaître comme pape est évidemment une manière singulière de le faire. François a déjà un profil de «pape des pauvres».
La question est maintenant de savoir si, après Rio, il sera également connu comme «le pape des jeunes».