Juste avant la VIIe Rencontre mondiale des familles, présidée par Benoît XVI à Milan, une réflexion de Massimo Introvigne (1er/6/2012)
Le Saint-Père se rend cet après-midi à Milan, pour assister à la VIIe rencontre mondiale des familles, et les familles catholiques (et plus largement tous les catholiques) attendent beaucoup de sa voix.
Il est malheureusement peu probable que cette frêle voix si forte trouve (sauf "scandale" éventuel) un écho dans les medias, même si des centaines, voire des milieux de personnes sont attendues dans la capitale lombarde.
Alors que le gouvernement Hollande s'apprête à légaliser le "mariage" gay, et que dans certaine ville de province, la prochaine gay-pride fait l'objet d'une invraisemblable promotion de la tévision locale du service public...
Il Sussidiario.net
lundi 28 mai 2012
par Massimo Introvigne
«La famille naît d'un fait naturel, et nous ne pouvons pas la réinventer selon notre bon plaisir».
Paroles de Massimo Introvigne, sociologue et opinioniste, à la veille de la VIIe Rencontre mondiale des Familles, qui débutera mercredi prochain à Milan, qui se terminera par la messe que Benoît XVI célébrera le dimanche 3 Juin à l'Aéroport de Bresso.
«La famille fondée sur le mariage entre un homme fidèle et d'une femme et ouvert à la vie, au-delà de tous les développements culturels qui la caractérisent, continue de s'imposer comme la voie maîtresse pour la génération et la croissance de la personne», avait dit le cardinal Angelo Scola lors de la conférence de presse présentant l'événement. C'est de ces «évolutions culturelles» que IlSussidiario.net a parlé avec le chercheur turinois.
«Un des grands enseignements de Benoît XVI», explique Massimo Introvigne, «est que l'on ne peut pas dissocier la crise économique de la crise morale. Elles sont toujours connectées et se renvoient l'une à l'autre, nous ne devons jamais l'oublier. Ceci dit, seul un imbécile pourrait nier qu'il existe une crise économique qui influe négativement sur la famille, car peu de gouvernements, en dépit des déclarations de principe, considérent vraiment la famille comme une priorité». "
- Où se trouve la crise culturelle qui serait une avec la crise économique?
- C'est une crise qui remonte à loin, et a ses racines dans le siècle des Lumières. Pensons aux polémiques de Rousseau au sujet de la famille, comme un lieu où sont transmises aux enfants superstitions et mauvaises idées. Déjà là, on commence à mettre en discussion les liens organiques.
- Aujourd'hui, lorsque nous parlons de la famille, il nous faut maintenant préciser qu'il s'agit de la famille traditionnelle, c'est-à-dire que nous entendons la famille composée d'un homme et d'une femme. N'est-ce pas déjà une donnée éloquente sur laquelle il faut réfléchir?
- Nemo repente fit pessimus, disait-on au Moyen-Age: nul n'arrive au fond de l'abîme immédiatement. C'est le résultat d'un processus qui comprend trois étapes. Il commence par la primauté de l'individu sur la famille des Lumières, puis de l'Etat sur la famille des idéologies totalitaires du XXe siècle. Au bout du tunnel il y a le déni: la famille n'est pas une réalité, mais une invention culturelle que chacun est libre de refaire selon son bon plaisir.
- Une invention, dites-vous?
- Oui. Si quelqu'un veut importer la polygamie en Occident, il est libre de le faire, et quiconque souhaite se mettre en couple homosexuel, en a un droit égal; jusqu'à cette ultime affaire, qui vient d'Allemagne, dans laquelle il a été fait appel à la Cour européenne pour demander l'admissibilité de l'inceste. C'est le point d'accostement extrême, dramatique, qui est atteint lorsque la réalité des choses est dissoute. De façon cohérente, la notion de famille traditionnelle est tout simplement obsolète.
- Voyons notre histoire. Qu'est-ce que 68 a représenté pour la famille italienne (ndt et bien sûr française)?
- La condition préalable indispensable pour la troisième étape que j'ai décrite. Elle survient quand la culture marxiste présente dans le pays a a déjà amplement articulé son attaque sur la famille comme premier dépositaire de l'éducation des enfants, en déléguant ce rôle à l'État. Cette conception subordonnait la famille à la collectivité, néanmois, elle continuait à la reconnaître comme une valeur en elle-même. En revanche, avec «l'imagination au pouvoir» commence une nouvelle phase: avec la révolution sexuelle, la famille «d'avant» n'est rien d'autre qu'un obstacle à la libre manifestation du désir. Cette approche sera développée de manière cohérente dans les vingt années suivantes, il suffit de penser au PACS en France.
- Le désir dont parle la révolution sexuelle est-il le même désir que le Catéchisme de l'Église catholique dit être propre au cœur de chaque homme?
- Je crois que Luigi Giussani a écrit de très belles pages sur cette question, partant, et ce n'est pas par hasard, de l'un des mots les plus controversés de la crise qui a surgi dans ces années-là. Le désir le plus profond que l'homme, tous les hommes, portent au fond d'eux-mêmes, est le désir de Dieu, le désir de la Jérusalem céleste. C'est l'un des grands enseignements de saint Augustin, les plus cités par le Pontife actuel. Dans le désir, typique d'un amour plein et vrai, d'être parfaitement satisfait - ce qui, sur le plan de l'amour physique se révèle impossible - il se peut qu'il y ait le désir originelle de la Jérusalem céleste. Mais l'homme doit le savoir et en comprendre les racines; et si cela n'arrive pas, alors ce désir de l'autre menace de devenir auto-destructeur.
- Peut-on parler de famille si l'on se passe du concept de nature?
- Je dirais que non. Il est possible bien sûr de garder le mot «famille», mais en lui donnant des significations entièrement nouvelles. La famille naît d'une donnée naturelle que nous ne sommes pas libres d'inventer. Ici, les routes divergent: pour le croyant, cette donnée est "créé" , inscrit dans un dessein de Dieu sur l'univers; pour un non-croyant, ce dessein n'existe pas, et, de façon cohérente, cette donnée devient modifiable. La différence et la complémentarité entre l'homme et la femme appartiennent à cette donnée originelle.
- Qu'entendez-vous par «donnée originelle»?
- Nous pouvons changer beaucoup de choses, mais nous ne pouvons pas changer le simple fait qu'un jour nous sommes nés, c'est-à-dire que nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes. Tout comme nous ne pouvons pas changer - jusqu'à aujourd'hui, mais je pense, jamais - le fait qu'un jour nous mourrons. Un autre donnée originelle, c'est le fait que le petit de nombreuses espèces d'animaux, laissé seul pendant quelque temps, survit, tandis que le petit de l'homme, dans les mêmes conditions, meurt; il faut donc qu'il y ait une institution qui garantisse qu'il ne soit pas laissé seul mais soigné, et que pendant de nombreuses années il soit accompagné vers son développement. Il est suggestif que de cette réflexion découle une nouvelle science, la sociologie.
- L'immoralité de la révolution sexuelle [en Italie] n'est jamais devenu un phénomène d'époque?
- Comme sociologue, je vois les statistiques sur l'abaissement de l'âge du premier rapport sexuel déclaré, sur l'abaissement de l'âge des grossesses prénuptiales , sur l'augmentation de la cohabitation avant le mariage et hors mariage. Je peux sans aucun doute dire qu'elle est devenue phénomène d'époque par la suite. Aidé par un entrelacement pervers entre la coutume et la loi, parce que certainement les lois sur le divorce et l'avortement ont interagi avec la coutume et en quelque sorte, l'ont également produite.
- Ce sont les années du socialisme rampant. En Italie, le socialisme était-il seulement la culture d'un parti de gouvernement?
- Il est curieux de voir comment la culture du socialisme italien, y compris celui que Craxi (http://fr.wikipedia.org/wiki/Bettino_Craxi) nous a habitués à considérer comme sympathique pour sa modération par rapport au communisme soviétique, véhicule en son sein la position de Turati (http://fr.wikipedia.org/wiki/Filippo_Turati). Le père du socialisme italien, adresse à la famille une critique de marque libertine, qui combine le pire de l'idéologie marxiste et le pire de l'idéologie des Lumières.
- Cela a eu des conséquences en termes de mentalité?
- Il n'y a aucun doute que grâce aussi à la culture du PSI (Parti socialiste italien) s'est affirmée et s'est diffusée une forte critique des modes de vie et de la morale traditionnels. Elle a ainsi constitué un accélérateur efficace de la société hédoniste. Aujourd'hui, on est allé beaucoup plus loin, au point que nous considérons comme rétrogrades certains représentants de ce monde politique; mais à cette époque, par rapport à la morale traditionnelle, l'impact a été dévastateur.
- Il y a quelques années, dans plusieurs essais, vous avez montré le lien entre le gnosticisme et le socialisme sur le thème de la famille et de la morale sexuelle. Y a-t-il une inspiration gnostique [ndt: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gnosticisme] dans la façon dont la relation entre l'homme et la femme est vécue aujourd'hui?
- Si l'on peut en voir les effets en considérant - peu importe à quel niveau de conscience - que la procréation, mais aussi la relation entre l'homme et la femme sont mauvais, puisque le mal dans le monde, pour la gnose, coïncide avec l'existence d'individualités distinctes, dont la multiplication facilite la chute du monde des idées, le Plérôme, qui est bon, dans celui du monde matériel qui est mauvais.
- Et ces antiques doctrines sont venues jusqu'à nous?
- N'oublions pas que de nombreux éléments gnostiques ont fasciné la culture de du XXe siècle, dans les milieux du marxisme et de la psychanalyse. Rappelons-nous quand Paul Ricoeur a parlé des «maîtres du soupçon». Jean-Paul II a repris l'expression de Ricoeur pour indiquer les principaux fauteurs de la la gnose moderne, Marx, Nietzsche et Freud. Ce sont les «grands-parents» dont les représentants actuels de la philosophie du "genre" sont les petits-enfants, bien que je ne jurerais pas qu'ils ont des catégories culturelles nécessaires pour être à la hauteur de ces thèmes. Et pourtant, ils en sont influencés.
- «Maîtres du soupçon», don. Soupçon de quoi, et sur quoi?
- Soupçon de tout ce qui en en Europe et en Occident, est chrétien traditionnel.
- Nous sommes dans le post-moderne, où toutes les idéologies se valent. Quels sont les défis auxquels est confrontée la famille aujourd'hui?
- Je ne pense pas que le problème de la famille puisse être séparé d'une série d'autres problèmes d'ordre culturel et moral. La révolution culturelle, à partir de 68 jusqu'à nos jours et qui attaque les jeunes, l'individu, la famille, l'État, l'art, la religion, rend le défi mondial. Quand bien même nous introduirions le quotient familial, auquel je suis par ailleurs absolument favorable, et nous refuserions de répondre à la crise culturelle qui nous entoure encore, nous aurions perdu de toutes façons.