Benoît sur le front oriental
Une interviewe de l'ambassadeur chypriote près le Saint-Siège dans l'hebdomadaire italien "Tempi" (31/5/2010)
Nycosie
Photo panoramique (Wikipedia)
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Tableau de l'Ile de Chypre avant l'important et sous-évalué (par les medias) voyage pontifical de cette semaine, l'interviewe de Georgios Poulides permet aussi de comprendre combien le voyage du Saint-Père risque d'être délicat, dans un contexte politique compliqué. Sans parler de celui religieux, puisque cinq membres de l'Eglise de Chypre (trois métropolites et deux chorévêques) ont déjà annoncé leur intention de boycotter la visite du pape à Chypre "en raison du prosélytisme qu’exerce le Vatican aux détriments de l’orthodoxie".
Rien d'étonnant, puisque chaque voyage du Saint-Père est précédé de polémiques... (ceux que cela intéresse trouveront des détails ici: http://www.orthodoxie.com/... )
Article original en italien ici: http://www.tempi.it/esteri/...
Au début Juin, pour la première fois un évêque de Rome se rendra à Chypre. L'occupation turque d'un sol européen. La relation avec l'Islam. Le dialogue entre catholiques et orthodoxes. Interviewe de Georgios Poulides, ambassadeur de Nicosie près le Saint-Siège
Rodolfo Casadei
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De la visite de Benoît XVI à Chypre (4-6 Juin) on ne parle pas beaucoup.
Pourtant, c'est la première fois que le successeur de Jean-Paul II visite un pays chrétien orthodoxe et en outre, c'est là que sera rendu public l'Instrumentum Laboris du Synode pour le Moyen-Orient qui se tiendra en Octobre à Rome. Sans compter que Chypre est l'extrême frontière orientale de l'Union européenne.
Georgios Poulides, l'Ambassadeur de Chypre près le Saint-Siège depuis 2003, est la charnière de ce névralgique et sous-évalué voyage apostolique.
- Monsieur l'Ambassadeur Poulides, quelle est la réalité de Chypre à la veille de la visite du Pape?
- Chypre est un pays de l'UE en plein développement économique et avec une démocratie consolidée. L'adhésion à l'Union européenne a marqué la réalisation d'un objectif longtemps poursuivi, qui met Chypre dans la grande famille européenne, à la place qui lui revient naturellement par l'histoire et la culture. Je dois ajouter, cependant, que l'adhésion n'était pas recherchée par les Chypriotes pour des raisons économiques ni pour des raisons politiques. Le peuple de Chypre voit dans l'adhésion à Europe un environnement de sécurité, que malheureusement, d'autres organismes internationaux ne lui ont pas offert quand elle en a eu besoin. Comme vous le savez, près d'un tiers du pays est, depuis 1974, sous occupation militaire turque.
Dans cette zone, les militaires d'Ankara ont concentré toute la minorité chypriote turque (environ 18 pour cent de la population, auparavant répartie dans toute l'île), ils ont chassé par la force les Chypriotes grecs et tous les chrétiens, ils y ont transféré des centaines de milliers de colons d'Anatolie, enfin ils ont orchestré l'auto-proclamation d'un état-fantoche, reconnu uniquement par Ankara. Déjà au moment de l'adhésion de Chypre en 2004, l'UE avait pris position sur cette situation: c'est Chypre tout entier qui a adhéré à l'UE, et tous les citoyens de Chypre sont des citoyens européens. Dans les territoires occupés, les règles Communautaires sont suspendues en attendant la réunification.
Souvent, je lis dans la presse italienne: "Les Chypriotes grecs ont rejoint l'Europe, pas les Chypriotes turcs". C'est une erreur. Les Chypriotes turcs se sont précipités pour se procurer le passeport de la République de Chypre, jetant aux ordures ceux de leur État-fantoche. Et puis ils ont fui la protection «fraternelle» d'Ankara, émigrant en Europe, principalement en Grande-Bretagne. Ainsi, les sentiments des Chypriotes sont les suivants: ils sont content de l'adhésion à l'Union européenne, ils veulent la réunification de l'île et ils soutiennent les efforts du président Demetris Christofias dans la poursuite de négociations avec les Chypriotes turcs. L'espoir est que finalement, Ankara sera convaincue par l'Europe de respecter ses engagements, de reconnaître la République de Chypre et de laisser les Chypriotes eux-mêmes décider de leur sort.
- Qu'attendez-vous de la visite de Benoît XVI à Chypre?
- La visite du Pape est d'une importance historique pour Chypre. C'est la première fois, qu'un évêque de Rome visite notre pays et c'est la première visite de Benoît XVI dans un pays orthodoxe. La visite constitue le couronnement d'un long soutien que le Saint-Siège a toujours apporté à la cause de Chypre. La diplomatie vaticane a toujours tenu le plus grand compte du droit international, donc des résolutions des Nations Unies et d'autres organisations internationales compétentes, qui invitent la Turquie à retirer ses troupes de Chypre. Le Saint-Siège nous a toujours soutenus, parce que Chypre est un petit pays qui subit l'agression d'un puissant voisin. Parce que c'est la lutte de la raison contre la violence. C'est pourquoi Benoît XVI a accepté bien volontier l'invitation à visiter l'île, que lui ont adressée à la fois le président Christofias (ndt: premier dirigeant communiste chypriote candidat à une présidentielle, et premier et seul chef d'État membre d'un parti communiste au sein de l'Union européenne, depuis le 24 février 2008) et l'archevêque Chrysostomos II.
- Comme vous l'avez dit, la religion de la grande majorité des Chypriotes est le christianisme orthodoxe et lors de son séjour, le Pape rencontrera à plusieurs reprises l'archevêque Chrysostomos II. Quels avantages l'œcuménisme pourrait-il tirer de leu rencontre?
- La visite du Pape est importante aussi du point de vue du dialogue œcuménique.
L'Eglise de Chypre joue un rôle important parmi les Eglises Orthodoxes, et depuis longtemps elle voulait jouer un rôle tout aussi important dans le dialogue œcuménique. Immédiatement après son élection, le nouvel archevêque Chrysostomos II a voulu se rendre au Vatican, et commencer ainsi une nouvelle ère des relations avec les catholiques (cf. http://eucharistiemisericor.free.fr/...). Quelques mois plus tard, Chrysostomos est retourné en Italie pour assister à la Journée mondiale pour la paix organisée par la Communauté de Sant'Egidio, avec la présence du pape lors de la première journée des travaux.
Puis, en Novembre 2008, ces journées se sont tenues à Chypre, et peu de temps après la Commission théologique mixte catholico-orthodoxe qui examine la question de la primauté papale s'est réunie à Pafos.
Avec la participation active de l'Eglise de Chypre au dialogue œcuménique, non seulement toutes les églises et les patriarches de langue grecque participent pleinement au dialogue avec l'Eglise catholique, mais Chypre a également contribué à ouvrir la voie vers les Églises orthodoxes slaves, puisqu'elle a toujours entretenu d'excellentes relations avec le Patriarcat de Moscou.
- Que pensez-vous des attaques de certains organes de la presse internationale contre Benoît XVI, centrées sur la tentative de connecter la figure du pape au scandale des abus sexuels, certains réels, certains présumés, qui ont pour protagonistes quelques prêtres et évêques catholiques?
- Je dois exprimer ma consternation face à certains articles de la presse et à certaines reconstructions fantaisistes. Le Cardinal Joseph Ratzinger s'était distingué par son courage et sa sévérité, en dénonçant et condamnant ces comportements indignes. Il a eu le courage des grands hommes quand ils choisissent de corriger les erreurs. Ratzinger, en effet, n'a jamais voulu avaliser une certaine pratique de dissimulation des plaintes. A l'inverse, il a été le protagoniste d'une dure bataille afin que la justice soit faite. Et toute personne qui suit les affaires de l'Église catholique sait cela. Toute spéculation sur sa responsabilité personnelle présumé est totalement infondée.
- L'élection de Dervish Eroglu dans la partie de Chypre occupée par les troupes turques semble compliquer les négociations pour la réunification de l'île. Quel chemin faudrait-il emprunter pour chercher une solution à cette crise qui dure depuis trente-six ans?
- Eroglu a été élu par une majorité constituée non par des électeurs chypriotes turcs, mais par des colons turcs qui se trouvent illégalement à Chypre. Pendant la campagne électorale, il a montré un visage intransigeant. Il a dit qu'il ne voulait pas de l'unification à travers l'évolution de la République de Chypre vers une structure fédérale, bi-zonale et bi-communautaire, comme convenu il y a plusieurs années. Il a ajouté qu'il préférait une confédération entre deux «états», et qu'il ne veut pas le retrait des troupes turques ou des colons. Après l'élection, toutefois, la teneur de sa position a changé. Il s'est engagé à reprendre les négociations commencées dès Septembre 2008 entre le Président Christofias et le dirigeant chypriote turc d'alors Mehmet Ali Talat à l'endroit où elles étaient arrivés, afin de préserver les éléments de convergence apparus. C'est une bonne chose. Je peux de toutes façons assurer que le Président Christofias ne cessera pas ses efforts pour trouver une solution juste et durable au problème de Chypre dans l'intérêt de tous les Chypriotes.
- L'Union européenne a finalement mis d'accord sur un plan de sauvetage de la Grèce, a subi une grave crise financière du budget national. Que pensez-vous de cette affaire?
- Cela a été une chose positive. Après plusieurs mois d'incertitude, l'Union européenne s'est désormais doté des moyens de réguler les flux de la monnaie commune européenne et de se protéger de la spéculation financière. Le gouvernement de Chypre a toujours soutenu toutes les mesures qui favorisent une intégration européenne plus étroite non seulement dans le domaine de la politique économique et monétaire, mais aussi dans la politique étrangère et de défense.
- Chypre a rejoint le système euro. Un bon choix?
- L'adhésion de Chypre à la zone euro le 1er Janvier 2008 a été une étape importante vers l'intégration dans le noyau dur de l'Europe. Ce fut également la reconnaissance de notre économie, de nos grands efforts et sacrifices pour nous adapter aux règles économiques et monétaires de l'Union. L'adhésion à l'euro facilite également l'intégration économique avec nos compatriotes chypriotes turcs, qui préfèrent utiliser la monnaie européenne plutôt que la lire turque imposée dans les territoires occupés.
- Quelle est la contribution la plus importante qu'aujourd'hui, Chypre peut donner à l'Europe?
- Chypre est un avant-poste de l'Union européenne au Moyen-Orient et en Afrique. Son rôle est devenu évident au moment de la crise du Liban dans l'été 2006, quand elle a soutenu l'envoi d'une force de maintien de la paix européenne le long de la frontière entre Israël et le Liban et a mis à sa disposition une série de structures de soutien. Mais Chypre est également importante pour les entrepreneurs européens qui se tournent vers le Moyen-Orient et l'Afrique. Depuis quelque temps, de nombreuses sociétés internationales ont voulu implanter leurs bases opérationnelles et de direction sur notre île, qui possède un excellent réseau de télécommunications, d'infrastructure et de personnel local hautement qualifié.
© Copyright Tempi, 27 mai 2010 (ma traduction)