Massimo Introvigne répond aux critiques de ceux qui reprochent au Pape, à son retour de Cuba, de n'avoir pas condamné avec assez de fermeté le communisme. Mais il a fait bien plus que cela: il s'est attaqué à la racine! (31/3/2012)
Dans son éditorial du numéro de Présent daté du Vendredi 30 mars, Jeanne Smits écrivait:
Le pape n’avait pas encore quitté le territoire cubain que la presse internationale glosait déjà sur son ton plus accommodant, ses mises en cause feutrées du castrisme, son refus de rencontrer des opposants alors qu’il a rendu visite au président Raul Castro et qu’il a reçu à la nonciature l’ex-Lider Maximo, son père Fidel. Et l’on compare cette attitude avec celle de Jean-Paul II, qui fut bien plus direct, que ce soit pour interpeller les trafiquants de drogue au Mexique ou pour tancer un chef communiste dont le régime n’a pas fini d’opprimer le peuple.
La presse persiste donc (au bout de sept ans!!) à comparer stupidement Benoît XVI à son prédécesseur, lequel, de son vivant, a pourtant été traîné dans la boue par elle.
Jeanne Smits ne manque d'ailleurs pas de souligner l'indécence de ceux qui furent "laudateurs quasi-unanimes du Che et de ses crimes au service de la révolution... longtemps complices par occultation des crimes du communisme".
* * *
J'ai très peu lu la presse française pendant le voyage du Pape (cf. Un pape eurocentrique, vraiment?), ayant fini par conclure que - sauf exceptions.... vraiment exceptionnelles - il n'y a pratiquement rien d'intéressant à en tirer, sauf à la lire en négatif, ou mu par un désir masochiste de se faire mal, ou celui, malsain, de la "psychanalyser".
Cette analyse de Massimo Introvigne répond il me semble idéalement aux objections des habituels détracteurs. Que ce soit clair; le Pape ne fait pas de politique, et ceux qui veulent le recruter pour une cause ou une autre (rappelons le fameux angelus de Castelgandolfo, en août 2010, où il aurait prétendument tiré les oreilles à Nicolas Sarkozy à propos des Roms) en sont toujours pour leurs frais. Le Pape voit les choses d'en haut (cf. le vol de l'aigle, c'est le titre emprunté à "don José-Luis" que j'avais choisi pour une page spéciale consacrée à l'année 2010 du Pape).
Il n'a donc pas condamné explicitement le régime communiste (sauf dans l'avion à l'aller, et en termes très mesurés), il a discuté cordialement avec Raul Castro, et a même accepté de recevoir Fidel (une démarche que je persiste à trouver incroyablement symbolique)!
Oui mais il a fait mieux, et beaucoup plus, explique Massimo Introvigne: "Il a attaqué les idéologie précisément là où elles ont leurs racines, dans le relativisme qui nie la loi naturelle et dans le totalitarisme qui refuse la pleine liberté religieuse".
Article La Bussola.
Ma traduction.
Le voyage du pape: La loi naturelle et liberté religieuse
Massimo Introvigne
30/03/2012
------------------------------
Il manque quelque chose dans les commentaires de la presse, y compris italienne, sur le voyage du pape au Mexique et à Cuba. On a débattu passionnément pour savoir si Benoît XVI, entre les lignes, avait rompu une lance au Mexique en faveur du centre-droit du PAN contre le centre-gauche du PRI en vue des prochaines élections; s'il a ou non rencontré secrètement à Cuba, le président vénézuélien Hugo Chavez; si le régime cubain tirera plus d'avantages de la rencontre entre le Pape et Fidel Castro ou plus d'inconvénients de l'antichambre que le lider maximo a dû faire, en attendant le Pontife, une chose à laquelle, chez lui, il n'est pas habitué.
Pour chaque voyage de Benoît XVI, on recherche des interprétations politiques. Cette fois, la chose est d'une certaine façon compréhensible, si l'on considère qu'à des titres divers, le Mexique d'abord - avec un régime farouchement laïciste resté au pouvoir pendant des décennies, et dont les descendants sont encore très présents dans la vie politique du pays - et la Cuba communiste ensuite, ont été le théâtre des plus grands persécutions dont l'Eglise catholique ait souffert dans son histoire en Amérique latine. Les militants politiques de centre-droit au Mexique et les dissidents anticastristes - à Cuba et en exil - auraient voulu une condamnation explicite de la gauche mexicaine, qui ne renie pas l'héritage sanglant des gouvernements laïques du XXe siècle, et du régime communiste cubain. Mais le style de Benoît XVI - comme autrefois celui du bienheureux Jean-Paul II - n'a jamais été ainsi. Le Pape se place toujours sur un plan différent, survolant de haut les problèmes contigents - sans les ignorer - et réaffirmant les grands principes qui sont déjà en eux-mêmes jugement et condamnation des idéologies.
Le Pape parle souvent de la dictature du relativisme, et c'est précisément la caractéristique des régimes de la première partie du XXe siècle au Mexique, qui ont imposé par le fer et par le feu un enseignement et une politique relativistes, essayant d'étouffer, parfois dans le sang - comme pendant la guerre des Cristeros des années 1926-1929 - la voix de l'Eglise. Quant à l'idéologie de Fidel Castro, il s'agit d'une version tropicale de ce relativisme agressif poussé à ses conséquences extrêmes qui est typique du marxisme, où ceux qui expriment une dissidence timide de la dictature du relativisme finissent en prison ou dans un camp de concentration.
Benoît XVI, sans entrer dans les détails peut-être peu compatibles avec la nature également diplomatique des voyages du Pape, a condamné le relativisme sans demi-termes. Devant trois cent mille personnes à La Havane, le Pape a rappelé le lien entre vérité et liberté (ici). «En effet, la vérité est un désir de l’être humain et la chercher suppose toujours un exercice d’authentique liberté. Nombreux sont ceux, en revanche, qui préfèrent les raccourcis et qui essaient d’échapper à cette tâche. Certains, comme Ponce Pilate, ironisent sur la possibilité de pouvoir connaître la vérité (cf. Jn 18, 38), proclamant l’incapacité de l’homme à l’atteindre ou niant qu’existe une vérité pour tous. Cette attitude, comme dans le cas du scepticisme ou du relativisme, provoque un changement dans le cœur, le rendant froid, hésitant, loin des autres et enfermé en soi-même». Et sans vérité, il n'y a pas de liberté: «la vérité sur l’homme est un présupposé inévitable pour atteindre la liberté, car nous découvrons en elle les fondements d’une éthique avec laquelle tous peuvent se confronter, et qui contient des formulations claires et précises sur la vie et la mort, les droits et les devoirs, le mariage, la famille et la société, en définitif, sur la dignité inviolable de l’être humain». Ce sont les règles communes du jeu appelé société, qui s'appliquent également à la société internationale, et sans ces règles - qui coïncident avec la loi naturelle - il ne peut y avoir la paix.
L'idée d'une loi naturelle que la raison peut connaître et qui vaut pour tous est exactement l'opposé du relativisme. Et pour qu'il soit clair que le relativisme qu'il cible, et qui fait le plus de dégâts, est celui - qui s'est manifestée précisément dans le laïcisme mexicain et dans le communism cubain - qui exclut Dieu de la vie de la société et des États, Benoît XVI a répété sur la Place Maceo à Santiago de Cuba (ici) que Dieu veut faire partie de l'histoire humaine. Lorsque les idéologies l'excluent de cette histoire, ils finissent par construire un monde qui non seulement est hostile à Dieu, mais est hostile à l'homme: «quand Dieu est jeté dehors, le monde se transforme en un lieu inhospitalier pour l’homme». Et aussi, pour les Etats comme pour les individus, il reste vrai que «s'éloigner de Dieu nous éloigne de nous-mêmes et nous précipite dans le vide».
Contre le relativisme, l'Église - aujourd'hui championne d'une raison dans une large mesure occultée, et pas seulement de la foi - propose la loi naturelle, qui fonde les droits de la personne humaine, à commencer par le droit à la vie et le droit à la liberté religieuse. Au Mexique, le pape a lancé bien haut le cri des Cristeros, un cri interdit et même expulsé des manuels scolaires, quand il a rappelé, ému (ici): «tant de martyrs qui, au cri de "Vive le Christ Roi et Marie de Guadalupe", ont donné un témoignage ferme de fidélité à l’évangile et de don à l’Église»." Et Léon, il a voulu visiter le monument au Christ Roi, qui fut détruit en 1926, bombardé par le gouvernement au début de la guerre des Cristeros, et reconstruit en 1940, qu'il a défini (ici) comme «lieu emblématique de la foi du peuple mexicain», revenant au thème à lui très cher de la royauté de Jésus-Christ, royauté douce et pacifique, mais qui dans le même temps ne peut pas ne pas être aussi sociale.
En plus des forts appels à Cuba, au Mexique aussi le Pape s'est présenté comme un pèlerin de la liberté religieuse. La loi naturelle, a-t-il dit à son arrivée au Mexique (ici) affirme «l’iincomparable dignité de toute personne humaine, créée par Dieu, et qu’aucun pouvoir n’a le droit d’oublier ni de déprécier. Cette dignité s’exprime de manière éminente dans le droit fondamental à la liberté religieuse, pris dans son sens authentique et dans sa pleine intégrité».
La liberté religieuse, comme le Pape l'a présentée, ne consiste pas seulement dans liberté de culte. L'Église, a-t-il rappelé à l'aéroport de Silao, doit être libre de témoigner la foi, l'espérance et la charité. Cela implique le droit des fidèles catholiques, qui est aussi politique, à «être un levain dans la société en contribuant à une cohabitation respectueuse et pacifique». Le fléau typiquement mexicain du trafic de drogue, lui aussi, qui a souvent attaqué et même tué des prêtres et des évêques, viole - d'une manière différente des persécutions et discriminations gouvernementales - la liberté religieuse, cherchant à empêcher l'Église d'accomplir sa mission.
Le Pape, donc, n'a pas nié la diplomatie qui, au Mexique, tente de guérir les vieilles blessures et à Cuba prépare une transition très lente, il a célébré ses résultats - tout en les indiquant comme seulement partiels - et, dans les rencontres et dans le ton, il s'est parfois adapté à ses exigences. Mais dans le même temps, il a attaqué les idéologie précisément là où elles ont leurs racines, dans le relativisme qui nie la loi naturelle et dans le totalitarisme qui refuse la pleine liberté religieuse. Et aux évêques, il a rappelé que ces maux se combattent en formant des laïcs fidèles à la doctrine sociale de l'Eglise et des prêtres - sur qui chaque évêque, a-t-il dit, pointant ainsi à la délicate question de la pédophilie, doit exercer une vigilence appropriée - qui ont comme boussole le Catéchisme l'Église catholique, qui est au centre de la prochaine année de la Foi.