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Rétrospective 2011

A la veille du Nouvel An, la Bussola a fait renaître sa rubrique ex-hebdomadaire de conversation entre Vittorio Messori et Andrea Tornielli. J'ai traduit les deux derniers échanges, sur la FFSPX, et sur la nécessité pour l'Eglise de se dépouiller du pouvoir temporel, évoquée par le saint-Père à Fribourg, dans son discours aux catholiques engagés dans l'Eglise et la Société. (2/1/2012)


Cela fait plus de six mois qu'à mon grand regret, la Bussola avait cessé de publier la rubrique hebdomadaire "délectable": A table avec Vittorio Messori.

Je ne sais pas si c'est un simple cadeau de Nouvel An, ou si elle va revenir de façon régulière, mais nous avons droit, cette semaine, à un "festin" (cenone = réveillon), sous le titre "2011: choses à se rappeler" (texte en italien ici: http://www.labussolaquotidiana.it/).
Andrea Tornielli interroge Messori sur les évènements importants de l'année écoulée, vus surtout du côté italien: la guerre en Lybie, le lynchage de Khadaffi, la chute de Berlusconi (avec lequel il n'est pas tendre), le "gouvernement technique" de Mario Monti, et la présence des francs-maçons dans ce gouvernement (il nous livre sa propre expérience de jeune journaliste "de pointe" à La Stampa), "les catholiques en politique" tels qu'esquissés lors du fameux congrès de Todi (Vittorio Messori pense que les catholiques seront plus efficaces s'ils "essaiment" comme diaspora au sein de différents partis - pas évident!! et s'agit-il encore de catholiques? -, plutôt que de créer un parti à eux, sur le modèle de la défunte démocratie chrétienne: il prend pour exemple l'histoire des juifs, selon lui "sans la dispersion dans le monde, dans les différents pays, les juifs et leur culture auraient été infiniment moins influents").

J'ai choisi de traduire les deux derniers échanges.

L'Eglise et le pouvoir temporel


- Vittorio, l'année qui s'achève a été une année de voyages importants pour Benoît XVI: en particulier, le Pape a été impressionné par l'accueil exceptionnel reçu en Afrique, lors de la visite au Bénin, en Novembre dernier; de même que Ratzinger a été frappé par la chaleur des jeunes à Madrid. Mais il y a un discours, à mon avis important que Benoît XVI a prononcé en Septembre à Fribourg. Un petit discours qui a été peu rappelé, et même hâtivement archivé, dans lequel le Pape a parlé de la nécessité pour l'Eglise de se dépouiller du pouvoir temporel, et de ne pas compter sur les structures ... Qu'en penses-tu?

- Tu sais, grâce à Dieu, le Pape n'est pas un démagogue et donc il sait très bien ce que vaut, là aussi, la loi secrète du catholicisme, la loi de l'«et-et»: l'Église doit se dépouiller du pouvoir temporel et ne pas compter sur lui, c'est très vrai, mais c'est aussi une institution, et l'institution est l'enveloppe de la foi. Pour dire les choses: sans le soutien de la flotte et de l'infanterie espagnole, le nord de l'Italie serait devu protestant et le sud un sultanat musulman. Tout comme le Pape sait certainement que sans Constantin et Justinien, non seulement l'Eglise n'aurait jamais pu sortir au grand jour, mais elle serait devenue pour une moitié arienne (http://fr.wikipedia.org/wiki/Arianisme ) et pour l'autre moitié monophysite (http://fr.wikipedia.org/wiki/Monophysisme ). Il sait bien, le Pape, que Pie IX - qui avait fui auprès des Bourbons pour échapper à la République romaine de Mazzini et de Garibaldi - sans les troupes françaises, en 1849, il aurait été exilé pour toujours, et avait déjà prévu d'aller à l'île de Malte, sous protection britannique. Pour rester aux temps plus récents: en 1936, los Rojos (les rouges, en espagnol, ndt) - socialistes, communistes et anarchistes - ont immédiatement tué plus de la moitié du clergé espagnol dans les zones contrôlées par eux. Les autres n'ont été sauvés que par la fuite ou en se cachant. Dans le diocèse de Barbastro, les prêtres ont subi le martyre dans une proportion de quatre-vingts pour cent. La même chose se serait produite dans l'autre moitié de l'Espagne, sans une lutte certes sans pitié, souvent cruelle, du général Francisco Franco. Quelqu'un qui alternait les messes et les fusillades, mais qui a permis à ce qui restait de l'Eglise de survivre.
Au cœur des préoccupations de Benoît XVI, il y a plutôt ce fait: le problème n'est pas la réforme des structures, il n'est pas de renégocier les «ministères», de retoucher l'institution: le problème est la perle contenue dans la coquille, c'est à dire la foi! La préoccupation du Pape, je pense que c'est la même que le cardinal avait déjà exposée de façon répétée: nous sommes absorbés par la réforme de l'Eglise en tant qu'institution, nous en discutons beaucoup, oubliant que l'enveloppe serait vide de sens sans la foi, et malheureusement, c'est la foi qui risque de ne plus être transmise. La réforme ne se fera pas en changeant les institutions romaines. Nous devons retrouver la foi, et ce n'est pas par hasard que le Pape a proclamé 2012 comme Année de la foi. Je lui en suis sincèrement reconnaissant, et je lis ses paroles dans ce sens. Gardons-nous, cependant, de la démagogie soixante-huitarde contre, une fois de plus, «l'Eglise constantinienne», car aux exemples que j'ai donnés, nous pourrions ajouter d'autres. Et la leçon est la suivante: sans l'appui, y compris armé, des puissances du monde, eh bien, l'Eglise ne serait pas la même, elle serait réduit à un triste état, et le Pape ferait, selon toute probabilité, le Monseigneur à Malte.


La Fraternité Saint-Pie X


- Vittorio, pour conclure cette longue conversation (nous sommes à table pour le réveillon ...) je voulais te demander quelque chose à propos de l'accord possible entre la FSSPX et le Saint-Siège. Tout semble encore en haute mer: les lefebvristes considèrent le Concile comme un vrai malheur pour l'Eglise et ils lui attribueent tous les maux, et toute la responsabilité de la crise actuelle ...

- Là encore - sans doute que je suis plutôt sceptique par tempérament - mais plus le temps passe et plus je pense que la fracture va être incurable, comme celle qui s'est produite avec les Vétéro-Catholiques de Vatican I (ndt: L’Eglise vétéro-catholique italienne est une petite congrégation qui a quitté le Catholicisme romain au 19ème siècle. Cette Église suit un dogme autonome, à mi-chemin entre le Vatican et la Réforme, administre les sept sacrements de l’Église romaine, communie avec le pain et le vin, vénère la Vierge et les saints, mais ne reconnaît pas le dogme de l’infaillibilité pontificale), les «lefebvristes» de Pie IX, qui, comme tu le sais, existent encore et ont leur propre église ... J'ai toujours pensé que c'est une vue simpliste de croire que le problème est la liturgie latine ou la position du prêtre, quand il dit la messe. Le fait est que les perspectives ecclésiologiques sont très différentes aujourd'hui. D'autre part nous voyons aussi que nous avons un schisme dans le schisme, car si pour une partie de l'establishment lefebvriste, l'accord semble possible, il y a parmi eux ceux qui n'en veulent pas. Ici, Andrea, entre en jeu une question psychologique: au fond, c'est très gratifiant pour beaucoup de membres du clergé lefebvriste d'être parmi les «purs et durs», le dernier vestige d'Israël qui résiste à l'Antéchrist qui a investi la grande Église de Rome ... Je ne crois pas que la majorité de la Fraternité Saint-Pie X veuille rentrer dans l'Eglise, où elle serait seulement un point de vue parmi d'autres dans la grande famille catholique. Ils n'auraient plus la possibilité de se sentir les authentiques, uniques, paladins de l'orthodoxie.
Les positions politiques sont pour une bonne part déterminées par des situations psychologiques qui ont à voir avec les histoires et les tempéraments personnels. La même chose s'applique aux schismes et aux hérésies. Je relisais quelques pages de Calvin, non pas l'écrivain vénéré par les "liberal" (sic!), mais l'hérétique du XVIe siècle: en lui, on sent la joie d'être libéré du piège catholique, de pouvoir construire le christianisme à sa guise, de se sentir choisi par le Christ et oint par le Saint-Esprit pour combattre l'Antéchrist papal. Voilà, il me semble que désormais les lefebvristes eux aussi se sentent comme des archanges avec l'épée dégainée, et pour cette raison aussi, la fracture me semble difficile à réduire.

Toutefois, comme tu le sais, la prophétie, dans le sens de dévoiler l'avenir, n'est pas vraiment ma profession ...