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Où il est question du projet de "train à grande vitesse" italien pour relier Brescia à Vérone, à travers la plaine du Po: un projet financé par l'UE (malgré tous les beaux discours sur la protection de la nature), qui risque de gravement endommager l'un des plus beaux sites d'Europe. Vittorio Messori y habite, il sait donc de quoi il parle, et il ne fait pas de l'écologisme caricatural. Mais sa réflexion va bien au-delà. (14/3/2012)

Les medias (surtout italiens) bruissent quotidiennement des violentes manifestations qui ont lieu en ce moment, de la part du mouvement NO TAV (no al treno ad alta velocità), regroupant les opposants au projet d'une ligne de "train à grande vitesse" (TAV) reliant Lyon à Turin, et qui passe par le site du Val de Suse, dans le Piémont (1).

Mais il y a un autre projet de TAV, qui risque d'endommager gravement, avec des conséquences paysagères, écologiques, économiques, et même sismiques extrêmement graves, un des sites les plus sublimes que j'ai pu contempler dans ma vie: celui du Lac de Garde.

Vittorio Messori propose sa lecture (chrétienne et pragmatique) de l'écologie, et offre ses solutions pour que les choses - inéluctables - se passent le moins mal possible. Une formidable leçon de bon sens, dont nous pouvons nous aussi profiter.

* * *

Le TAV? Mieux ailleurs
Vittorio Messori
(original en italien, ma traduction)
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Je tiens à le préciser tout de suite: j'ai toujours répugné à toute idéologie, qu'elle soit rouge ou noire, et je n'ai aucune intention de m'enrôler dans celle verte. Voulant désigner par là l'environnementalisme schématique, utopique, pouvant glisser dans le fanatisme, quand ce n'est pas dans la violence. "Val di Susa docet" (Val de Suze enseigne (1), allusion à la locution latine Bononia docet, littéralement Bologne enseigne. L'université de Bologne était la plus ancienne et la plus importante d'Europe, fondéée en 1088, et ce qui s'y enseignait avait force de loi) . Je m'efforce de pratiquer au moins l'une des vertus de ce christianisme qui est l'exact opposé de la mentalité idéologique, avec son caractère abstrait.

La vertu, en d'autres termes, d'un réalisme qui essaie toujours de trouver un arrangement entre la beauté de l'idéal et la dureté des faits. Donc, pour en rester à l'environnement, je sais que sa sacro-sainte protection doit affronter les nécessités de la vie sociale et économique. Personne ne préfère la bande asphaltée d'une autoroute ou un remblai de chemin de fer à une verte prairie, un bosquet, ou un ruisseau. Mais les idéalistes qui voudraient tout sauver sont les premiers à s'énerver s'ils ne peuvent pas rouler assez vite dans leur inséparable voiture, ou si les trains ne circulent pas avec ponctualité et en nombre suffisant. Et je n'oublie pas non plus qu'à la base de nombreux vertueux, édifiants "comités", pour s'opposer à des grands travaux publics, il y a en réalité ce que les Anglo-Saxons appellent le «syndrome NIMBY» (not in my backyard). «Faites tout ce que vous voulez, mais pas dans ma cour».

Immigré volontaire (et, malgré tout, non repenti) sur les rives du lac de Garde depuis maintenant 20 ans, c'est justement au nom du réalisme que j'ai fait, et que je fais, le peu que je peux pour sauver ce qui subsiste de l'un des plus beaux paysages d'Europe. A mes «voisins» gardésiens, j'essaie de rappeler qu'avant même l'idéal bucolique, c'est l'intérêt concret, économique, qui devrait les pousser à la protection de leur habitat. La dévastation de l'environnement est irréversible: le patrimoine de beauté que l'on continue à dilapider, ne sera jamais récupéré, et quand il sera épuisé, je me demande qui - et pourquoi - pourrait encore venir ici dépenser son temps et son argent. Venir et séjourner pour contempler une forêt de résidences secondaires, de cabanons (je les appelle les clapiers), d'entrepôts, de supermarchés, d'auto-casses, de petites industries dont la place serait ailleurs? Pour savoir ce qui pourrait être notre avenir, il suffit de re-parcourir cette honte qu'est l'hallucinante route nationale entre Desenzano et Salò.

Aujourd'hui, le Grand Danger, le Nouveau Monstre qui se dessine est le doublement de la voie ferrée historique, construite par les Autrichiens et vieille de plus d'un siècle et demi, entre Brescia et Vérone.
On l'appelle TAV ("treno ad alta velocità" - train à grande vitesse), mais c'est un nom ronflant, qui fait sourire. C'est une ligne qui traversera l'une des plaines les plus densément peuplées d'Europe, avec une ville importante, en moyenne tous les 50 km, et on se demande ce que vient faire ici un train roulant à 300 km à l'heure. Tous ceux qui connaissent un peu les chemins de fer, savent qu'un convoi comme une "Flèche Rouge" nécessite une cinquantaine de km d'accélération progressive pour atteindre la vitesse maximale et une vingtaine pour s'arrêter correctement, sans freinage brutal. C'est une infrastructure pour la ligne Moscou - Saint Pétersbourg, à travers mille km dans les plaines désertiques de la Russie, ou Madrid - Saragosse, dans la plate Meseta, encore plus déserte, mais certainement pas pour la vallée du Pô.

Au lieu du modèle français (le TGV: entre autres choses, toutes les lignes sont dans le rouge, à l'exception du Paris-Lyon-Marseille - ndt: ?) on aurait dû plutôt imiter l'allemand, qui a renforcé ou doublé les lignes historiques, sur lesquels roulent des trains bien répartis qui relient les villes, et pas seulement les métropoles. Beaucoup d'autres choses pourraient être dites pour déconseiller une telle entreprise, mais ce serait inutile: depuis de nombreuses années maintenant, le sort en est jeté. Le court tronçon entre Milan et Treviglio achevé, il semble qu'à la fin de ce mois-ci, commenceront les travaux jusqu'à Brescia, et ensuite - après 2015 - le temps sera venu d'aller jusqu'à Vérone.
Mais, en plein milieu, il y a le lac de Garde.

Eh bien, pour ce tronçon aussi, un refus ne serait pas réaliste: il s'agit d'une décision prise et confirmée par de nombreux gouvernements successifs (droite et gauche), voulue et co-financée - même si ce n'est que pour la section Lyon-Turin - par l'Union européenne.
Par conséquent, le soi-disant TAV se fera.
Mais il semble qu'il est encore temps pour discuter de la façon dont il se fera.
Le problème le plus grave est constitué par les collines morainiques que le glacier qui a creusé le grand lac a «construites» avec la terre retirée du fond. Depuis des années, il existe un Comité, méritoire et actif, pour le Parc des collines du lac de Garde, dont le Secrétaire général siège à l'abbaye de Maguzzano. Le Comité, bien sûr est depuis longtemps, sur le pied de guerre, et il ne se bat pas seulement pour protéger le paysage, mais aussi pour l'intérêt économique bien compris. En effet: ces collines sont vouées à un vin d'excellence, le Lugana, bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée défendue par un consortium. Plus de 250 ha de cette terre précieuse, qui assure un mouvement économique croissant, seraient détruits par la ligne de chemin de fer, mais le reste aussi serait en danger, en raison des poussières, des émissions, de la pollution du chantier gigantesque. Le même sort serait réservé aux vergers, en particulier de pêchers, qui assurent également un bon rendement.

Beaucoup pensent que la plus grande partie des problèmes sera résolue par les longs tunnels (7 km rien que pour celui entre Desenzano et Lonato et 10 autres km vers Vérone) et par les tranchées profondes. Mais ceux qui se rassurent de cette manière ont tort. Le sous-sol des collines du Bas lac de Garde est parcouru par un extraordinaire réseau de cours d'eau, des petits, mais aussi des grands, qui vont vers le lac ou y prennent leur source. Le grand bassin est un grand récepteur et fournisseur de ressources hydriques. Un réseau parfois mystérieux et inaccessible, mais bien réel, d'eaux souterraines, réseau qui serait interrompu et dévasté par des tunnels et des tranchées. Les effets sont difficiles à prévoir, mais de toutes façons très graves pour l'agriculture, les acqueducs, le paysage en danger de désertification.

Plus encore: comme toute la zone du lac de Garde, le Bas-Garde est la zone la plus sismique de la Padanie et les annales, y compris des dernières années, rapportent une série périodique de tremblements de terre. Qu'arriverait-il, en cas de tremblement de terre, à un armement lourd sur lequel roule un train avec un poids et une vitesse de plus du double d'un train normal?

Mais, alors, que faire? Tout d'abord, au nom du réalisme dont j'ai parlé, il faut affronter un événement inévitable, mais en essayant d'en limiter les dégâts.

C'est précisément pour cette raison, que le Comité pour le Parc des collines Morainiques, avec d'autres groupes, a étudié des alternatives, non pas velléitaires, mais des propositions de techniciens. Il s'agirait d'un modeste déplacement au sud du tracé, de sorte qu'il passe non pas à travers les collines, mais dans les plaines, où les terres sont beaucoup moins prisées, où il n'y a pas d'«excellence» à défendre, où les tremblements de terre sont négligeables et où le réseau hydrique souterrain est moins présent. Ce serait (selon les promoteurs de la variante) quelques km de plus, mais, paradoxalement, avec une économie considérable: cela permettrait d'éviter presque tous les tunnels et les tranchées qui ont des coûts stratosphériques et endommageraient de toute façon l'environnement.
Mais ce que les comités déplorent, c'est l'absence d'un interlocuteur fiable et présent, avec lequel discuter, auquel soumettre les projets alternatifs. Le temps presse, mais au moins pour le tronçon Brescia-Vérone, le débat est toujours ouvert. La confrontation doit donc se rouvrir, et être serrée: ce ne sera pas du temps perdu si on réussit à prévenir qu'un problème grave comme celui du TAV se transforme en une catastrophe irréversible.

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Note

(1) Le projet de TGV Lyon-Turin est une nouvelle liaison ferroviaire à travers les Alpes, qui prévoit notamment de creuser le plus long tunnel d’Europe (plus de 50km ) dans une montagne contenant des roches riches en amiante et en uranium. Lancé en 2001, le projet devrait être achevé vers 2023. Tandis qu’en Savoie le projet fait quasiment l’unanimité, il est profondément et massivement rejeté depuis une vingtaine d’année par les habitants du Val de Suse, dans le Piémont. (Source: Courrier international)

A propos du mouvement NO TAV, lire ici: http://fr.wikipedia.org/wiki/NO_TAV ... et voir cette photo.