Vu de France (V)

Dernier épisode à ce jour d'une série qui peine à "s'étoffer", faute de matériel. Le très bel éditorial de Jeanne Smits, dans Présent. (2/3/2013)

     

Benoît XVI, pèlerin d’éternité
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Il est parti. Discrètement, sous les yeux de millions de spectateurs. Le paradoxe n’est qu’apparent. Le monde entier – combien étions-nous, vissés à nos écrans, pour voler le dernier sourire, les derniers mots, les derniers signes de la main de Benoît XVI, les larmes de Mgr Gänswein, la nostalgie de la belle lumière romaine du jour finissant ? – a pu voir les adieux sans ostentation et la manière à la fois humble et ferme de l’un des grands de ce monde. Mais non « du monde ».

Benoît XVI n’a pas quitté la chaire de Pierre pour une retraite bien méritée, la tranquillité d’un repos en sa terre bavaroise, à laquelle il aspirait avant d’être élu pape. Il a fait, définitivement, une croix sur tout cela. « Serviteur des serviteurs », sa vie ne lui appartient plus, comme il l’a expliqué. Sa vocation ne semblait pas être celle d’un ermite, c’est pourtant ce statut qu’il a choisi et accepté, à la fois pour continuer de prier pour l’Eglise en attendant la fin de son pèlerinage terrestre, pour échapper aux regards du public, et pour rendre tangible sa promesse de « révérence et obéissance inconditionnelles » à celui qui lui succédera.

Révérence et obéissance inconditionnelles ? Voilà des notions bien oubliées, même dans l’Eglise…

Ne croyons pas que cela soit facile. Benoît XVI, porté en hélicoptère jusqu’à Castel Gandolfo où il passera quelques mois avant de pouvoir gagner le couvent en réfection dans les jardins du Vatican, a demandé à survoler un peu longuement la Ville éternelle, pour un dernier regard, un dernier adieu avant de s’isoler d’un monde dont il a tant goûté la beauté.

Sa renonciation est aussi un renoncement.

Le professeur, l’intellectuel, l’homme qui a su en tant que pape, et contre toute attente médiatique, attirer les foules et les charmer, laisse derrière lui son œuvre pour se concentrer sur l’unique nécessaire, le Christ, vers lequel il oriente tous les regards.

Œuvre inachevée. Il le sait : de grands « chantiers » qu’il a entrepris restent ouverts. Qu’il s’agisse du rapprochement de la Fraternité Saint-Pie X ou de la réforme de la Curie, de la rectification liturgique ou du nettoyage d’une Eglise souillée par tant de scandales, de la transmission correcte de la foi aux plus jeunes ou du travail « œcuménique » qui a permis déjà l’entrée d’anglicans dans le giron romain et une sympathie croissante du monde orthodoxe, les tâches sont loin d’être finies.

Pour autant elles ne sont pas liées à un homme, tel homme, et nous savons qu’il a tout confié au véritable chef de l’Eglise, le Christ.

Nous savons aussi que, de manière répétée, Benoît XVI a déclaré répondre, en renonçant à sa charge de gouvernement de la barque de Pierre, à une « demande » de Dieu. Ce n’est pas une révélation qu’il évoque ou, si elle a eu lieu, il n’en parle pas, mais d’une conviction intime, une certitude acquise en conscience et devant Dieu. Il n’est pas interdit de la regretter, voire de la critiquer – comme l’a fait le cardinal Pell d’Australie –, car la décision n’est pas « infaillible ». Mais la manière dont tout cela s’est passé laisse entendre que le pape, en pleine possession de ses moyens, a jugé que son départ servirait l’Eglise.

Hilary White, de LifeSiteNews – une remarquable journaliste – souligne que Benoît XVI est parti comme un escrimeur, prenant tout le monde de court, à la stupéfaction de tous dans un Vatican où le secret avait été trahi, la confiance rompue, et où les intrigues – on ne peut pas ne pas le penser – ont dû accélérer avec l’avancée en âge du pape. Le siège est vacant, bien plus vite que prévu. C’est un homme fort qui est attendu, et qui va faire face à des attaques sans précédent contre l’Eglise et contre l’humanité tout court : nous les voyons déjà se concrétiser dans tout le globe à travers la promotion nihiliste de l’homosexualisme.

Et c’est un homme faible qui, pendant ce temps, veut intercéder pour l’Eglise qu’il a conduite. « Je suis simplement un pèlerin qui entame la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre. Mais je voudrais encore, avec tout mon cœur, avec tout mon amour, avec ma prière, avec ma réflexion, avec toutes mes forces intérieures, travailler pour le bien commun et le bien de l’Eglise, de l’humanité », a-t-il dit juste avant de franchir les portes du palais de Castel Gandolfo qui se sont refermées, lourdement, à 20 heures jeudi soir. Puis, très simplement : Buona notte. Bonne nuit…

Merci, votre Sainteté. Merci pour tout. En entendant votre nom, un certain 19 avril 2005, j’ai pleuré de joie. Enfin une grande et bonne nouvelle, au milieu des saletés de l’information quotidienne, des échecs, des victoires apparentes du mal. Et maintenant c’est fini, déjà. Sauf que ce n’est pas fini, car notre espérance est ailleurs : en vous rapprochant de Dieu, c’est ce que vous enseignez au monde entier.

JEANNE SMITS

Article extrait du n° 7804 de Présent du Samedi 2 mars 2013