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Passage de témoin

Cet article d'Andrea Gagliarducci date du 7 juillet, deux jours après la publication de l'encyclique dite "à quatre mains". Il pose entre autre la question de la relation entre "les deux papes" (31/10/2013)

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Je suis en train d'explorer - avec beaucoup d'intérêt - le blog d'Andrea Gagliarducci, sans forcément respecter l'ordre chronologique. Ce qu'il a écrit depuis l'avènement de François reste plutôt pertinent, huit mois après pour les articles les plus anciens, contrairement à tant d'articles écrits à la hâte au fil de l'actualité, même si on voit son discours évoluer un peu, et si l'on commence à voir se dessiner les réponses à certaines questions, et se compléter le portrait du nouveau pape.

Le fait que, loin d'avoir "archivé" Benoît XVI, comme l'ont fait beaucoup de vaticanistes, il continue à se référer dans presque tous ses articles à son Pontificat, à sa gouvernance, à sa personnalité fait plus pour accréditer une certaine forme de "continuité" (laquelle reste malgré tout dans l'ensemble très hypothétique), que le mantra des "normalistes" répétant en boucle qu'il n'y a aucune rupture.

Très intéressante, en particulier, sa perception de la relation entre les deux Papes, et du "rôle" dévolu à Benoît XVI, qui me semble crédible, même si je ne partage pas entièrement son "ressenti" de la fameuse encyclique à quatre mains, en particulier si je vois pas en quoi le fait pour François de l'avoir publiée presque sans retouche constitue de sa part une "décision de Pape"..

Bien entendu, il y a là beaucoup de conjectures, nous ne savons rien de façon certaine (même si, à l'évidence, Andrea Gagliarducci paraît "bien informé", c'est-à-dire avoir accès aux "bonnes sources"), et de toute façon, il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit.
Article original en anglais: www.mondayvatican.com/pope-francis/pope-francis-really-becomes-pope-on-the-day-a-new-encyclical-is-released

     
Le Pape François devient vraiment pape le jour où est publiée la nouvelle encyclique.

Andrea Gagliarducci
7 juillet 2013

Double canonisation

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Le pape Jean XXIII sera canonisé. Mais la vraie nouvelle, c'est qu'il ne sera pas canonisé en raison de la reconnaissance d'un miracle attribué à son intercession par la Congrégation pour la Cause des Saints. Jean XXIII sera saint, car le pape François en a décidé ainsi. Il a fait sa proposition et l'a soumise à un vote par les membres de la Congrégation. La proposition du pape a été adoptée, et ainsi, pour la première fois depuis des siècles, un saint est proclamé sans avoir besoin d’un miracle et sans même être un martyr. Ce geste du pape François a balayé tous les doutes: Bergoglio joue le rôle de l'évêque de Rome, mais il est en dernière instance capable d'agir avec les pleines prérogatives d'un pape. Et il le fait !

Cela fait des siècles qu'un Pape n'a pas proposé de son propre chef une canonisation. Cela ne s'est pas produit, même quand «la fabrique de saints» de Jean-Paul II proclamait sans cesse saints et bienheureux. Le Pape est le seul qui puisse proclamer un saint avec scienza certa (certitude dans la connaissance). En fait, ni Benoît XVI ni Jean Paul II n'ont dérogé aux règles strictes de canonisation établies par Jean-Paul II lui-même. La seule exception a été que peu de temps après qu'il soit devenu pape, Benoît XVI a décidé de lancer la procédure de béatification de son bien-aimé prédécesseur, renonçant aux 5 ans à compter de la date de la mort pour la cause de Jean-Paul II.

L'annonce de la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II a été faite le 5 Juillet.
Alors que Jean-Paul II n'a jamais proclamé de saints sans suivre les règles, le pape François a fait une double pirouette. Selon une source de la Congrégation, au cours de la rencontre du 2 Juillet des membres de la Congrégation, ils ont discuté d'un possible miracle attribué à l'intercession de Jean XXIII.
La question est donc: ce miracle présumé a-t-il été rejeté par la Congrégation en tant que réel miracle, et le pape François a-t-il ensuite agi de imperio? Ou bien la discussion sur le miracle a-t-elle été dépassée par les événements, avec la décision de François?
On ne peut pas le savoir. Mais cela prouve que le pape François sait ce qu'il veut.

Téléphone et accessibilité ...

C'est maintenant le temps de l'action pour le pape François. Derrière les murs sacrés, des dossiers arrivent tous les jours dans ce but. Avec la Secrétairerie d'Etat sur le point de quitter ses fonctions, tout le monde se sent un devoir de dénoncer tout le monde, dans l'espoir d'obtenir un meilleur poste pour soi-même.
Le Pape François s'est déjà entouré de gens en qui il a confiance.

Légende urbaine ou non, au Vatican, on parle du pape passant personnellement des coups de fil imprévus. Le pape a pris les rênes et le contrôle direct des opérations. Ainsi, la Secrétairerie d'Etat est poussée de côté. Cependant, personne parmi ses membres ne s'inquiète: ils sont les premiers à espérer une nouvelle structure de la Curie qui leur donnerait un rôle sélectif de coordination, et les soulagerait du fardeau d'être impliqués dans chaque décision.
En fin de compte, avec ces appels, le pape François lance un signal pour une relation plus directe avec le souverain pontife.

Actuellement, le Pape François appelle chaque jour personnellement quelques-uns des chefs de dicastères, et il les rencontre souvent. Mais il écoute aussi les simples clercs et les fonctionnaires du Vatican de moyen-niveau, peut-être pour leur poser des questions sur la lettre qu'il leur a envoyée il y a trois ans et demi, à laquelle il n'a jamais obtenu de réponse. La réforme de la Curie doit aussi commencer de là, accordant une attention aux petites choses et gardant un oeil sur de nombreux domaines différents.

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Deux papes

Le Pape François appellerait également souvent Benoît XVI. Les deux papes seraient continuellement en contact, et ils se rencontrent parfois en personne. Benoît XVI est serein, déchargé de travail. Il a beaucoup pensé, et il est arrivé à comprendre ce qui ne va pas. Il connaît le cœur des gens au Vatican, et l'affaire Vatileaks lui a peut-être permis de prendre du recul et d'être en mesure de regarder avec un certain niveau de détachement, même ses plus proches collaborateurs. Pour l'amour de l'Église, il sert comme un ami sur lequel François peut s'appuyer.

Le Pape François en est tellement conscient qu'il a voulu pape le Benoît XVI à ses côtés le 5 Juillet pour la dédicace d'une statue de Saint-Michel dans les jardins du Vatican. Ainsi, le pape en charge et le pape émérite étaient de nouveau côte à côte, cette fois pour un événement public.

Une encyclique comme relais

Un autre passage de relais a pris le devant de la scène, à peine deux heures plus tard, encore le 5 Juillet: l'encyclique Lumen Fidei a été publiée.

Benoît XVI avait commencé à l'écrire avant sa renonciation. Il a consulté d'autres personnes. Il a incorporé certaines de ses anciens homélies, prenant des thèmes auxquels il avait réfléchi toute sa vie, et pas seulement au cours de son pontificat. Il a mis tout cela ensemble dans une ébauche. Après sa renonciation, il a passé le tout à son successeur, le pape François. «Si cela vous plaît, continuez-la». Et en effet, le Pape François a trouvé un projet qui était déjà beau et profond. Il l'a laissé presque intact, à peine fait quelques «ajustements». C'est ainsi que l'encyclique Lumen Fidei est née.

Qu'est-ce qui est de Benoît et qu'est-ce qui est de François dans cette Lumen Fidei? Le dernier a finalement complètement assumé le travail du premier. Le Pape François a ainsi complètement et fraternellement embrassé le point de vue de Benoît XVI. Une perspective que Joseph Ratzinger exprimait dans "Les nouveaux païens et l'Eglise", l'un de ses tout premiers essais, né de son expérience en tant que vicaire dans une paroisse de Bavière. La même perspective que Benoît XVI a développée à la fin de son pontificat, quand il s'est senti à nouveau le professeur Ratzinger et a donné au clergé romain une leçon "a braccio" sur ce que le Concile Vatican II avait vraiment été, le distinguant du Concile dépeint par les médias. Une conférence magistrale soulignant que le vrai Concile, ancré dans la vérité et le depositum fidei, finirait par prévaloir.

A présent que le pape Benoît XVI a mis en place les discours comme un maître architecte érigerait une cathédrale, soulevant la foi et en même temps lui fournissant une base solide, le pape François doit faire en sorte que la lumière de la foi brille également dans les périphéries. Cela a toujours été l'intention de François, comme il l'a expliqué lui-même lors des congrégations générales de pré-conclave, les rencontres officielles des cardinaux. Un programme qui l'a mené à la victoire dans la course à la papauté.

L'encyclique doit être lue comme un tout, sans penser à qui des deux papes a écrit tel ou tel passage. Plus qu'une encyclique écrite par deux auteurs différents, c'est une encyclique que le pape François a faite sienne. En elle, il y a des avertissements sur les dangers de l'idolâtrie, le gnosticisme et le pharisaïsme. Il y a aussi une prière conclusive à la Sainte Vierge, décrite comme «l'icône parfaite de la foi».

Il y a également des références à la vie de tous les jours qui sont typiquement de François (ndt: pas forcément. En fait, Benoît XVI les a aussi parfois utilisées). Par exemple, là où on peut lire: «Nous faisons confiance à l'architecte qui a construit notre maison, au pharmacien qui nous donne les médicaments pour la guérison, à l'avocat qui nous défend devant les tribunaux. Nous avons aussi besoin de quelqu'un digne de confiance et de compétent là où Dieu est concerné». Ce quelqu'un, c'est le Christ, «celui qui nous montre Dieu» à travers «sa connaissance du Père et l'expérience complète de sa relation avec Lui».

De l'union fraternelle des deux papes, a émergé une encyclique de moins de 100 pages, avec un fil conducteur clair: même si l'on avait l'impression qu' «à l’époque moderne... une telle lumière était suffisante pour les sociétés anciennes, mais qu’elle ne servirait pas pour les temps nouveaux, pour l’homme devenu adulte, fier de sa raison, désireux d’explorer l’avenir de façon nouvelle», «la lumière de la foi est capable de valoriser la richesse des relations humaines, leur capacité à perdurer, à être fiables et à enrichir la vie commune. La foi n’éloigne pas du monde et ne reste pas étrangère à l’engagement concret de nos contemporains...» (www.vatican.va...lumen-fidei).

On peut penser que publication de l' encyclique telle qu'elle était dans sa première version, sans la modifier, ne rend pas justice à la pensée de Benoît XVI (?). Mais peut-être était-ce en fait tout simplement un hommage du Pape à son prédécesseur.

Ce qui s'est passé le 5 Juillet prouve que le pape François a commencé à prendre des décisions.

En une seule journée, il y a eu l'annonce de la canonisation de deux papes et deux sortes de relais entre le pape et le pape émérite. Est-ce le signe que les choses vont vraiment changer?