Articles La voix du Pape Livres, DVD Sites reliés Recherche Saint-Siège
Page d'accueil Articles

Articles


Noël Les collages de Gloria Bénin Blasphème au théâtre Indignés Assise Allemagne (suite) 2011: L'Année Benoît

Sur les catholiques au gouvernement

Pietro De Marco

A propos du nouveau gouvernement Monti et de "l'esprit de Todi", sur le blog personnel de Sandro Magister, Settimo Cielo, réflexions d'un intellectuel italien catholique - ni tradi, ni adulte! (14/12/2011)

Sur ce thème, voir aussi:



On a beaucoup parlé de la participation "en force" des catholiques au gouvernement Monti. Mais s'agissait-il d'une participation en tant que catholiques, ou bien de l'utilisation d'un "patrimoine de compétences catholique - avec d'autres - [qui] n'a été convoqué dans le gouvernement Monti que dans la perspective d'un état d'urgence"?
Ce texte d'un intellectuel italien catholique (je crois) sociologue des religions, s'applique en premier lieu au panorama politique de nos voisins transalpins, où l'Action Catholique (Azione cattolica) a joué un rôle politique de premier plan, notamment dans la formation du personnel de la défunte Democrazia cristiana (jusqu'en 1994). Un modèle désormais périmé, dit-il. Mais il pose aussi des questions qui nous concernent... et qu'on peut discuter, sur les modalités concrètes de participation des catholiques (en réalité, la question est celle-là: y a t-il encore une identité catholique?) à l'action politique.


Sur les catholiques au gouvernement. Des choses à ne pas croire

Le professeur Pietro De Marco (*) revient dans l'analyse qui suit sur la présence des catholiques dans la sphère politique. Comme toujours original, intelligent et à l'écart des schémas, comme d'autres déjà publiés par lui, sur le même thème, dans "Il Foglio" "l'Occidentale" et www.chiesa:
(Sandro Magister, Settimo Cielo, 4.12/2011)

* * *

Encore sur les catholiques dans la politique
Pietro De Marco

1. Le diagnostic de la «disparition des catholiques» de la vie publique et politique italienne des vingt dernières années est une erreur qui engendre d'autres erreurs, quelles que soient les bonnes raisons et les intentions avec lesquelles il est formulé.

L'erreur est alimentée dans une large mesure par l'auto-référentialité (c'est ainsi que l'on dit) de certaines élites catholiques, celles qui ont pensé et pensent qu'ils sont ou représentent «les catholiques»; et de la confiance que leur témoigne la hiérarchie, plutôt qu'au catholique lambda.

En fait, tant que la classe politique démocrate-chrétienne provenait principalement du noyau central de la «religion d'Église» que certains sociologues nommaient «orienté et réfléchi», ou dans un langage plus simple, de la composante croyante et assidûment pratiquante, en somme des rangs de l'Action catholique, la catégorie de politicien catholique semblait claire, et aussi rassurante.

Mais depuis plus de deux décennies les catholiques de la et dans la politique sont au contraire des pratiquants ordinaires, qui ne sont pas issus de filières «vertueuses». En Italie, cela a été un phénomène relativement nouveau, mais il ne l'est plus depuis longtemps.

Depuis des années, il y a des catholiques en position importante partout, y compris au gouvernement, avec un mandat prédominant des catholiques, c'est-à-dire de la majorité de la population, mais sans parti catholique ni filière de formation «qualifiée». Une représentation sociale et politique de la majorité catholique d'Italie, donc, dans le pays, habituellement à des niveaux élevés de responsabilité dans le gouvernement ou l'opposition, comme dans les cadres administratifs ou dans le monde de la production.

Ce sont souvent des catholiques «modaux» (ndt: modal est ici entendu au sens "auquel on peut ajouter des modificateurs de sens, comme un adverbe en grammaire"), ceux du «plutôt d'accord» avec l'Église, du «presque régulier» des questionnaires, et même les catholiques du type «distrait et gêné». Si nous parlons de catholiques dans le projet politique, par conséquent, on ne peut pas ne pas tenir compte de la qualité et de la quantité du profil catholique moyen, fait d'hommes et de femmes de différents niveaux et générations, qui sont quelque chose de différent dans plusieurs dimensions ( spirituelle, morale, rituelle, etc.) des composantes du modèle «vertueux». Et quel modèle d'excellence privilégier? Pour employer le langage des sociologues: le vertueux solidariste ou le mystico-rituel? Le communautariste-liturgique ou le charismatique-missionnaire?

En bref, les principes catholiques essentiels sont partagés par un arc de citoyens plus large que ce qu'aime à croire les puristes de toutes orientations, et en tant que tels, sont distribués avec des effets différents dans l'ensemble de la société civile, en une agora légitimement divisée, sans attrait pour les formes et les résultats de la vieille «unité des catholiques». De cette évidence, il n'émerge pas la répétition d'une présumée liquidation de la politique catholique, fréquente dans les années 70, selon laquelle il n'y aurait pas de politiciens catholiques, mais des catholiques qui font de la politique. Au contraire. Mais on se rend compte que la politique catholique ne nécessite pas l'unité politique des catholiques.

Il n'est pas utile pour l'analyse, nécessaire à chaque conception ou stratégie, que les catholiques «vertueux» des anciennes filières (pas étrangers à notre désastreuse protection sociale et à notre société moléculaire et verrouillée) s'exhibent comme modèles de culture politique et acteurs d'une «renaissance». Le monde catholique restreint, qui continue à se mettre en évidence comme expert et comme modèle ne représente plus la complexité de l'ensemble du monde catholique italien, et ne dispose pas du langage pour l'analyser. Ses opinions et ses réactions sont faiblement prédictifs.

L'erreur dans l'analyse et la terminologie est donc de parler de la population et des catholiques en général en ayant seulement à l'esprit le vieux profil d'appartenance et de militantisme associatifs. Cette erreur pèse lourdement sur la réflexion et rend vains les projets politiques: on ne construit pas des partis avec militantisme, participation et base électorale significative sur un consensus éthique confus et ses rhétoriques. La poltique, ce sont des pronostics experts et des décisions rationnelles, a priori difficiles à partager, sur les «bona particularia» dans lesquels se réalise le bien commun.

Il revient à une une réflexion nouvelle, et même à une science politique catholique, de remodeler les canaux et les méthode du rapport «professeur» entre la hiérarchie catholique et la sphère politique. Sans diagnostic averti, les turbulences actuelles sur le «nouveau centre» et les réunions du type de Todi seront les seuls issues d'une volonté mal dirigée.

2. Quelques observations sur la question des catholiques dans le gouvernement dirigé par le professeur Mario Monti.

La première est que cette présence dans le nouveau gouvernement, qu'a souligné la presse, me semble confirmer ce que j'ai écrit ci-dessus. Les catholiques aujourd'hui dans le gouvernement ne sont pas, par définition, les nouveaux levier d'une «renaissance», mais une concentration du patrimoine catholique existant et opérant concrètement depuis des années dans le cadre social et politique de la Première République.

Des hommes de qualité, donc, qui démentent le diagnostic confus sur le «silence» des catholiques dans la sphère publique, ou dans l'Eglise, ou dans les deux, durant les dernières décennies. Les choses dites ces jours-ci sur un passé de l'Eglise italienne qui aurait empêché ce qui - après le changement de présidence de la conférence des évêques - est enfin devenu possible, sont absurdes. Sans discernement ni historique ni politique.

En effet, ce patrimoine de compétences catholique - avec d'autres - n'a été convoqué dans le gouvernement Monti que dans la perspective d'un état d'urgence. La conscience du «Notfall», de état de nécessité ou d'urgence, en effet, a été portée à ses conséquences par la représentation politique elle-même, à l'initiative du Président de la République: si le mandat populaire produit une représentation bloquée, ceux qui gouvernent doivent être temporairement émancipés, ou au moins immunisés contre les effets pervers de la correspondance électeurs-élus: tel est l'exécutif Monti, dans sa légitimité et ses limites politiques.

Les catholiques du gouvernement Monti ne seraient pas au gouvernement sans l'urgence et, d'ailleurs, ils ne seraient pas au gouvernement s'ils resssemblaient aux politiciens catholiques de la dernière phase de la Première République. La rationalité de la situation d'urgence n'est pas incompatible avec les idéaux et les principes de la doctrine sociale de l'Église, mais elle exige des compétences de diagnostic et de décision pour aujourd'hui; des compétences qui ne s'enseignent pas des les «écoles de politique», mais que certains catholiques possèdent par un autre moyen, et qui n'ont rien à voir avec Todi.

De «Todien» il y a seulement, de façon réaliste (c'est à dire avec la capacité à entrer réellement dans le jeu) l'approbation de la CEI et de la Secrétairerie d'État au gouvernement Monti. Les minorités politiques qui essaient de se glisser dans le sillage de ce gouvernement pour lui imprimer leur propre marque et recevoir ensuite des dividendes électoraux mettent en place une tactique compréhensible; mais l'image, je le crains, va être celle de la mouche du coche. De même que le gouvernement des catholiques autour de Monti n'est pas - ni ne peut être - la reprise de parole des «catholiques adultes», il n'est pas non plus un produit néo-démocrate chrétien. Il ne pourrait l'être ni pour la procédure «exceptionnelle» de sa formation, ni pour ses finalités, opposées à l'héritage social et économique que nous a laissé la démocratie-chrétienne.

3. En résumé.
Premièrement, les catholiques sont déjà dans la sphère publique, dans la forme et le rôle de «civil servant», d'acteurs économiques, d'hommes d'école et de science, et bien plus encore. Deuxièmement, certains de ces acteurs deviennent aujourd'hui, par décision politique, hommes de gouvernement dans un «état d'exception».

Qu'est-ce que cela implique? Cela implique que si la politique catholique de l'après-guerre, «populaire», démocrate-chrétienne, de l'Action catholique avant le «choix religieux», est terminée, les catholiques ne sont pas pour autant politiquement «absents», les catholiques d'aujourd'hui n'en ont pas besoin pour exister et agir politiquement.
Cela implique également que l'hypothèse, chère aux milieux autorisés, de former des politiciens catholiques en analogie avec cette tradition, ou au moins ce paradigme - en fin de compte, «étatiste» - devrait être repensée en termes de faisabilité et de principe.
...

C'est ma conviction, depuis au moins deux décennies, que la culture politique et la science politique catholique, au sens strict, devraient s'émanciper de la rhétorique et les pratiques de la primauté du «social», qui ont leurs raisons dans la dimension communautaire et domestique, mais ne sont pas le «politique».

Un corps politique n'est tel que s'il est conscient de lui-même et de sa vérité (Eric Voegelin), à qui on peut consentir beaucoup de sacrifices. J'ai vu pendant des décennies un mur dont la grille de fer avait été scié pour les nécessités de la guerre. Nous avons juste appris à rire de ces sacrifices et d'autres de nos parents, comme l'or à la patrie. Pourtant, il s'agissait d'un organe politique, qui a été remplacé dans les décennies de la république par une société civile «moderne» et de bons sentiments, mais envahissante, acquisitive et étatiste.

Politiques catholiques et «nouveaux» catholiques dans la politique ont, à mon avis, la tâche de diriger le pays dans l'exode de cette servitude, même si certains regretteront la terre d'Égypte, lorsque l'on était «assis sur la marmite de viande, mangeant du pain à stiété »(Exode 16, 3).

Florence, 4 Décembre 2011

* * *

Pietro De Marco. Né en Gênes en 1941. Il est professeur de Sociologie des religions à la Faculté des Sciences de la Formation et à l’Iintitut Supérieur de Sciences Religieuses.

N'y a t-il que l'économie qui compte? Lettres de créance