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MORT D'UN TÉMOIN DE L'EGLISE PERSÉCUTÉE
 

L'archevêque émérite de Pinsk-Mohilev, le cardinal Kazimierz Swiatek, s'est éteint le 21 juillet à 97 ans. En 2003, il avait raconté son expérience dans le goulag soviétique. Un récit bouleversant, reproduit à l'époque par S. Magister (23/7/2011).




 



 

Dans le dernier billet de son blog personnel en italien (Settimo Cielo), Sandro Magister écrivait:

Kazimierz Swiatek. Le Noël d'un martyr

"Une fois, alors que j'étais dans le camp de Vorkouta, j'organisai la veillée de Noël. J’apportai mes deux portions quotidiennes de pain, mises de côté les jours précédents. Les autres, ils étaient une douzaine, offrirent ce qu'ils avaient reçu de leurs familles dans les colis alimentaires. Nous avions également les hosties. Je m’adressais à l'assistance quand soudain la porte s'ouvrit, et un officier du régime fit irruption, gourdin à la main, et avec lui un soldat armé d'un fusil avec une baïonnette. "Que faites-vous?" a-t-il demandé. Je me suis levé pour expliquer le rituel de Noël. Puis, tenant d'une main une hostie, je lui demandé s'il la voulait aussi, échangeant les vœux de Noël avec nous. C'était une situation insolite et pleine de tension: nous deux, les mains tendues, moi avec l'hostie, lui avec son gourdin. L'officier rangea le gourdin dans son étui, s'excusa et dit qu'il ne pouvait accepter l'hostie, étant en service, mais il nous permit de poursuivre notre veillée et quitta la salle avec le soldat. Le lendemain matin, j'ai été expulsé et envoyé à Vorkouta dans la lointaine toundra, au nord.".

Ce sont quelques lignes du récit autobiographique, que le cardinal Kazimierz Swiatek, ancien archevêque de Minsk-Mohilev en Biélorussie, a fait pour le journal «l'Avvenire», le 11 Novembre 2003, et qui est reproduit dans son intégralité par chiesa.espresso.repubblica.it/...

Cet homme de Dieu est mort le mardi 21 Juillet, 2011. À l'âge de 97 ans, il a eu son Noël à la vie éternelle.

Dans un télégramme aux fidèles du Bélarus, le pape Benoît XVI a rappelé "le témoignge courageux rendu au Christ et à son Église en des temps particulièrement difficiles, ainsi que l'enthousiasme prodigué plus tard en contribuant au chemin de renaissance spirituelle de ce pays."

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A l'époque, le célèbre blog www.chiesa n'était pas multilingue, comme il l'est devenu.
J'ai donc traduit l'introduction de Sandro Magister, et le bouleversant récit (il en vaut la peine!!) qui fait monter les larmes aux yeux.
Le courage de cet homme, sa foi inébranlable, simple et pure (là, pas de querelles théologiques ou liturgiques!), mais aussi l'indifférence de l'Occident "qui savait" font d'un seul coup paraître bien mesquines nos toutes petites récriminations, nos misérables polémiques . Nous ne savons pas encore ce qu'est la vraie persécution!




 

Dans les chaînes pour Jésus: journal de prison du cardinal Swiatek
L'archevêque de Minsk raconte ses années dans le goulag soviétique. "L'Occident savait mais n'intervenait pas. Et nous nous sentions abandonnés et impuissants"
Sandro Magister (source)
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Kazimierz Swiatek est un vieil homme de près de 90 ans, archevêque de Minsk-Mohilev en Biélorussie et il est cardinal depuis 1994. On sait peu de chose de lui. Sa biographie était mince. Etait. Jusqu'à ce que, il y a quelques jours, l'histoire de sa vie étonnante paraisse dans le journal de la conférence des évêques d'Italie, l' "Avvenire".
Le Cardinal Swiatek s'est raconté lui-même - les années les moins connues de sa vie - s'adressant à un public de catholiques du l'ex-Union soviétique, réunis à Kiev pour une conférence. Luigi Geninazzi, l'envoyé de l' «Avvenire», était présent, il a transcrit l'histoire et l'a publié le 11 Novembre.
Dans ce document, Swiatek raconte ses années de prison et ensuite de travaux forcés: deux ans dans le goulag de Marinsk, sept dans les mines de Vorkouta, sur le cercle arctique, et les dernières dans la taïga sibérienne. Et ensuite, le retour à la maison, parmi les églises détruites, mais aussi les fidèles indomptables. Comme lui. Chêne de l'esprit résistant à toutes les tempêtes de la persécution.
En le faisant cardinal en 1994, le pape Karol Wojtyla a accompli un de ses gestes forts de signification. L'Église des martyrs n'est pas seulement faite de saints dans le ciel, elle a ses hommes valeureux sur terre. Surtout dans les régions que le reste du monde - y compris catholique - regarde avec indifférence. Avec Swiatek, un autre cardinal Wojtylien a la même empreinte: le Vietnamiens Nguyen Van Thuan, évêque de Saigon emprisonné pendant treize ans après la «libération» de son pays, mort en exil à Rome en 2002, également avec une biographie qui rappelle un chapitre de Soljenitsyne maisaussi les actes des premiers martyrs chrétiens
De Biélorussie, Jean-Paul II a béatifié vingt-trois martyrs, tués pendant l'occupation nazie de 1941-1943. Onze d'entre eux, toutes sœurs, offrirent leur vie en échange de la libération de centaines de catholiques qui avaient été faits prisonniers. Elles furent fusillées. Puis vinrent les années de plomb de Staline et de ses successeurs. Une oppression antireligieuse qui n'a pas entièrement cessé même après la chute du mur de Berlin et le retour de la Biélorussie à l'indépendance, comme le documentent des rapports de l'Aide à l'Eglise en Détresse ou de l'Institut Keston.
Le Cardinal Swiatek en est un témoin. Voici son histoire:




 

Mon long hiver dans les goulags de Staline
par Kazimierz Swiatek
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A l'époque de Staline, toute l'Union soviétique n'était plus qu'un vaste goulag, un interminable enclos de fils barbelés, où des milliers de reclus dans les camps mouraient à cause des conditions inhumaines de vie et de travail.
Après avoir été deux fois dans les prisons soviétiques, et deux mois dans la cellule des condamnés à mort, j'ai été envoyé dans un camp de travaux forcés de régime spécial. Tout d'abord, dans la taïga sibérienne, dans la toundra du Grand Nord plus tard. J'ai été maintenu en isolement extrême, et cela ne m'a permis ni de rencontrer le moindre prêtre catholique, ni d'administrer le sacrement de la confession. Ce n'est que dans les dernières années de camp que j'ai pu obtenir l'hostie et le vin pour célébrer la messe en secret. Comme calice, j'utilisais une tasse en céramique, tandis que je gardais l'hostie consacrée à apporter aux catholiques dans une boîte d'allumettes. Je me souviens d'une messe de Pâques célébrée avec quelques prisonniers catholiques dans une buanderie, dans des nuages de vapeur. De toute ma vie sacerdotale, c'est ma Pâque la plus chère.

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Une fois, alors que j'étais dans le camp de Vorkouta, j'organisai la veillée de Noël. J’apportai mes deux portions quotidiennes de pain, mises de côté les jours précédents. Les autres, ils étaient une douzaine, offrirent ce qu'ils avaient reçu de leurs familles dans les colis alimentaires. Nous avions également les hosties. Je m’adressais à l'assistance quand soudain la porte s'ouvrit, et un officier du régime fit irruption, gourdin à la main, et avec lui un soldat armé d'un fusil avec une baïonnette. "Que faites-vous?" a-t-il demandé. Je me suis levé pour expliquer le rituel de Noël. Puis, tenant d'une main une hostie, je lui demandé s'il la voulait aussi, échangeant les vœux de Noël avec nous. C'était une situation insolite et pleine de tension: nous deux, les mains tendues, moi avec l'hostie, lui avec son gourdin. L'officier rangea le gourdin dans son étui, s'excusa et dit qu'il ne pouvait accepter l'hostie, étant en service, mais il nous permit de poursuivre notre veillée et quitta la salle avec le soldat. Le lendemain matin, j'ai été expulsé et envoyé à Vorkouta dans la lointaine toundra, au nord.


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Pendant dix ans, j'ai été complètement isolé de la réalité du monde, en particulier de la réalité de la Biélorussie et de son Église. Avec un acharnement vraiment satanique, tous ceux qui croyaient en Dieu et qui essayaient de suivre les rites religieux étaient persécutés. Et ceux qui, en dépit des terribles persécutions, persévéraient dans la foi se sentaient abandonnés et impuissants.
L'Occident, bien qu'il connût la situation de l'Eglise en Union soviétique, poussé par certaines raisons, peut-être politiques, n'est pas intervenu dans la défense des croyants opprimés et persécutés par le régime. Pourtant, l'Eglise en Biélorussie, même sans ses structures ecclésiastiques, souffrante, parfois sanglante, est restée vivante et active.

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Et vint le dernier jour de mon séjour dans le camp. Je fus emmené sous escorte au bureau du KGB, à l'extérieur du camp. Derrière le bureau était assis un capitaine et j'étais le dos au mur. L'officier examina soigneusement un dossier volumineux avec la documentation sur mes séjours dans les prisons et les camps de concentration. De temps en temps, il levait les yeux vers moi, me scrutant avec un regard surpris. Ayant atteint la dernière page, il me demanda: "Comment as-tu pu supporter cela et rester en vie?". Il ne pouvait pas le comprendre, mais les règles du KGB étaient simples et sans ambiguïté: pour quelqu'un comme moi, on n'allait pas gaspiller une balle, pour m'éliminer, une fatigue inhumaine et les conditions du camp suffisaient. D'où son immense étonnement.

Je lui répondis: "La vie, capitaine, je la dois à ma foi inébranlable en Dieu. C'est lui qui m'a sauvé." Le capitaine dit: "Mais Dieu existe?". Puis il resta pendant un long moment à réfléchir. C'est de cet homme que dépendait la décision sur mon sort. Je me tenais contre le mur et priais Dieu de m'aider, de me sauver la vie. Après une longue réflexion, il me regarda avec un air de bienveillance (c'était la première fois qu'un membre du KGB montrait une telle attitude envers moi), prit la plume, et d'un geste large, il apposa sa signature. Puis, sur un ton aimable, il déclara: "Vous êtes libre." J'ai quitté le bureau sans escorte, j'étais libre! Et aussitôt, j'ai élevé une prière de remerciement: Dieu, comme tu es puissant, comme tu es bon!

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Et ainsi, en 1954, après dix ans dans le goulag, je suis retourné à Pinsk. J'entrai dans la cathédrale où, en 1939, lors de l'ordination à la prêtrise, j'avais juré obéissance et fidélité à Dieu. Ce serment incluait toute ma vie future. C'était un dimanche. Dans les premiers rangs, il y avait une trentaine de femmes âgées. J'étais appuyé contre un pilier. A l'autel, un petit homme vieux et boiteux s'affairait: il préparait l'autel pour la messe et le faisait d'une manière étrange. Il avait posé la patène et le calice sur l'autel, allumé les cierges, sonné la cloche à la porte de la sacristie ... mais devant l'autel, on ne voyait aucun prêtre. Les femmes se sont levées, et l'une d'elles, faisant le signe de la croix, a annoncé à haute voix le nom du dimanche et s'est mise à réciter avec les autres prières d'introduction de la sainte messe. Ainsi, c'était une messe sans prêtre! Une femme se leva et commença à lire l'Évangile. Je ne pus me retenir. Je fondis en larmes. Comment est-ce possible, me suis-je dit: le prêtre est là, appuyé contre une colonne, incognito, et une autre personne lit l'Evangile!
Après cette messe extraordinaire, je suis allé dans la sacristie pour parler au vieil homme. Il en ressortit que six ans plus tôt, le curé de la cathédrale avait été arrêté et condamné à 25 ans de prison. J'ai demandé s'ils voulaient un prêtre. Oui, mais ne savaient pas où le chercher. Alors j'ai dit que j'étais prêtre et que je venais d'être libéré des camps soviétiques. J'ai donc commencé mon service comme pasteur d'âmes. J'ai averti les autorités, afin qu'elles m'enregistrent comme curé de la cathédrale. De ce moment, j'ai été arrêté plusieurs fois dans la rue, on m'a fait monter en voiture et emmené au quartier général du KGB, où on me gardait jusqu'à l'aube. Ils cherchaient à me convaincre de quitter la prêtrise, promettant en échange des conditions plus favorables. A mes refus catégoriques, ils répondaient en me menaçant de me renvoyer en prison. Après cinq mois, ils ont renoncé à leurs tentatives et m'ont donné la permission d'exercer les fonctions de curé à Pinsk.

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La paroisse s'étendait du fleuve Bug jusqu'au Pacifique. Il n'était pas rare que la cathédrale reçoive la visite de fidèles qui vivaient à des milliers de km de Pinsk. Dans les campagnes et dans les villages, les fidèles se rassemblaient dans les maisons, avec les volets fermés, pour célébrer ensemble la messe. Toujours le soir, on se réunissait au cimetière pour chanter des chants religieux, sans élever la voix afin de ne pas être entendu dans le bureau administratif du district. La plupart du temps, on récitait le chapelet avec des grains faits de mie de pain.
J'ai toujours considéré le témoignage de foi des femmes comme l'une des choses les plus précieuses. Ce sont elles, les proverbiales «babouchkas» qui ont réussi à garder la foi en Dieu dans les années de persécution, quand il manquait à la fois d'églises et de prêtres. C'est à elles que nous devons être reconnaissants pour la foi qui n'a pas disparu à jamais de cette terre si lourdement opprimée, pour les petits enfants et arrière-petits-enfants à qui elles ont au moins appris le Notre Père et le Je vous salue Marie. Même si elles n'ont pas payé leur foi de leur sang, toute leur vie porte les marques du martyre. Ce sont des figures héroïques, même si personne ne va leur élever un monument. Honneur et gloire à vous, chères, bien-aimées, babouchkas en or!


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Après 1991, ayant été fait archevêque, j'ai commencé à parcourir le vaste territoire du Belarus, faisant parfois plus de mille Km par jour, découvrant d'innombrables témoignages de foi.
Dans une paroisse, un jeune prêtre venu de Pologne vint à ma rencontre. L'église était un bâtiment à moitié détruit, sans toit ni portes. Devant la façade, il y avait un groupe d'une vingtaine de femmes. Elles s'approchèrent de moi en courant et à mon grand étonnement, se jetèrent à terre à mes pieds. J'en fus bouleversé: pour la première fois dans leur vie, elle rencontrait un évêque catholique devant leur église détruite. Puis elles retournèrent à la place où elles étaient avant, et d'une voix tremblante, se mirent à chanter un hymne marial. Pouvais-je, moi, évêque, retenir mes larmes en voyant ce témoignage de fidélité à Dieu et à l'Eglise? Puis j'ai demandé au jeune prêtre ce qui lui avait fait abandonner son pays natal pour venir en cet endroit désolé. "Mon père, j'appartiennent à la catégorie des fous de Dieu", fut sa réponse. Alors, je l'ai embrassé, et j'ai murmuré à son oreille: "Eh bien, cher père, sois fou jusqu'au bout". Et il l'a été! Il a déjà relevé des ruines trois églises que je n'ai pas encore réussi à re-consacré.

Dans l'intervalle, nous avons vu la chute de l'Union soviétique et la naissance de la république indépendante de Biélorussie. Lors d'une audience spéciale pour les pèlerins en provenance de la Biélorussie, le Saint-Père a voulu rendre hommage à tous ceux qui, au prix de souffrances indicibles et même du martyre, ont réussi à conserver leur dignité de croyants. Jean-Paul II nous a montré la mémoire qui rachète! Les temples anciens et nouveaux sont remplis de fidèles, y compris un nombre croissant d'enfants et de jeunes qui participent activement au catéchisme. Je remercie infiniment Dieu qui m'a concédé la grâce de survivre aux longues années de persécution et d'être toujours un témoin participant à la libération, à la renaissance et au développement de l'Église en Biélorussie.




Note

Je lis sur le site de l'ambassade de France en Biélorussie ce message de l'ambassadeur M. Michel RAINERI:

Décès du cardinal Kazimierz Świątek. Message de condoléances de l’Ambassadeur de France en Biélorussie

Je présente mes plus sincères condoléances à l’église catholique biélorusse après le décès du cardinal Kazimierz Świątek.
Le cardinal Świątek avait mené un combat inlassable au service de Dieu et des hommes. C’est lui qui a redonné l’espoir de la foi aux fidèles catholiques de la Biélorussie indépendante.
La France avait tenu à honorer le cardinal Świątek pour sa lutte en faveur de la liberté religieuse et de la liberté tout court en le faisant commandeur de la légion d’honneur en juillet 2006.
C’est avec une grande émotion que je serai lundi aux obsèques du cardinal Świątek, un homme qui honore le peuple biélorusse tout entier.




 
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