De la dignité sacerdotale
Au XVIème siècle, une religieuse écrit à un prêtre. Et ce qu'elle lui dit évoque de façon troublante la lettre du Saint-Père aux prêtres, et les réflexions du curé d'Ars. Un article du Père Scalese. (27/6/2009)
Durant mon absence, le père Scalese a écrit plusieurs textes très intéressants (notamment un sur "les fruits amers du Concile", et un autre sur "Paul VI", qu'il considère comme un grand et saint Pape, ses arguments méritent d'être étudiés).
Je traduirai quand je pourrai.
En attendant, voici son billet du 19 juin, jour du lancement de "l'année sacerdotale", au lendemain de la réception de la lettre de Benoît XVI aux prêtres.
La lettre lui est adressé en tant que prêtre, et son avis est donc plus précieux que celui des journalistes, fussent-ils les meilleurs "vaticanistes".
Il nous emmène ici au XVIème siècle, à Venise, pour nous faire lire une lettre écrite à un prêtre par une "Angélique", religieuse appartenant à la branche féminine de la Congrégation de Saint-Paul, laquelle regroupe également les Barnabites, dont lui-même fait partie.
La lettre s'intitule "De la dignité du Sacerdoce". Et elle a d'étranges résonnances avec la lettre du Saint-Père, et les réflexions du Saint Curé d'Ars....
Article original: Anno sacerdotale (http://querculanus....)
Ma traduction
vendredi 19 juin 2009
Année sacerdotale
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Aujourd'hui, solennité du Sacré Coeur de Jésus et traditionnelle Journée pour la sanctification du Clergé, a commencé l'Année sacerdotale, fixée par Benoît XVI à l'occasion du 150-ème anniversaire de la mort du Saint Curé d'Ars, Jean-Marie Vianney. Hier le Saint Père nous a envoyé à nous, les prêtres, une très belle lettre, que nous ferons bien de lire et de méditer, non seulement en ces jours, mais durant toute cette année jubilaire.
De mon côté, sans vouloir en aucune façon me superposer au Pape, mais seulement dans le désir d'ajouter quelque occasion de réflexion à l'abondant matériel qu'il nous a proposé, j'aimerais rapporter un texte sur la dignité du sacerdoce, écrit il y a quelques siècles, mais encore extrêmement actuel. Je me plais à relever de surprenantes affinités entre ce texte et quelques phrases de Papa Ratzinger et du Saint Curé d'Ars.
Il s'agit d'une lettre écrite par l'Angélique Paola Antonia Negri (1508-1555) au prêtre vénitien Gaspare de Franceschi. Le titre de la lettre est, justement, « De la dignité sacerdotale ».
Qui était Paola Antonia Negri ?
Il faut savoir que mon Fondateur, Sant'Antonio Maria Zaccaria (1502-1539), ne fonda pas seulement les Barnabiti (les « Chierici Regolari - clercs réguliers - di San Paolo »), mais, à côté d'eux, une branche féminine (les « Angeliche di San Paolo ») et une branche laïque (« Coniugati di San Paolo »). Les trois « collèges », comme on les appelait, constituaient une unique famille spirituelle (la « Congrégation de Saint Paul ») : Barnabites, Angéliques et Conjugués priaient et oeuvraient ensemble (jusqu'à ce que les rigides règles tridentines les obligent à se séparer). Comme Zaccaria mourut très jeune, le leader de la nouvelle communauté devint la charismatique "maîtresse" des novices, Paola Antonia Negri (appelée « divine mère »), qui présidait aussi aux chapîtres et prenait les décisions les plus importantes (vous pouvez imaginer les réactions…).
Cette femme avait une très profonde spiritualité et devait exercer un charme extraordinaire, tant il est vrai que, durant une mission en Vénétie, tous les rejetons de la noblesse vénitienne voulaient se faire Barnabites (et en effet très vite les « paolini » furent accusés d'espionnage, expulsés des territoires vénitiens, et Negri fut soumise à un procès et éloigné de son monastère…).
Les temps où vécurent Sant'Antonio Maria Zaccaria et l'Angélique Paola Antonia Negri n'étaient guère faciles, par beaucoup d'aspects semblables aux nôtres. A cette époque aussi, on ressentait le besoin d'une réforme de l'Église : certains crurent la réaliser en consommant un schisme et en mettant en discussion la foi catholique traditionnelle, d'autres - les saints - au contraire comprirent que l'unique façon pour rénover l'Église était de partir du renouvellement intérieur de soi-même. Il y a une phrase de Negri, à propos des conditions de l'Église de son temps, qui m'a particulièrement frappé : « Nous ne devons jamais nous scandaliser, si nous voyions bien que la petite barque du Christ va en flottant, mais toujours perséverer dans la foi » (lettre écrite aux Pauliniens de Venise durant l'Octave de l'Epiphanie de 1549).
Nous retrouvons la même angoisse pour la réforme de l'Église dans la lettre à Don Gaspare de Franceschi, écrite le 3 octobre 1544 :
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« Je sais, et je ne me trompe pas, que ce ministère est très efficace, au point qu'un vrai prêtre pourrait forcer le Seigneur, qui pourtant ne peut pas être forcé, à renverser l'ordre de sa justice en immense miséricorde ; à obtenir n'importe quelle grâce, comme la restauration des coutumes chrétiennes corrompues, la réforme des hommes et de la sainte Eglise. Et cela parce que l'amour qu'il porte à ses consacrés est si grand, les ayant doués de privilèges très grands, qu'avec Dieu, ils peuvent tout : ils peuvent le forcer en faveur de son peuple et le réconcilier avec lui. Et si un seul, qui soit selon son coeur, peut autant, que pourrait un grand nombre?
Mais comme il est souillé le visage de sa belle Épouse : le vin est fait de vinaigre, les raisins sont changés en fruits amers, le sel est insipide, l'abomination est entrée dans le lieu saint, la chasteté qui devrait habiter les ministres du sang [du Christ] est convertie en saleté, l'humilité en ambition, la libéralité en avarice, la charité en envie, la parcimonie en crapulerie, la patience et la mansuétude en colère et dédain, la sollicitude en inertie ; et, en bref, la vertu en vice, la douceur en amertume, la dévotion en froideur et tièdeur. L'esprit, qui devrait être habitacle du Dieu vivant, devient hôte de toutes les mauvaises et vaines pensées. Le coeur, qui devrait être gardé avec soin et diligence, devient la proie de chaque ennemi, l'auberge de chaque iniquité : le monde est en proie à la méchanceté.
C'est pourquoi vous avez raison, âme bénie, d'avoir de la compassion pour cette pauvre Épouse de Christ et donc de vous disposer - en décidant de commencer par vous même - à la réformer, vous éloignant de toute oeuvre morte et vous plaçant dans le sein de la pitié céleste et bienveillante de votre Père qui, soyez-en certain, ne vous fera pas manquer son aide afin que vous puissiez porter à accomplissement votre juste et saint désir. Et tout cela, faites-le d'un coeur réjoui, en éloignant de vous tout ce qui aurait une ressemblance avec l'homme terrestre. Vous rappelant du degré élevé de votre dignité, devenez et demeurez irréprochable, de façon à être le digne fruit du sang [du Christ] que vous assumez et servez aux autres.
Je ne me soustrairai jamais à ce que le Seigneur me concédera de pouvoir faire pour vous aider à traduire en pratique le désir que vous avez d'être un fidèle dispensateur et un digne ministre [du Christ]. Qu'il daigne vous le concéder par sa pitié et miséricorde ; et je vous laisse avec lui, en vous demandant de prier pour moi et de vous souvenir de moi dans [la célébration de] vos sacrifices ».
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Peut-être cette Année sacerdotale, dans un moment de très grave crise de l'Église, est-elle vraiment providentielle. Peut-être l'Église est-elle en crise parce que ses prêtres sont en crise.
L'Église a besoin d'être réformée ; mais pour que cela arrive, selon la « divine mère », nous devons avant tout « avoir compassion de cette pauvre Épouse du Christ », et ensuite nous devons nous disposer et décider de commencer à la réformer en nous mêmes.
Cinquante ans auparavant, a été convoqué un Concile, qui se proposait le renouvellement de l'Église. Ce Concile a écrit des choses très belles (y compris en ce qui concerne les prêtres), qui cependant sont restées sur le papier ; dans la vie de chaque jour, tout en invoquant toujours le Concile et son « esprit », on a préféré faire référence à des idéologies qui n'avaient rien à voir avec ce Concile et avec son véritable esprit. L'heure est venue, après cinquante ans, de mettre la main à la vraie réforme de l'Église, en commençant par nous mêmes, conscients que l'Église ne changera que lorsque ses prêtres auront changé leur esprit et leur coeur.
Selon Negri, le premier pas, pour que cela puisse se produire, consiste dans la conscience de la dignité sacerdotale (« Rappellez-vous du degré elevé de votre dignité »).
Durant ces années nous avons fait la course pour diminuer l'importance de notre ministère ; aujourd'hui nous sommes invités à redécouvrir le privilège auquel, sans aucun mérite, nous participons. Il ne nous reste qu'à correspondre à une telle grâce afin d'être digne de ce sang que nous buvons et dispensons.