José Luis Restan revisite le voyage du Saint-Père au Mexique et à Cuba: "il n’y a rien d’aussi révolutionnaire que la foi accueillie et vivante, la foi qui crée une communauté, ouvre la raison et soutient la persistance de la liberté. Benoît XVI avait une boussole très claire pour ce voyage". Traduction de Carlota (29/3/2012)
Texte original en espagnol: http://www.paginasdigital.es/
La vraie révolution qui a de l’avenir
José Luis Restán
29/03/2012
--------------
À trois heures du matin, de longues colonnes d’autobus de la localité de Matanzas partent en direction de La Havane. Des milliers de Cubains de la campagne des alentours de la capitale ne vont pas dormir cette nuit pour rencontrer le Successeur de Pierre.
C’est ce que nous raconte sur la radio COPE le franciscain conventuel José García, originaire de Tolède mais depuis dix ans dans l’île pour être au service de ces communautés. Ce n’est qu’une note parmi mille autres, une note sur cette jolie portée musicale qu’ont tissée avec leurs chants, leur allégresse et leur dévotion les catholiques du Mexique et de Cuba dans ce récent voyage qui vient de se terminer.
Pendant ce temps, une partie importante de la presse occidentale continue à rester aveugle et sourde à ce qui se passe véritablement. On remarque les commentaires à l'aveuglette, les analyses de salon. Quelques uns parlent d’occasion perdue (mais depuis quand Benoît a-t-il signifié pour eux une occasion ?) et on s’arrête aux petites polémiques, mais non pas (ou on ne veut pas regarder en face) à la renaissance d’un peuple. Le grand Alberto Methol (1) disait que Benoît XVI pouvait comprendre mieux que personne l’âme catholique de l’Amérique, et pouvait aussi pour cela aider à guérir ses blessures et la lancer dans une nouvelle construction.
Depuis que son avion a décollé de Rome, le Pape a su montrer quelle est la nature du christianisme et quelle est son incidence historique. C’est un thème qui a tourmenté des théologiens et des responsables sociaux latino-américains depuis la moitié du XXème siècle, une passion qui trop fréquemment s’est échouée sur les falaises de l’idéologie ou s’est fanée sur les plages du dualisme et de la superficialité. Mais comment la foi change-t-elle notre monde ?
Cela a été une question en forme de défi depuis la première minute de ce voyage. Et le Pape, avec patience, a égrainé la réponse. Par exemple en décrivant l’idolâtrie de la drogue et ses fausses promesses, qui peuvent en finir avec une génération de Mexicains. L’homme a soif de l’Infini, explique le Pape et quand il ne le trouve pas alors il crée ses propres paradis qui ne sont que des mensonges. Face à cela l’Église doit garder présentes la vérité et la bonté de Dieu, le vrai infini dont nous avons soif.
C’est une présence différente, qui attire le cœur trompé, c’est Dieu au milieu de nous qui peut changer la conscience et libérer les hommes du poids du mal et du mensonge. De là nait la mission d’éducation, le service de la purification de la raison, la construction d’une communauté qui change le visage, y compris physique, d’une ville.
Il a voulu le dire tout spécialement aux pieds de la statue du Christ Roi, sur la Colline du « Cubilete », en expliquant que Son royaume n’est pas dans le pouvoir des armes, mais qu’il se fonde sur l’amour de Dieu qu’Il a apporté au monde avec son sacrifice, et dans la vérité dont il a témoigné. On comprend le saisissement de cet instant, comme un coup de fouet qui s’étend sur la peau du Mexique et de l’Amérique entière. Et ensuite, comme un père, il leur parle de cette fatigue de la foi qui a aussi sa forme latino-américaine, malgré les sanctuaires et la religiosité populaire. C’est la fatigue qui conduit au dualisme dans la vie, qui réduit la portée de la foi empêchant qu’elle se transforme en charité agissante et en culture, qui met un poids mort sur son potentiel de transformation parce qu’elle ne génère pas des sujets conscients et libres au milieu de la grande marée du relativisme. Et c’est ainsi qu’à ce peuple cent pour cent guadalupan (2), le Pape propose de suivre l’invitation de Marie aux noces de Cana : « Faîtes ce qu’Il vous dira ».
Benoît XVI est arrivé à Cuba après avoir dit dans l’avion qu’il est bien évident que le marxisme n’est pas en conditions pour répondre à la réalité et construire une société. Et pour celui qui aurait des doutes, il souligne que l’Église est toujours du côté de la liberté. Puis en terre cubaine le Pape a voulu saluer tous les Cubains, quel que soit l’endroit où ils se trouvent. Il a rappelé les prisonniers et leurs familles, les pauvres et les descendants des esclaves, il a revendiqué une nouvelle société ouverte et rénovée, construite avec les armes de la paix, du pardon et de la compréhension.
À Santiago de Cuba, le Pape a affirmé que l’obéissance à la foi est la véritable liberté alors qu’exclure Dieu nous éloigne de nous-mêmes et nous précipite dans le vide. Peut-être avons-nous perdu la capacité d’étonnement pour imaginer de quelle façon ces mots ont claqué comme un fouet dans un pays dominé par un régime qui a promu pendant des décennies l’athéisme et a marginalisé cruellement les croyants. En pensant sûrement aux peines supportées par beaucoup de militants catholiques dans les jours qui ont précédé son arrivée, Benoît XVI a invité le peuple à « accepter avec patience et foi toute contrariété ou affliction, avec la conviction qu’Il a vaincu le pouvoir du mal… et ne cessera pas de bénir avec des fruits abondants la générosité de son dévouement ».
Sur l’emblématique Place de la Révolution, à La Havane, le Pape a tissé un chant à la liberté religieuse devant les hiérarques du Parti Communiste Cubain, et à l’ombre de l’effigie du Che Guevara. Justice poétique. Cette liberté « consiste dans le pouvoir de proclamer et de célébrer aussi la foi publiquement, en portant le message d’amour, de réconciliation et de paix que Jésus a amené au monde…tant dans sa dimension individuelle que communautaire, elle manifeste l’unité de la personne humaine, qui est citoyenne et croyante à la foi… et elle rend légitime que les croyants offrent une contribution à l’édification de la société ». Rappelons-nous qu’aujourd’hui à Cuba, malgré les avancées en matière de liberté de culte, sont incarcérés et battus encore aujourd’hui, ceux qui prétendent contribuer, depuis leur expérience de la foi, à la construction du futur de Cuba (3).
Le Pape a montré le chemin de la patience, de la coopération, du pardon et de la réconciliation, mais aussi il a rappelé le chemin du martyre, en évoquant ceux qui ont préféré affronter la mort plutôt que de trahir leur conscience et leur foi. La communauté chrétienne à Cuba a été efficacement fortifiée par la présence de son pasteur. Il serait stupide de prétendre mesurer l’incidence historique de cet événement en termes politiques. Mais il n’y a rien d’aussi révolutionnaire que la foi accueillie et vivante, la foi qui crée une communauté, ouvre la raison et soutient la persistance de la liberté. Benoît XVI avait une direction de navigation très claire pour ce voyage.
--