A Chypre, un Pape modeste et déterminé
Frédéric Mounier fait partie de la suite papale. Bel article sur la première journée. Le voyage n'est pas politique, mais spirituel et religieux (5/6/2010)
L'article souligne que les propos de Benoît XVI restent bien en deça des demandes orthodoxes chypriotes, sur le plan politique (??)
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Vendredi 4 juin 2010
A Chypre, le pape modeste et déterminé
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Le moment est fort. Premier pape en visite à Chypre, île blessée et meurtrie, à la pointe orientale de l’Europe , Benoît XVI lit en grec les Actes des Apôtres (13, 1-12). Il le fait en plein air, dans le vent méditerranéen, sur les lieux mêmes où saint Paul et son compagnon Barnabé, lui-même chypriote, ont été fouettés par l’occupant romain, vers l’an 40 de notre ère. Nous sommes sur le site archéologique de Paphos, au sud-ouest de l’île. Sur les lieux où la tradition rapporte les démêlés de Paul et de Barnabé avec l’occupant romain, une très sobre église byzantine a été élevée au XII° siècle. Aujourd’hui, appartenant aux orthodoxes, elle est utilisée aussi bien par les catholiques que par les anglicans ou les luthériens. Certes, ici, à Chypre, on parle toujours en petits nombres, mais il y avait bien ce vendredi après-midi 3000 personnes, toutes confessions chrétiennes confondues, venus entendre le pape. Benoît XVI est là aux sources mêmes de la foi chrétienne à Chypre et, plus largement en Europe : c’est de là qu’ont commencé les voyages apostoliques de Paul.
Ce voyage est manifestement sous tension, avec une forte charge symbolique. Hier, l’assassinat de Mgr Padovese, président de la conférence des évêques turcs, attendu ici à Chypre samedi pour assister à la remise de l’Instrumentum laboris (document de travail) du prochain synode pour les Eglises du Moyen-Orient, a provoqué une onde de tristesse. Mais dès ses premiers mots dans l’avion, peu après le décollage de Rome, le pape a tenu à désamorcer la tension : « Cet assassinat n’a rien à voir avec des motifs politiques ou religieux.. Il ne remet pas en cause le dialogue avec les musulmans, il ne peut pas l’obscurcir. »
Dès le début, le ton est donné : ce voyage ne sera pas politique mais religieux et spirituel.
Alors que la tension monte à quelques centaines de kilomètres d’ici, autour de la bande de Gaza, alors que les chypriotes sont déchirés par une occupation turque qui met à mal le patrimoine culturel et religieux des chrétiens, Benoît XVI, avec modestie et détermination, propose une alternative spirituelle à la violence. Cette ligne de crête est probablement la seule possible sur cette île, à la frontière de l’Europe. Par sa seule présence, ses seules paroles, le pape persiste à encourager le dialogue, le pardon, la patience, l’espérance.
Ce fut manifeste ce vendredi après-midi, toujours à Paphos, en dépit des demandes virulentes de l’archevêque orthodoxe de Chypre Chrisostomos, lui-même ardent partisan du dialogue avec les catholiques : « La Turquie a envahi de façon barbare et conquis par les armes 37 % de notre territoire. Ses forces planifient notre destruction nationale. Notre héritage culturel a été sauvagement détruit et nos œuvres d’art vendues à des trafiquants. » Il a lancé un appel au pape : « Notre peuple qui souffre et mène son combat avec notre gouvernement, en appelle à votre coopération active. Nous avons une grande confiance dans votre aide. Nous sommes certains que l’inaltérable esprit chrétien en viendra à se montrer supérieur à la volonté d’occupation de la Turquie, qui proclame son désir d’un futur européen. Mais, à l’arrivée à l’aéroport, Benoît XVI avait dit : « Je viens parmi vous comme un pèlerin et comme le serviteur des serviteurs de Dieu. » Et à Paphos, il s’en est tenu à cette ligne : « Chypre a été la première étape des voyages missionnaires de Paul… L’Eglise de Chypre peut être fière de ses liens…C’est là la communion, réelle, bien qu’imparfaite, qui nous unit déjà, et qui nous pousse à surmonter nos divisions et à œuvrer pour restaurer l’unité pleine et visible qui est la volonté du Seigneur pour tous ses disciples. » Puis il a évoqué le prochain synode, qui doit mettre en évidence le « rôle vital des chrétiens dans cette région pour contribuer à promouvoir un dialogue et une coopération plus grande entre les chrétiens de la région. » Enfin, le pape a souligné le rôle de l’Eglise à Chypre, « pont entre l’Est et l’Ouest ». On le voit, cette réponse reste en-decà des attentes des orthodoxes chypriotes. Ou plutôt, elle est ailleurs, plus loin, plus haut. Dans l’avion, Benoît XVI s’était exprimé de façon très claire sur ce point : « Ce voyage est dans la continuation de mes voyages précédents, en Terre Sainte et à Malte. Leur thème fondamental est la paix du Christ, qui doit être universelle. Nous devons témoigner de la responsabilité commune de tous ceux qui croient en un Dieu créateur. » Le pape a poursuivi : « Ce voyage n’est pas un voyage politique. Il doit promouvoir la paix et le dialogue. Nos paroles sont des paroles du cœur et de la vérité, car le Christ apporte la paix. Je ne viens pas avec un message politique, mais religieux, pour ouvrir les âmes.. Il ne s’agit pas seulement de faire des pas politiques, mais d’ouvrir les âmes, il faut l’ouverture intérieure du cœur pour créer les conditions de la paix. » Et il cite… le curé d’Ars, qui « nous rappelle qu’il faut toujours pardonner, que le Seigneur sera toujours à nos côtés. Dans tous les cas de violence, il ne faut jamais perdre la patience du cœur, celle qui permet d’aller de l’avant. La violence n’est jamais la solution. »
Ce soir, de ses fenêtres, depuis la nonciature apostolique située au cœur du no man’s land administré par les casques bleus entre les deux parties de Chypre, le pape pourra méditer sur cette blessure qui traverse ici, non pas seulement le cœur des hommes, mais aussi de la terre chypriote. Demain, peut-être, selon certaines informations, Benoît XVI pourrait rencontrer le grand mufti de Chypre. Lui viendrait de la partie nord…