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De la révolte via Facebook à la révolution

Egypte et Tunisie: le regard de Massimo Introvigne est celui du sociologue, et de l'historien. (27/1/2011)

Le rôle des réseaux sociaux (comme par hasard, objet de l'intérêt du Saint-Père dans son message annuel sur les communications sociales: Les chrétiens à l'ère du numérique ) dans le déclenchement des évènements qui risquent de redessiner la carte du Moyen-Orient, pose des questions légitimes, dont il a été question ici: Le Moyen Orient au bord de l'explosion?

Article en italien sur La Bussola.

Egypte et Tunisie, de la révolte via Facebook à la révolution
BQ
Massimo Introvigne
27-01-2011
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En Tunisie, et aujourd'hui en Egypte, on croit assister à des révoltes sans programme et sans dirigeant (ndt: c'est aussi un peu l'impression que l'on a à travers les actes du groupe Al Quïda, et de son fantasmagorique leader Ben Laden), qui cependant, réussissent à ébranler des systèmes sur la stabilité desquels de nombreux diplomates d'expérience étaient prêts à jurer. Face à un phénomène qui semble absolument nouveau, on cherche comme toujours, de nouvelles explications. Une des plus répandues est que ces révoltes - comme d'autres en Ukraine, en Moldavie, au Kirghizstan - sont un produit de Facebook et Twitter. Les tentatives des régimes respectifs de contrôler ces instruments, ont échoué. Il n'y a que la Chine qui y parvient, bloquant presque tous les jours Facebook, y dépensant toutefois des sommes énormes, et la Corée du Nord, qui a résolu le problème à la source en bloquant l'accès à l'Internet et même à l'électricité à la grande majorité de ses malheureux citoyens.

Ceux qui raisonnent ainsi nous disent que la victoire électorale de Barack Obama, elle aussi - mais plus encore celle des primaires contre la machine qui semblait imbattable d'Hillary Clinton - a été créée par Facebook, utilisé aussi par ses opposants, qui ont appris la leçon, avec les Tea Party.

Ces arguments sont à la fois vrais et faux .
Pris à la lettre, pour la sociologie, ce sont des exemples classiques de déterminisme technologique, idéologie vieille et discréditée dont est inculpé - mais il faudrait faire quelque nuance - le sociologue et économiste américain d'origine norvégienne Thorstein Veblen, (1857-1929). Pour les déterministes, les innovations technologiques déterminent automatiquement des changements sociaux et politiques. Leurs thèses ne sont plus très populaires dans la sociologie contemporaine dominée par les théories de la construction sociale, pour lesquelles la technologie - ou plus précisément la manière dont la technologie est utilisée - est socialement construite. La position de la majorité est formulée dans une théorie connue sous le nom de SCOT, pour «social construction of technology» , i.e. construction sociale de la technologie, qui doit beaucoup à un célèbre article de Trevor Pinch et Wiebe Bijker écrit en 1984 .

Ce débat n'est pas nouveau. Il est très ancien. Trois siècles avant Facebook, au dix-huitième siècle, on discutait pour savoir si l'imprimerie, en mettant la Bible à la disposition du grand nombre, avait causé la Réforme protestante ou si au contraire la Réforme protestante, née pour de tout autres raisons avait par la suite favorisé le succès de l'imprimerie. Les marxistes, qui s'enthousiasment dès qu'ils ont vu une nouvelle forme de déterminisme, n'ont pas attendu Veblen pour proposer quelque chose qui ne s'appelait pas déterminisme technologique, mais lui ressemblait beaucoup.

Dans le déterminisme technologique, il y a une once de vérité. Les nouvelles technologies sont importantes, ceux qui s'en servent en bénéficient, y compris en politique et dans le domaine de la religion, et surtout font beaucoup de mal à ceux qui les ignorent. Un parti, mais aussi une Eglise qui aujourd'hui ignorerait complètement la télévision et Internet serait rapidement réduit au minimum, à moins qu'il ne s'agisse justement du parti unique et de la religion qui adore le "Cher Leader" en Corée du Nord.

Mais le contraire est-il également vrai? Peut-on créer une révolution, un parti, un leader, uniquement par Facebook ou Twitter? Depuis des années, on se demande si cette construction peut se faire via la télévision, et l'exemple donné dans des dizaines de livres étrangers est Silvio Berlusconi. Mais en Italie, nous savons que ce n'est pas le cas, et nous en avons aussi la preuve. Berlusconi n'est pas un pur produit de la télévision, et continue à gagner des élections, même à présent que la grande majorité des émissions de télévision regardées par les Italiens le raillent.

La télévision, ainsi que Facebook ou Twitter, sont nécessaires - de sorte qu'ignorer ces outils est très dangereux - mais pas suffisants. Ils sont un point de départ, pas un point final.

Benoît XVI, comme d'habitude, est très en avance sur les commentateurs de nombreux journaux, également parce qu'il connaît la théorie sociale contemporaine à travers des lectures directes et pas seulement par ouï-dire. Dans le message rendu public lundi dernier pour la Journée mondiale des Communications sociales, il nous a expliqué que Facebook est un outil merveilleux - ou dangereux, en fonction de qui l'utilise, et comment - pour un premier contact, mais pour qu'il en naisse quelque chose de solide et vrai, il faut passer de «l'amitié» virtuelle à l'amitié réelle à travers la rencontre personnelle. Ce qui reste dans le monde fermé de Facebook et n'en sort pas, produit rarement des fruits.

Mais, direz-vous, et Obama? Pour lui, cela s'est passé exactement comme le Pape l'a dit: de nombreux bénévoles l'ont connu et se sont rencontrés sur Facebook, mais après, ils ont échangé leurs numéros de portable, se sont rencontrés, ont ouvert des bureaux et des kiosques et sont descendus dans les rues et les places. Et la même chose s'est passée pour les Tea Party.

Et la Tunisie? Et l'Egypte? Là, les débats rappellent ceux sur la relation entre la Révolution française et les protestations de 1789 contre la "vie chère" (en français dans le texte), la hausse des prix qui affamait beaucoup de Français pauvres. Ceux-ci favorisèrent sans doute celle-là. Pour les historiens marxistes il s'est agi de manifestations purement spontanées, pour les théoriciens du complot - opposés ou non à son résultat - d'une fausse spontanéité organisée dans l'ombre par les avocats bourgeois et les Jacobins qui voulaient renverser la monarchie.

Une réponse à ces questions encore ouvertes sur 1789 a été donnée par l'historien français, prématurément disparu durant la Première Guerre mondiale, Augustin Cochin (1876-1916). Selon lui, les protestations économiques spontanées seraient restées pure révolte, sans devenir une révolution, si elles n'étaient pas entrées dans une mécanique orientée, notamment à travers les gazettes, pas par un seul "grand Vieux", mais par un travail de "sociétés de pensée" (ndt: aujourd'hui, ne dit-on pas think tank?) cachées, concurrents entre elles, mais toutes intéressées au but révolutionnaire.

Cochin peut aussi nous aider à comprendre l'Egypte et la Tunisie, certes en passant des gazettes à Facebook et Twitter. Les émeutes contre la "vie chère" sont en grande partie spontanées, parce que la vie est réellement trop chère (ndt: mais pourquoi? les conditions ne ressemblent plus à celles de 1789. Qui a créé artificiellement une pénurie alimentaire?). Mais elles ne sont pas autonomes , ou alors, si elles restent autonomes, il n'y a pas de Facebook qui tienne, et la révolte ne réussit pas à devenir une révolution. Là où le "passage" se fait, il y a à l'oeuvre non pas une unique grande conspiration, mais une multitude de "sociétés de pensée" dans le sens de Cochin, qui, dans ces pays tournent en partie autour de l'islam politique, en partie autour des différents "pouvoirs forts" dont un symbole en Egypte est un puissant point de référence des lobbies internationaux comme Mohamed El Baradei (1) (ndt: Pour qui roule-t-il?).

Facebook et Twitter sont utiles, et pas qu'un peu. Mais en fin de compte, comme disait Joseph de Maistre (1753-1821), les éléments de toutes les révolutions, comme de toutes les restaurations, ce sont les hommes.

Note

(1) Lu à l'instant ici: http://www.lepoint.fr/...

Mohamed El Baradei est prêt à "mener la transition" politique
L'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) arrive au Caire jeudi. Il doit participer aux manifestations.
...
Jeudi, à Vienne, Mohamed El Baradei s'est dit prêt à mener la transition politique en Égypte, si la population le lui demandait. "Si la population veut que je mène la transition, alors je ne la décevrai pas", a déclaré Mohamed El Baradei devant des journalistes à l'aéroport de Vienne, avant de prendre un avion qui devait le ramener en Égypte dans la soirée. Son retour est motivé par sa volonté de s'assurer que "tout se passe de manière pacifique et régulière", a-t-il ajouté. L'opposant égyptien, Prix Nobel de la paix, veut participer à de nouvelles manifestations prévues vendredi.

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