Carlota a traduit un article publié sur Religión en Libertad: le témoignage de prêtres espagnols qui ont exercé leur sacerdoce à Cuba après que l’autorisation de culte ait été redonnée. (30/3/2012)
Pablo J. Ginés de Religión en Libertad donne ici la parole à des prêtres espagnols qui ont exercé leur sacerdoce à Cuba après que l’autorisation de culte ait été redonnée. La déchristianisation de Cuba n’est pas sans rapport avec celle de la France, même si les circonstances et les lieux ne sont pas tout à fait les mêmes.
Article original en espagnol: http://www.religionenlibertad.com/
(Carlota)
Francisco Ortega, un des responsables de l’Institut Espagnol des Missions Étrangères (IEME, http://www.ieme.org ), donne la vision d’ensemble qu’il a eue en visitant les missions espagnoles à Cuba, il y a un an.
«C’est une situation atypique. D’un côté les églises sont pleines, les gens qui vont à la messe sont très participatifs et parmi eux beaucoup de jeunes. En général les Cubains ont de l’initiative, chaque jour il est question « d’aller résoudre », qui signifie se débrouiller pour au moins ce jour-là. D’un autre côté le régime ne laisse pas l’Église faire de l’action sociale. Si un missionnaire de l’IEME au Guatemala ouvre tout de suite un dispensaire, une petite école, etc., à Cuba il ne peut pas. Donc les missionnaires travaillent en communautés et favorisent l’aide individuelle à la personne. À Cuba, comme nous avons vécu dans d’autres pays latino-américains, tu sais qu’il y a des « oreilles », ou des « cafards », aussi tu fais ton prêche avec attention, pour ne pas te laisser tomber dans des pièges ».
Il manque la joie caribéenne
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Le père Antonio López Sánchez, aujourd’hui en Espagne, a été à Cuba, à Cienfuegos de 2001 à 2008, après avoir passé 37 ans comme missionnaire en Colombie, au Pérou et au Nicaragua.
« Cuba est très différente du reste de l’Amérique hispanique » », explique le père López : « D’une part quand tu arrives tu vois que les gens ont un plus haut niveau culturel que dans beaucoup de zones de mission, la population est presque totalement alphabétisée et scolarisée et il y a beaucoup d’universitaires. Les enfants de huit ans lisent parfaitement durant la messe. Il n’y a pas de racisme, une chose qui existe effectivement dans d’autres zones hispano-américaines. Mais à Cuba tu vois aussi qu’il manque la joie tellement habituelle dans les Caraïbes. Il y a la faim, les aliments sont rares. Quand je suis arrivé l’Église vivait très effrayée. Bien que ce fût après la visite de Jean-Paul II, les autorités essayaient de durcir les règles (ndt le Pape avait néanmoins obtenu que le jour de Noël redevienne férié). Tu pouvais travailler si tu te restreignais à ce qui était exclusivement le religieux : la prière, la catéchèse, le culte. Malgré tout à Cienfuegos, nous donnions des cours de Doctrine Sociale de l’Église, et l’État le permettait…À La Havane, les dominicains de l’Amphithéâtre Montesinos (1) pouvaient déjà parler de thèmes de société avec des penseurs du gouvernement », explique se missionnaires de l’IEME.
Distraire les gens du culte
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« Il n’y avait pas de violence externe mais le ton était donné par les dirigeants. Par exemple ils programmaient des activités attractives justement à l’heure de la messe et ils le savaient (2). Ils mettaient des films pour attirer les enfants justement à l’heure du catéchisme par exemple. Des activités étaient organisées pour éloigner les gens de l’Église, mais les communautés chrétiennes travaillaient très bien et cela ne fonctionnait pas avec les [catholiques] pratiquants. Là-bas le curé se fait animateur, car beaucoup de communautés fonctionnent bien presque toute seules », ajoute le Père López Sánchez.
« Nous étions tous conscients que dans notre entourage il y avait des personnes qui venaient voir ce qu’était prêché. Nous devions dire les choses de façon à ne pas blesser. Aucunes critiques directes. Parfois des missionnaires avaient des histoires, non pas pour des critiques directes au régime mais pour avoir dénoncé des affaires concrètes injustes. Le prêtre de la paroisse de Sainte Rita a beaucoup soutenu les Dames en Blanc sur les sujets des droits de l’homme, par exemple ».
Le Père Juan Bayona, qui a été cinq ans aussi à Cienfuegos, a fait ce que lui laissait faire le régime, quelque chose pour laquelle il était bien préparé comme missionnaire : accompagner, écouter, servir, encourager. « Les Cubains ont un grand besoin d’être écoutés, soutenus, de recevoir la force du courage et de l’espérance », explique-t-il. « Il faut consacrer à cela beaucoup de temps et d’énergie et ils l’apprécient beaucoup. Il faut savoir les saluer un par un, avec affection, et les écouter. Dans les Caraïbes, les gens sont beaucoup mus par le cœur, il y a beaucoup d’amour entre eux. Mais la vie est très difficile et les gens doivent beaucoup lutter. Ils sont très sensibles, si on les traite avec amour, on leur gonfle le cœur. Le prêtre doit aller les aimer ». Avec lui il y a avait trois religieuses espagnoles « vedrunas », l’une de la Rioja, l’autre de Valladolid, et la troisième de Murcie, qui avaient passé plus de dix ans dans le pays et qui se chargeaient du catéchisme, des visites aux malades, des relations avec les plus pauvres, etc…
Le père Bayona croit qu’il y a un avenir pour Cuba car il y a une capacité de pardon et de réconciliation. Ce n’est pas un peuple rancunier. « Nous les Espagnols, des Européens, la raison nous meut beaucoup, mais eux n’ont pas les entrailles aussi endurcies, ils comprennent parfaitement le cœur, ils comprennent les gestes de pardon. Ils ont une capacité de réconciliation. Ils sont désinvoltes et vivants et ils peuvent obtenir un meilleur développement ».
Le pouvoir de la Vierge de la Charité
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Les deux missionnaires soulignent la dévotion à la Vierge de la Charité d’El Cobre. Antonio López explique: ce qu’il en est de la Vierge de la Charité d’El Cobre, il faut le vivre. Là-bas, personne, même l’athée le plus radical, ne parlera mal de la Vierge. Il y a des années qu’on permet que la Vierge de la Charité soit portée en procession et tous la suivent: c’est le plus grand signe d’unité de Cuba et sa dévotion aidera à la réconciliation. Elle est dans toutes les maisons et dans tous les cœurs. Mais attention…elle est aussi dans le vaudou cubain… » (ndt cf . http://benoit-et-moi.fr/2012-I/0455009fcb0e2340d/045500a0161274525.html ).
Le père Bayona a une anecdote pour l’illustrer. « J’apportais des images de la Vierge de la Charité et j’étais en train de parler avec quelqu’un dont l’idéologie était opposée à la foi, mais il a vu que je portais une image et il m’a dit : « Donnez m’en une, puisqu’elle est ma Mère à moi aussi, et il l’a mise à côté de la photo de Fidel et de Raúl sur la table de son bureau » (4).
Et quand y aura-t-il la liberté ?
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Que se passera-t-il si la liberté de l’Église est élargie et si on peut évangéliser de façon plus directe à Cuba, avec des hôpitaux, des églises, des prédicateurs, plus de missionnaires, etc ? La réalité est que l’on part de très bas : à peine 2% des Cubains vont à la messe tous les dimanches, 10% peut-être si l’on compte ceux qui y vont sous une forme plus sporadique. Il n’y a que 60% de [baptisés] catholiques (5).
Anastasio Gil, directeur en Espagne des Œuvres Missionnaires Pontificales (OMP -http://www.omp.es/) rappelle qu’il y a peu, il était à peine permis les réhabilitations des édifices de l’Église, et ce n’est que récemment qu’un séminaire a été autorisé. « Le travail de l’Église à Cuba devra exercer cette grande vertu missionnaire, souvent peu valorisée, qui est celle de la patience. Et avec énormément de prudence. C’est Dieu qui marche les temps » signale le Père Anastasio. Il ne faut pas attendre un mouvement missionnaire inhabituel qui se consacre à Cuba d’une façon spéciale », assure le directeur de l’OMP. « Dès que l’on pourra, ce qu’il faudra c’est un renforcement des diocèses. L’Église annoncera le Christ par le Kerygma (ndt du grec κήρυγμα, l’annonce, la proclamation, forme d’évangélisation du première siècle, « proclamer avec un émissaire »), le témoignage et le travail dans les besoins humains et matériels. Elle délivrera de l’esclavage du péché et de l’ignorance, par la vie ordinaire de l’Église. De fait plus qu’une mission, il s’agit d’une nouvelle évangélisation, parce qu’ici il n’y a pas de communautés chrétiennes enracinées. »
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Notes complémentaires de traduction
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1.- Le Fray Antonio Montesinos fut un religieux dominicain espagnol, mort au Venezuela en 1540. Il est particulièrement célèbre dans le monde hispanique pour avoir prononcé en 1511 dans l’île de Saint Domingue, son fameux sermon qui disait notamment : « ..Vous êtes tous en péché mortel, et en lui vous vivez et vous mourrez, pour la cruauté et la tyrannie dont vous usez avec ces gens innocents […]….Ne sont-ils pas des hommes ? N’ont-ils pas une âme rationnelle ? Ne comprenez-vous pas cela ? Ne le ressentez-vous pas? Comment êtes-vous endormis dans une telle profondeur d’un sommeil aussi léthargique ? Tenez pour certain, que dans l’état dans lequel vous êtes, vous ne pourrez pas plus vous sauver que les Maures ou les Turcs qui manquent et ne veulent pas de la foi en Jésus Christ ». Il a sa statue, avec sa main en porte voix, sur le grand boulevard maritime de la capitaine de la république dominicaine où il prononça son remarquable et très moderne discours, il y a 501 ans. En effet si les Rois Catholiques avaient très vite signé des décrets particulièrement évangéliques, compte tenu de l’époque, en faveur des indigènes, sur le terrain les religieux avaient fort à faire pour que cela soit respecté à la lettre. Bartolomé de Las Casas (Séville, 1474- Madrid, 1566), plus connu en France, fut son disciple.
2.- J’ai aussi l’exemple il y a très peu d’années, d’un carnaval organisé par la municipalité dans les rues d’une ville de province française, avec tout ce que cela peut comporter, non pas le mardi précédent le Mercredi des Cendres, mai un Vendredi Saint ! L’on peut espérer que la gestion financière catastrophique des municipalités plus que leur désir d’abandonner des « distractions » basées sur le non respect des chrétiens encore majoritaires en France, même si non pratiquants, et sur l’usurpation dévoyée d’une tradition (car pas de Carnaval sans carême et en plus catholique, pas de carême sans le Christ !) va peut-être limiter ce genre de choses même en France et pas à Cuba.
3.- Joaquina (ou Joachima) de Vedruna naquit dans une famille noble et riche en 1783 à Barcelone. Très pieuse elle voulut rentrer au Carmel mais à la demande de son père elle se maria à 16 ans à un excellent chrétien dont elle eut 9 ans. Veuve à 30 ans, son mari ayant été tué durant la guerre contre Napoléon, elle éleva ses enfants puis se retrouva en 1826 sa première vocation en fondant l’Institut des Carmélites de la Charité.
4.- La Vierge de la Charité d’El Cobre : se rappeler que le sanctuaire se trouve dans la partie orientale de l’île d’où commença au XIX siècle la « reconquête » de l’île par les hispano-cubains refusant que l’île reste sous souveraineté espagnole. Elle les aurait accompagné dans leur projet. C’est de cette région que partit aussi la guerre de libération contre Batista par les « maquisards » communistes de Fidel Castro. Il est largement raconté que la maman de Fidel Castro est y allée en pèlerinage à l’époque pour que son (ses) fils soient protégés. Sans vouloir faire un parallèle, de très nombreuses statues de Jeanne d’Arc furent érigées après la Première Guerre mondiale dans la très maçonnique IIIème république (cf www.saintejeanne.fr). Il y a toujours des récupérations politiques sans doute, mais il y aussi les cœur des hommes qui saignent et qui ne peuvent se passer de Dieu…
(5) Ces chiffres peuvent malheureusement et sans qu’il y ait eu un Castro, se rapprocher des données en France. Mais un renouveau est en cours et notamment par le retour à la liturgie sacrée et éternelle et pas mise à la mode et au goût d’un jour, une liturgie qui montre bien que la messe n’est pas un rassemblement comme un autre. La réflexion de Fidel Castro sur l’évolution de la liturgie par rapport à son enfance, n’a sûrement pas échappé à ceux qui souhaitent « la réforme de la réforme ». Les Cubains ont besoin du beau, parce que le beau c’est Dieu. Un besoin d’une certaine liturgie qui s’est fait aussi connaître à Cuba malgré les difficultés (cf www.unavocecuba.com).