Dans son discours à l'Assemblée de la Conférence épiscopale italienne, Benoît XVI indique la voie pastorale pour notre temps (titre de l'OR). Traduction (25/5/2012)
Comme d'habitude, il est très difficile (ou carrément impossible) de résumer le discours en une formule. Donc, parmi les thèmes abordés: la nécessité d'approfondir les textes de Vatican II, en refusant fermement l'herméneutique de la rupture; le sécularisme érode la culture et les valeurs unifiantes, Dieu est marginalisé, et c'est la grande raison de la crise de l'Europe; d'où la nécessité de revenir à une "profonde expérience de Dieu".
Le Saint-Père termine son discours par une très belle prière qu'il a composée.
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Discours du Pape Benoît XVI à l'Assemblée de la Conférence épiscopale italienne
jeudi 24 mai 2012
(Texte en italien, ma traduction)
Vénérés et chers frères,
C'est un moment de grâce, que votre réunion annuelle en Assemblée, dans laquelle vous vivez une expérience profonde de confrontation, de partage et de discernement pour le chemin commun, animé par l'Esprit du Seigneur Ressuscité; c'est un moment de grâce qui manifeste la nature de l'Église. Je remercie le Cardinal Angelo Bagnasco pour les paroles cordiales avec lesquelles il m'a souhaité la bienvenue, exprimant les sentiments de chacun de vous; à Vous, Eminence, j'adresse mes meilleurs vœux pour votre confirmation à la présidence de la Conférence épiscopale italienne.
L'esprit de collégialité qui vous anime nourrit toujours davantage votre collaboration au service de la communion ecclésiale et du bien commun de la nation italienne, dans le dialogue fructueux avec ses institutions civiles. Dans ce nouveau quinquennat, poursuivez le renouveau l'Eglise qui nous a été confié par le Concile Vatican II; puisse le 50ème anniversaire de son début, que nous célébrerons à l'automne, être un motif pour l'approfondissement de ses textes, condition d'une réception dynamique et fidèle. « Ce qui intéresse plus que tout le Concile est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et enseigné de façon plus efficace», déclarait le Bienheureux Pape Jean XXIII dans son discours d'ouverture. Et cela vaut la peine de méditer et de relire ces paroles. Le Pape engageait les Pères à approfondir et à présenter cette doctrine pérenne en continuité avec la tradition millénaire de l'Église, «transmettre la doctrine pure et entière, sans atténuation ni déformation», mais de manière nouvelle «selon ce qui est requis par notre époque» ( Discours prononcé lors de l'ouverture solennelle du Concile Vatican II , le 11 octobre 1962 ). Avec cette clé de lecture et d'application, non certes dans l'optique d'une inacceptable herméneutique de la discontinuité et de la rupture, mais d'une herméneutique de la continuité et de la réforme, écouter le Concile et faire nôtres ses indications autorisées, constitue la route pour identifier les moyens par lesquels l'Eglise peut offrir une réponse valable aux grandes transformations sociales et culturelles de notre temps, qui ont des conséquences visibles sur la dimension religieuse.
La rationnalité scientifique et la culture technique, en effet, non seulement tendent à uniformiser le monde, mais souvent dépassent leurs domaines spécifiques, dans la prétention de délimiter le périmètre des certitudes de la raison uniquement avec le critère empirique de leurs propres conquêtes. Ainsi, le pouvoir des capacités humaines finit par se considérer comme la mesure de l'agir, libre de toute norme morale. C'est précisément dans ce contexte que ne manque pas de resurgir, parfois de manière confuse, une demande singulière et croissante de spiritualité et de surnaturel, signe d'une inquiétude qui habite dans le cœur de l'homme qui ne s'ouvre pas à l'horizon transcendant de Dieu. Cette situation de sécularisme caractérise surtout les sociétés de vielle tradition chrétienne et érode ce tissu culturel qui jusqu'à un passé récent, était une référence unificatrice, capable d'embrasser l'ensemble de l'existence humaine et d'en rythmer les moments les plus significatifs de la naissance à la transition vers la vie éternelle. Le patrimoine spirituel et moral dans lequel l'Occident a ses racines et qui en constitue la sève vitale, aujourd'hui n'est plus compris dans sa valeur profonde, au point qu'on n'en saisit plus l'exigence de vérité. Même une terre fertile risque ainsi de devenir un désert aride et le bon gré d'être étouffé, piétiné et perdu.
Cela se reflète dans la baisse de la pratique religieuse, visible dans la participation à la liturgie eucharistique et, plus encore, dans le sacrement de Pénitence. Beaucoup de baptisés ont perdu leur identité et leur appartenance: ils ne connaissent plus les contenus essentiels de la foi, ou pensent être en mesure de les cultiver indépendamment de la médiation de l'Eglise. Et tandis que beaucoup regardent, sceptiques, les vérités enseignées par l'Église, d'autres réduisent le Royaume de Dieu à quelques valeurs importantes, qui ont certainement à voir avec l'Evangile, mais qui ne sont pas encore le noyau de la foi chrétienne. Le Royaume de Dieu est un don qui nous transcende. Comme l'affirmait le Bienheureux Jean-Paul II , «le Royaume de Dieu n'est pas un concept, une doctrine, un programme soumis à la libre interprétation, mais il est avant tout une personne qui a le visage et le nom de Jésus de Nazareth, l'image du Dieu invisible» ( Jean-Paul II, Enc. Redemptoris Missio [7 Décembre, 1990], 18). Malheureusement, c'est justement Dieu, qui est exclu de l'horizon de beaucoup de gens; et quand il ne rencontre pas l'indifférence, la fermeture ou le refus, le discours sur Dieu, on le veut de toutes façons relégué dans le milieu subjectif, réduit à un fait privé et intime, marginalisé de la conscience publique. Passe par cet abandon, ce manque d'ouverture au Transcendant, le cœur de la crise qui blesse l'Europe, qui est une crise spirituelle et morale: l'homme prétend avoir une identité accomplie simplement en lui-même.
Dans ce contexte, comment pouvons-nous répondre aux responsabilités qui nous sont confiées par le Seigneur? Comment pouvons-nous semer avec confiance la Parole de Dieu, afin que chacun puisse trouver la vérité sur lui-même, sa propre authenticité et son espérance? Nous sommes conscients qu'il ne suffit pas de nouvelles façons de proclamer l'Evangile ou d'action pastorale pour que la proposition chrétienne puisse être mieux accueillie et partagée. Dans la préparation de Vatican II, la question qui prévalait, et à laquelle les Assises du Concile voulaient répondre était: «Eglise, que dis-tu de toi-même?». En approfondissant cette question, les Pères du Concile ont été, pour ainsi dire, ramenés au cœur de la réponse: il s'agissait de repartir de Dieu, célébré, professé, témoigné. Extérieurement par hasard, mais, fondamentalement pas par hasard, en effet, la première constitution approuvée a été celle sur la sainte Liturgie : le culte divin oriente l'homme vers la cité future, et restitue à Dieu sa primauté, façonne l'Eglise, sans cesse convoquée par la Parole, et montre au monde la fécondité de la rencontre avec Dieu. A notre tour, tandis que nous devons cultiver un regard reconnaissant pour la croissance du bon grain même dans un terrain souvent aride, nous ressentons que notre situation réclame un nouvel élan, qui pointe vers ce qui est essentiel de la foi et de la vie chrétienne. Dans un temps où Dieu est devenu pour beaucoup le grand inconnu, et Jésus simplement un grand personnage du passé, il n'y aura pas de relance de l'action missionnaire sans renouveau de la qualité de notre foi et de notre prière; nous ne serons pas en mesure d'offrir des réponses adéquate sans un nouvel accueil du don de la grâce; nous ne saurons pas conquérir les hommes à l'Évangile, sauf en revenant nous d'abord à une profonde expérience de Dieu.
Chers frères, notre premier, vrai, et unique devoir, reste l'engagement à consacrer notre vie à ce qui vaut, et reste, à ce qui est vraiment fiable, nécessaire et ultime. Les hommes vivent de Dieu, de Celui que, souvent inconsciemment ou seulement à tâtons ils recherchent pour donner son plein sens à leur vie: nous avons le devoir de l'annoncer, de le montrer, de guider à la rencontre avec lui. Mais il est toujours important de nous rappeler que la première condition pour parler de Dieu, c'est de parler avec Dieu, de devenir de plus en plus des hommes de Dieu, nourris par une intense vie de prière et façonnés par sa grâce. Saint-Augustin, après un voyage de fébrile, mais sincère recherche de la Vérité était enfin parvenu à la trouver en Dieu. Alors il s'est rendu compte d'un aspect singulier qui a rempli son cœur d'émerveillement et de joie: il a compris que tout au long de son chemin, c'était la Vérité qui le cherchait et qui l'avait trouvé. Je voudrais dire à chacun: Laissons-nous trouver et saisir par Dieu, afin d'aider chaque personne que nous rencontrons à être atteint par la Vérité. C'est de la relation avec Lui que naît notre communion et qu'est engendrée la communauté ecclésiale, qui embrasse tous les temps et tous les lieux, pour constituer l'unique Peuple de Dieu.
Pour cette raison, j'ai voulu déclarer une Année de la Foi , qui commencera le 11 Octobre, pour redécouvrir et accueillir à nouveau ce don précieux qui est la foi, pour connaître plus profondément les vérités qui sont la sève même de nos vies, pour conduire l'homme d'aujourd'hui, souvent distrait, à une nouvelle rencontre avec Jésus-Christ «le chemin, la vie et la vérité».
Au milieu de transformations qui affectaient de larges pans de l'humanité, le Serviteur de Dieu Paul VI indiquait clairement comme devoir de l'Eglise celui de « rejoindre, et presque bouleverser par la force de l'Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d'intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie qui sont contraires à la Parole de Dieu et au dessein de salut » (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi [8 décembre 1975], 19).
Je voudrais rappeler ici comment, au cours de sa première visite en tant que souverain pontife dans sa terre natale, le bienheureux Jean-Paul II a visité un quartier industriel de Cracovie conçu comme une sorte de «ville sans Dieu». Seule l'obstination des ouvriers avait conduit d'abord à y ériger une croix, puis une église. Dans ces signes, le Pape a reconnu le début de ce que lui, pour la première fois, a appelé la «nouvelle évangélisation», expliquant que «l'évangélisation du nouveau millénaire doit se référer à la doctrine de Vatican II. Elle doit être, comme le Concile l'enseigne, l'oeuvre commune des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs, l'oeuvre des parents et des jeunes.» Et il a conclu: «Vous avez construit l'église, édifiez votre vie avec l'Evangile" (Homélie au Sanctuaire de la Sainte Croix , Mogila, 9 Juin 1979).
Chers frères, la mission ancienne et nouvelle qui nous attend est celle d'introduire les hommes et les femmes de notre temps à la relation avec Dieu, les aider à ouvrir leur esprit et leur cœur à ce Dieu qui les cherche et veut se rapprocher d'eux, les guider à comprendre qu'accomplir sa volonté n'est pas une limite à la liberté, mais c'est être vraiment libre, réaliser le vrai bien de la vie. Dieu est le garant, pas le concurrent, de notre félicité, et là où pénètre l'Evangile - et donc l'amitié du Christ - l'homme fait l'expérience d'être l'objet d'un amour qui purifie, renouvelle et réchauffe, et rend capable d'aimer et de servir l'humanité d'un amour divin.
Comment le souligne opportunément le thème principal de votre Assemblée, la nouvelle évangélisation a besoin d'adultes qui sont «mûrs dans la foi et témoins d'humanité».L'attention au monde des adultes manifeste votre conscience du rôle décisif de ceux qui sont appelés, dans les différentes sphères de la vie, à assumer une responsabilité éducative des nouvelles générations. Veillez et opérez de telle sorte que la communauté chrétienne sache former des personnes adultes dans la foi, parce qu'elles ont rencontré Jésus-Christ, qui est devenu la référence fondamentale de leur vie; des personnes qui le connaissent parce qu'ils l'aiment, et qui l'aiment parce qu'ils l'ont connu; des personnes en mesure d'offrir des raisons solides et crédibles de vie. Dans ce chemin de formation est particulièrement important - vingt ans après sa publication - le Catéchisme de l'Église catholique, support pédagogique précieux pour une connaissance organique et complète des contenus de la foi et pour guider à la rencontre avec le Christ. Avec l'aide aussi de cet outil, puisse l'assentiment de foi devenir critère d'intelligence et d'action qui implique l'ensemble de l'existence.
Nous trouvant dans la neuvaine de Pentecôte, je voudrais conclure ces réflexions par une prière à l'Esprit Saint:
Esprit de Vie, qui, au début, flottait sur l'abîme,
aide l'humanité de notre temps à comprendre
que l'exclusion de Dieu l'amène à se perdre dans le désert du monde,
et que seulement là où entre la foi fleurissent la dignité et la liberté
et toute la société s'édifie dans la justice.
Esprit de la Pentecôte, qui fais de l'Église un seul corps,
Restitue à nous, baptisés, une authentique expérience de communion;
rengs nous signe vivant de la présence du Christ ressuscité dans le monde,
communauté des saints, qui vit dans le service de la charité.
Esprit Saint, qui autorise à la mission,
laisse-nous reconnaître que, même à notre époque,
beaucoup de gens sont à la recherche de la vérité sur leur existence et sur le monde.
Rends nous des collaborateurs de leur joie avec l'annonce de l'Evangile de Jésus-Christ,
grain de blé de Dieu, qui rend bon le terrain de la vie et assure l'abondance de la récolte.
Amen.