Le cardinal Martini, l'anti-pape?
Autour d'un billet du Père Scalese (14/6/2009)
J'aime bien ce que dit le Père Scalese (c'est presque toujours le cas, mais là je veux dire: sur ce sujet).
Comme je ne suis pas un "homme d'Eglise", comme lui, cela me gêne moins que lui de dire du mal de mon prochain, quand je le crois justifié, et je ne m'en prive pas (mea culpa...).
Et je me retrouve un peu dans la même situation que lui, c'est-à-dire que je n'ai pas vraiment envie de me plonger dans les écrits du grand théologien (c'est ainsi qu'en a parlé devant moi un dévot lecteur du "Monde", par ailleurs aussi peu assidu à l'église qu'intéressé par la théologie, mais je ne juge pas trop...)
Disons que ce n'est pas tant le Cardinal Martini - que je trouve, comme homme, assez peu sympathique, mais c'est une opinion personnelle - qui m'agace, que l'instrumentalisation qui en est faite par les medias. Quand ils en parlent, ils disent "une grande liberté intérieure", ou "une autre voix", comme par exemple ici, sur le blog de La Croix: Peut-on encore rêver l'Eglise (ah bon! parce que le cardinal Marini fait rêver??)
Pour moi, s'il y a un cardinal en retraite qui fait entendre "une autre voix", et qui l'écrit, c'est Giacomo Biffi , archevêque émérite de Bologne.
C'est d'ailleurs la raison qui fait que, contrairement au père Scalese, je ne suis pas tout à fait d'accord que les cardinaux "en retraite" devraient s'abîmer définitivement dans la prière. Cela dépend de ce qu'ils ont à dire.
Sur l'ant(i)(e) pape Martini, relire sur ce site les analyses de:
-> Sandro Magister
-> Vittorio Messori
samedi 13 juin 2009
« Chacun a son don de Dieu » (1 Cor 7:7)
Source: querculanus.blogspot.com/..
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Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l'un d'une manière, l'autre d'une autre. 1 Corinthiens 7 .
Il m'a été demandé de dire quelque chose sur le Cardinal Martini.
Comme mes lecteurs le savent bien, j'ai une répugnance instinctive à consentir à ce genre de demandes, non pas qu'il me manque le courage de m'exposer (je pense avoir assez montré que je n'avais pas... de poil sur la langue), mais parce que je n'aime pas critiquer mon prochain, surtout lorsque je ne suis pas suffisamment informé. Même dans ce cas, je ne me sens pas l'envie d'exprimer des jugements sur ce que le Cardinal Martini dit ou écrit, parce que je ne crois pas en savoir suffisamment. Et cela parce que, n'étant pas et n'ayant jamais été mon Évêque, et que je suis pas l'un de ses admirateurs, je n'ai jamais lu ses livres, exception faite pour ses premières lettres pastorales et quelques opuscules de méditation biblique (que j'ai par ailleurs trouvés excellents).
Il est évident que l'on connaît ses multiples interventions sur les questions « brûlantes » (qui sont d'ailleurs toujours les mêmes : communion aux divorcés remariés, célibat des prêtres, sacerdoce des femmes, préservatif et pilule, etc) ; mais les informations que j'ai en la matière sont rapportées par les medias, auxquels en général je préfère ne pas accorder un crédit excessif. Je pourrais, il est vrai, aller aux sources ; mais, d'abord, ce n'est pas facile pour moi, qui vis loin ; et ensuite, pour tout dire, la chose ne m'intéresse pas plus que cela.
Alors, que puis-je en dire ?
En premier lieu je dirai que le Cardinal Martini est un jésuite. Et malgré tout, j'ai une grande estime des Jésuites; peut-être parce que, après les Dominicains, ils ont été mes maîtres, ce qui m'a permis d'en apprécier les capacités, la préparation et le sérieux. Et je les tiens en plus grande estime encore en tant que guides spirituels : je crois que personne comme eux n'est capable d'accompagner les âmes dans les sentiers de l'esprit.
Avec le passage des années, je me suis fait cette conviction: que chacun doit faire son métier ; pour employer un langage moins banal et plus « conciliaire », chacun a ses charismes, et doit les mettre au service de l'Église. Voilà, les Jésuites ont hérité de Saint-Ignace ce don de « discernement des esprits » et, lorsqu'ils s'y consacrent, personne ne les bat. Le Cardinal Martini, si vous avez lu quelques unes des transcriptions des exercices spirituels qu'il a prêchés, possède lui aussi ce grand don, auquel il convient d'ajouter une compétence biblique peu commune. À ce Cardinal Martini là, donc, chapeau !
Le problème est que, le plus souvent, le Cardinal Martini qui nous est proposé n'est pas le directeur d'exercices spirituels et même pas le bibliste, mais c'est une espèce d'« anti-pape », qui se prononce sur tout, en général en disant l'opposé de ce que dit le Pape. Et cela pas seulement maintenant qu'il est en retraite, mais aussi (et peut-être surtout) lorsqu'il était Archevêque de Milan : à cette époque les catholiques italiens appartenaient à deux Églises parallèles, ceux qui suivaient Papa Wojtyla et ceux qui suivaient le Cardinal Martini. Sincèrement, je ne sais pas si c'était intentionnel de la part du Cardinal Martini ou s'il ne s'agissait pas plutôt d'un vilain jeu médiatique ; il est certain que l'ex-archevêque de Milan ne s'y est pas soustrait.
Je ne veux pas entrer dans des considérations sur les questions particulières soulevées de façon récurrente, aussi parce qu'il s'agit de questions très différentes entre elles, sur certaines desquelles il est possible de discuter (le célibat des prêtres), alors que sur d'autres non (le sacerdoce des femmes) ; d'autres ensuite sont de réels problèmes pastoraux, auxquels même le Pontife témoigne être sensible (la communion aux divorcés). Personnellement je considère que dans l'Église il y a place pour discuter ce dont il est légitime de discuter ; ce qui ne me convient pas, c'est que certains problèmes (réels), auxquels il est juste de chercher des solutions, soient idéologisés et deviennent des bannières de parti.
J'ai déjà rappelé dans un de mes précédents post que, lors de la sortie du livre de Benoît XVI, Jésus de Nazareth, le Cardinal Martini fit malicieusement remarquer que le Pape n'était pas un bibliste, mais un théologien dogmatique. Il ne se rendait pas compte qu'on pouvait faire la même remarque sur lui : il est bibliste (ou, si l'on veut pinailler, chercheur en critique textuelle) ; il ne m'apparaît pas que les questions rapportées plus haut aient un quelconque rapport avec les textes bibliques ; il s'agit au besoin de questions ou dogmatiques ou morales ou disciplinaires. Tant qu'il était titulaire d'un siège episcopal, on pouvait encore encore justifier ses interventions ; mais maintenant, à quel titre les fait-il ? Il n'est pas expert en ces domaines; ce qu'il dit a la même valeur de ce que je dis moi; avec la différence qu'il est un Cardinal, et que les Cardinaux ont un lien spécial de soumission au Pape.
Personnellement je considère que ceux-ci, une fois dépassés les quatre-vingt ans, feraient mieux de se retirer dans le silence (et dans un premier temps cela semblait son intention).
Les Jésuites utilisent une très belle expression pour indiquer le rôle de ceux qui sont en retraite : « Il prie pour la Compagnie ». A plus forte raison, un Cardinal jésuite devrait, selon moi, faire vraiment cela : prier pour l'Église et pour ses Ordres religieux, plutôt que d'aller chercher de nouvelles chaires médiatiques pour y pontifier.
Pour ceux que cela intéresse, le blog de La Croix avait ouvert en 2008 un fil sur la sortie du dernier livre du cardinal: "Conversations à Jérusalem", alors paru en allemand, et (forcément) recensé élogieusement en Italie par La Repubblica.
Après les éloges convenus et habituels ("il a marqué ces trente dernières années par des prises de position qui ont toujours montré une grande liberté intérieure"), on y lit ces propos stupéfiants:
« Fut un temps, écrit le vieux cardinal, où j’ai rêvé d’une Eglise de la pauvreté et de l’humilité, indépendante des puissants de ce monde. Une Eglise qui laisse de l’espace aux personnes qui pensent autrement, une Eglise qui donne courage, spécialement à celui qui se sent petit ou pêcheur. Mais aujourd’hui, poursuit-il, je n’ai plus ces rêves: après 75 ans, j’ai décidé de prier pour l’Eglise ».
Ah bon, il a attendu 75 ans pour prier pour l'Eglise?? Et que faisait-il, jusque là?
Le plus intéressant, comme d'habitude, ce sont les réactions (dont d'excellentes!). Certains semblaient très impatients de voir une version française du livre - et même, les plus enthousiastes étaient prêts à le traduire!
Le livre est bel et bien sorti en France, sous le titre "Le rêve de Jérusalem", avec une célérité que je trouve admirable, vu le faible public visé. Dans l'indifférence générale, y compris des familiers du blog de La Croix.
Moi, quand j'ai envie de lire un livre, je suis capable de harceler le libraire tous les jours.
Ici, rien.
Ce n'est évidemment pas moi qui vais m'en plaindre...