Quatre années de Pontificat
Le Père Scalese dresse un "bilan". (18/4/2009)
Quatre années se sont écoulées depuis son accession à la Chaire de Pierre.
Ce n'est pas forcément le moment de dresser un "bilan", la période de "quatre ans" étant évidemment arbitraire - et le mot suscite chez moi une certaine méfiance.
C'est pourtant ce que fait ici le père Scalese, précédant sa démarche de quelques précautions nécessaires.
Disons tout de suite - ou rappelons - que le père Scalese n'est pas un inconditionnel (comme moi!). De son propre aveu, il n'est pas papolâtre (mais moi non plus, puisque mon admiration s'adresse à l'homme, et pas au Pape), ce qui donne évidemment plus de poids à ses analyses, indépendamment de son appartenance au milieu ecclésial..
Il émet des réserves raisonnables, voire des critiques constructives.
Vu le ton général que je donne à ce site, on pourrait penser que cela me choque.
Or, s'il n'en est rien, c'est qu'elles émanent de quelqu'un qui sait de quoi il parle, et qui en parle de l'intérieur, sans être en révolte, ce qu'il prend bien soin de préciser d'emblée. "Qui aime bien châtie bien", il me semble l'avoir déjà dit à son propos. Il n'a peut-être que partiellement raison, j'avoue que sur les points qu'il soulève, je ne suis pas en mesure de trancher. Cela ne m'empêche pas de trouver ses interrogations absolument légitimes, et je suis sûre que le Saint-Père le penserait aussi, et les apprécierait.
Depuis un moment, l'idée m'effleure d'ailleurs que Benoît XVI sait qu'il lui revient la dure tâche de "réparer" les "dégâts " (je ne suis pas sûre qu'on puisse les appeler ainsi) que ses prises de position comme expert théologique pendant le Concile pourraient avoir contribué à occasionner. Je mets du conditionnel, des guillemets, des mots en italique, et j'emploie beaucoup de précautions, car évidemment je n'en sais rien. Le Père Scalese ne dit rien d'autre.
En ce qui concerne le dialogue inter-religieux, je crois comprendre que le Père Scalese ne parle pas uniquement du dialogue avec les musulmans. Je renvoie mes lecteurs à la préface que Benoît XVI a écrite en décembre dernier pour un livre de Marcello Pera (ici). Il me semble qu'elle avait un caractère général; mais il est évident que le dialogue avec les juifs ne se présente pas de la même façon.
Voici donc une analyse libre, et différente de ce qu'on a pu lire ailleurs, bien dans la ligne du blog "Senza peli sulla lingua".
Article original en italien ici:
http://querculanus.blogspot.com/2009/04/benedetto-xvi-quattro-anni-di.html
Ma traduction:
Benoît XVI, quatre années de pontificat
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Hier, c'était l'anniversaire du Pape; dimanche prochain, ce sera l'anniversaire de son élection.
Occasions propices pour rédiger un bilan de ce pontificat. Je ne suis rien pour faire un bilan; je me limiterai à exprimer librement quelques opinions, selon mon habitude, sur ce sujet aussi.
Avant tout, quelques prémisses.
Première prémisse: je suis romain. Nous, romains, nous aimons le Pape. Pas tel ou tel Pape, mais le Pape, quel qu'il soit. Lorsqu'avec Jean Paul II, après des siècles, nous avons eu un Pape étranger, nous n'avons eu aucun mal à l'accepter, simplement... parce qu'il était le Pape. Nous aimons bien le Pape, mais nous sommes aussi un peu désinvoltes : nous n'oublions pas que Rome est la patrie de Pasquino (..).
Seconde prémisse. J'appartiens à un Ordre religieux qui, tout en restant toujours fidèle à l'Église, a vécu un rapport souvent conflictuel avec le Siège Apostolique. Aux origines, les Barnabites durent subir une visite apostolique, qui les obligea à renoncer à beaucoup de nouveautés qui les caractérisaient. Un instant de forte tension fut celui vécu au XVIIIème siècle à cause de la question rosminienne (?). Au XXème siècle, Pie X fut même tenté de procéder à la suppression de l'Ordre, suspecté de sympathies modernistes. Mais, malgré cela, les Barnabites ont toujours été des fils obéissants de l'Église et les Papes ont toujours su qu'ils pouvaient avoir confiance en eux.
Troisième prémisse. La formation que j'ai reçue, de la part des Dominicains et des Jésuites, est d'absolue fidélité à l'Église, mais exempt de toute flagornerie. L'unique préoccupation des Dominicains était le culte pour la vérité. Des Jésuites je me souviendrai toujours de l'attitude de totale soumission au Pontife au moment du « commissariamento » de la Compagnie de la part de Jean Paul II.
Quatrième prémisse. Personnellement, j'en suis resté à la bulle Unam Sanctam de Boniface VIII : je crois avec conviction que « subesse Romano Pontifici omni humanæ creaturæ ... omnino esse de necessitate salutis ». (De plus, nous déclarons, nous proclamons, nous définissons qu'il est absolument nécessaire pour le salut que chaque créature humaine soit sujet du Pontife Romain, http://www.religioustolerance.org/rcc_salv.htm ). Mais, en même temps, je suis tout autant convaincu que soumission au Pape n'est pas synonyme de courtisanerie, encore moins de « papolâtrie ». Vous pouvez imaginer dans quel esprit j'ai observé certaines manifestations « populaires » (je ne sais si elles étaient spontanées ou suscitées) pendant le précédent pontificat.
Après ces prémisses, venons-en à Benoît XVI.
Avant tout, disons que je nourrissais une grande admiration pour lui avant qu'il ne devînt Pape. Il me semblait que sa présence aux côtés de Jean Paul II était une garantie pour l'Église. Pour autant que ce Pape ait fait beaucoup pour l'Église pendant son pontificat, quelques unes de ses attitudes me laissaient un tantinet perplexe (on pense aux différents « mea culpa » et aux Journées d'Assise). Eh bien, le fait que le Cardinal Ratzinger fût toujours là pour mettre les points sur les « i », m'inspirait confiance. Pour cette raison, je m'attendais (et j'ai désiré ardemment) son élection comme Souverain Pontife et, une fois advenue, je l'ai accueillie avec joie.
Je n'oublierai jamais cet instant : j'étais à Manille ; j'étais allé me coucher; à un certain moment, pendant la nuit, je me réveille et me dis : allons voir qui ils ont fait Pape; j'allume la télévision et je vois Ratzinger qui adressait son premier salut en donnant sa première bénédiction. Peu de jours après j'étais à Rome et j'ai pu participer à sa première audience générale, celle-là même où expliquait pourquoi il avait choisi le nom de Benoît.
Je pense que ce Pape a été vraiment voulu par l'Esprit Saint. Il fait ce que lui seul pouvait faire. Il a été souligné qu'avec Jean Paul II s'achevait la génération des Évêques qui avaient participé au Concile; maintenant, c'est le tour des experts conciliaires. Remarquez que ces experts on joué un rôle non négligeable pendant le Concile. Beaucoup de problèmes suscités par Vatican II doivent être ramenés au travail de ces jeunes théologiens, qui pensaient refonder l'Église avec le Concile. Je ne sais pas, parce que je n'ai pas approfondi la question, quelle a été la contribution spécifique des Ratzinger, Küng, Rahner, Congar ou De Lubac ; je sais seulement que beaucoup d'Évêques, spécialement ceux originaires de l'Europe du Nord, dépendaient de leurs théories. Pour cette raison, je dis que ce sont les seuls aujourd'hui à pouvoir porter remède aux dommages qu'eux-mêmes avaient provoqués. Je suis bien conscient qu'on ne peut pas mettre sur un même plan un Ratzinger et un Küng ; mais de toute façon, ce fut Ratzinger qui prépara le célèbre discours du Cardinal Frings contre le Saint-Office (le hasard a voulu qu'il finisse sur ce même fauteuil et fasse personnellement l'expérience de critiques semblables à celles qu'il avait adressées au Cardinal Ottaviani).
Par rapport à ses positions comme Cardinal, Benoît XVI, en quelques occasions, a dû faire marche-arrière. Par exemple, lui qui était si critique en ce qui concerne le dialogue interreligieux, passe maintenant pour un de ses principaux défenseurs (??). Cela ne m'étonne pas, dès l'instant où, lorsqu'on assume une nouvelle charge, on voit les choses avec un regard différent. Ce qui compte est la façon avec laquelle on fait les choses ensuite. Et il me semble que, particulièrement envers l'Islam, les termes du dialogue ont été établis correctement (sur un plan rationnel plutôt que théologique).
Surtout dans les jours ayant suivi immédiatement son élection, on parlait beaucoup d'une réforme de la Curie Romaine, mais celle-ci semble encore « à venir ». Cela montre à quel point toutes les Curie sont des réalités très difficiles à gérer. On pensait qu'en élisant un homme de Curie, il lui serait plus facile de procéder à la réforme. Au contraire, nous nous sommes aperçus qu'un homme issu de ce milieu est trop conditionné par lui pour avoir les coudées franches. La connaissance approfondie d'une réalité ne permet pas toujours d'intervenir sur elle ; parfois il est préférable d'être des étrangers pour agir, peut-être avec un peu d'inconscience, mais avec une plus grande liberté. Un fait est certain : beaucoup d'oppositions à Benoît XVI viennent des mêmes qui étaient ses ennemis lorsqu'il était Préfet de la Doctrine de la Foi.
Un des points auxquels Benoît XVI semble donner la plus grande attention est la liturgie. Cela parce qu'il est convaincu que beaucoup des maux de l'Église dépendent de la façon dont la liturgie est comprise et célébrée. Le Pape Ratzinger est pleinement conscient qu'avec la réforme liturgique, on est allé trop loin. C'est pourquoi il parle d'une « réforme de la réforme ». J'ai déjà dit plusieurs fois que ce programme me trouve pleinement d'accord. Le problème est que maintenant l'image qu'on a de lui est celle de quelqu'un qui veut simplement restaurer la liturgie tridentine. Le motu proprio Summorum Pontificum, en soi pleinement légitime et compréhensible, a transmis cette idée, dont je n'ai moi-même - je le confesse - pas été entièrement exempt : « OK, les enfants, jusqu'à présent nous avons plaisanté ; la réforme liturgique a été un diversion ; maintenant nous passons aux choses sérieuses », désavouant ainsi Vatican II. Personnellement je suis d'accord que la réforme, ainsi qu'elle a été réalisée (lisez : Mgr Bugnini), ne correspondait peut-être pas à la prescription du Concile ; mais même s'il fallait une réforme liturgique, je pense qu'elle ne tombera du ciel (?). Il s'agit, comme je continue à le répéter, « de revenir » à Vatican II (au vrai). Et ceci est possible seulement à travers une « réforme de la réforme », qui vaille pour tous, et pas seulement pour certains.
Quant à la tentative de recoudre le schisme lefebvriste (je ne sais pas s'il est correct d'employer cette expression, mais je l'utilise pour me faire comprendre), là encore, je suis totalement sur la même ligne que Benoît XVI. Dans ce cas aussi, il a été justement souligné une question personnelle : le « schisme » s'est consommé durant son mandat comme Préfet du Saint-Office ; il ne veut évidemment pas quitter cette vie avant d'avoir guéri cette fracture. Un but digne d'éloges. Sans doute, il y a aussi le désir de récupérer à la cause de l'Église des forces fraîches, prêtes pour l'évangélisation. Là encore, une préoccupation plus que légitime de la part d'un Pape. Jean Paul II l'avait déjà fait avec les divers mouvements ecclésiaux. L'expérience de ce Pontife, cependant, devrait nous inciter à ne pas accorder rop de confiance à ces réalités, en négligeant le reste de l'Église, considéré comme presque irrécupérable. Je comprends que la tentation existe, mais on ne peut pas considérer comme perdue la structure ordinaire de l'Église (diocèse et paroisses), parce que c'est là que la partie se joue. Ces autres réalités (précieuses, mais humainement fallibles comme le reste de l'Église) peuvent aider, mais elles ne peuvent pas être surestimées ou même exclusivées.
Mais l'aspect le plus beau de ce pontificat, c'est la capacité comunicative qu'a Benoît XVI. Malgré qu'il ait tout le système mediatique contre lui, il réussit à établir un contact direct avec les gens (les vrais, pas ceux dépeints par les médias). Et, une fois le contact établi, il réussit même à transmettre des contenus pas toujours évidents, ni banals. Ses discours sont profonds et parfois difficiles, mais les gens réussissent à les comprendre.
J'ai seulement une remarque à faire ; elle concerne la formation du Pape Ratzinger. Benoît XVI est un grand théologien; pourtant on remarque, ou au moins je remarque, quelque carence dans sa formation (?). Elle concerne la Bible (étudiée selon la méthode critique), les Pères de l'Eglise, et les philosophes et théologiens modernes ; il lui manque complètement la scholastique (spécialement Saint Thomas). Ce n'est pas sa faute, naturellement : cela dépend du milieu dont il provient. Papa Wojtyla avait eu une formation différente, mais au moins il avait fait une partie de ses études à l'Angelicum ; ici, au contraire, toute la formation s'est produite en Allemagne. Cependant ce qui pourrait m'apparaître comme une limite constitue peut-être un avantage : Benoît XVI représente le meilleur de la culture moderne et montre que cette culture peut, sans se renier elle même, aller à la rencontre du Christ. Extrêmement significatif à ce propos apparaît son livre Jésus de Nazareth : à travers la méthode historico- critique, qui avait donné tant de soucis à l'Église catholique, l'historicité du Christ est prouvée. Papa Ratzinger montre qu'après beaucoup d'errements, la culture moderne aboutit là d'où elle était partie.