Quand le Pape "a braccio" dérape



Les interrogations d'un prêtre américain, Mgr Charles Pope, qui revient sur les étonnants propos de François le jeudi 16 juin au Congrès diocésain de Rome (25/6/2016)

>>> Voir à ce sujet:
¤ Nouvelles et inquiétantes perles bergogliennes
¤ Une histoire de chapiteaux (avec les suites: II et III)
¤ Le Pape: éloge de la cohabitation prématrimoniale

... et la transcription officielle "révisée (i.e. expurgée) sur le site du Vatican.


Le 16 juin dernier, le Pape s'exprimait "en roue libre" devant des prêtres et des séminaristes, à l'occasion de l'ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome. Il y prononçait un certain nombre d'inexactitudes - dont l'"erreur" sur l'interprétation (dans un but d'instrumentalisation) du chapiteau de la cathédrale du Vézelay était probablement la moindre - qui avaient été relevées par de nombreux observateurs laïcs et religieux (curieusement, et à une ou deux exceptions près, pas en France!).
Parmi eux, à part évidemment Antonio Socci, un prêtre anglais que j'apprécie, Fr Ray Blake (marymagdalen.blogspot.fr/2016/06/animal-clergy) et plusieurs américains, dont le canoniste Phil Lawler qui, sur le site < www.catholicculture.org> essayait avec beaucoup d'honnêteté et de retenue, de faire la part des choses (ma traduction de son article ICI ).

Cette fois, c'est au tour d'un prêtre du diocèse de Whashington, Charles Pope, de dire à quel point il s'est senti blessé par les remarques du Pape. Notamment le passage de son discours (très) improvisé où, à propos d'enfants de mères célibataires que des prêtres refusent de baptiser, il parle d'ANIMAUX, sans qu'on sache bien s'il se réfère aux prêtres, aux enfants ou aux mères.
Que ce soit bien clair: il ne s'agit pas ici de ragots ou d'ouïe-dire, ou de propos mal rapportés par des journalistes (ils sont d'ailleurs très bien disposés envers ce Pape), mais de propos effectivement tenus en forme de confidences, devant un public de clercs, comme on peut le contôler sur la vidéo intégrale ici: https://youtu.be/jQ5h2efV0a4
Le problème, c'est que même après avoir écouté la bande son, on n'en sait pas plus: l'expression est si familière, si peu maîtrisée, si hésitante, qu'on ne sait pas exactement ce qu'il a en tête, et que seuls le respect dû au successeur de Pierre (bien ignorée du temps de Benoît XVI qui était pourtant la limpidité incarnée!), et surtout l'énormité de l'insulte que pourrait y voir un esprit mal tourné, poussent à une interprétation... bienveillante.
Et quoi qu'il en soit, ce qui ressort de ces "confidences", c'est que lui qui ne cesse de dénoncer la médisance comme le pire des maux est purement et simplement en train de "médire" sur des prêtres d'un diocèse... voisin du sien!! (1).

Il est certain qu'une partie du clergé (j'en ai eu personnellement plusieurs échos) commence à se lasser d'être la cible constante, quasi-quotidienne des piques virulentes d'un Pape qui, loin d'avoir une attitude paternelle (comme Benoît XVI) les livre à l'hostilité du monde en les critiquant sans retenue et se targue même d'être anti-clérical.

Les interrogations d'un prêtre à propos de récentes remarques du pape

Mgr Charles Pope (*)
www.ncregister.com
24/6/2016
(Ma traduction)


(*) Prêtre du diocèse de Whashington, il tient un blog sur le site de l'archidiocèse (blog.adw.org/author/cpope/ ). Il porte le titre de monsignor depuis 2005.


Je voudrais faire, en tant que curé de terrain, quelques remarques concernant les récentes déclarations du pape à Rome lors d'une rencontre avec des prêtres et des séminaristes. D'autres ont admirablement relevé ses remarques troublantes sur le mariage et la cohabitation. Je n'ajouterai rien. Mais je voudrais me concentrer sur deux autres propos que le Pape a tenus au sujet des prêtres, selon lesquels certains d'entre nous sont cruels et fourrent leur nez dans la vie morale des gens, et qualifiant peut-être même certains d'entre nous d'animaux.
Et alors que la plupart de ces remarques, enregistrées et largement rapportées, n'ont pas été incluses, ou ont été "ajustées" dans le compte rendu du Vatican, elles ne peuvent pas être simplement passées sous silence. Et même les clarifications restent troublantes.
J'écris ces remarques comme un simple curé de paroisse. Je ne suis pas canoniste et certainement pas journaliste. Je réagis simplement comme prêtre à ce qui a été rapporté toute la semaine, et j'écris ici la réaction d'un homme et d'un prêtre - moi.

Tout d'abord, le Pape aurait dit que nous, les pasteurs ne devons pas «mettre notre nez dans la vie morale d'autres personnes».
Permettez-moi d'exprimer mon étonnement totale à une telle conception. Comme prêtre, et en particulier comme confesseur et directeur spirituel, c'est mon devoir! Il est vrai que je ne vais pas m'immiscer inutilement dans la vie privée des paroissiens. Mais il y a certainement l'exigence que comme confesseur et pasteur, j'ai un certaine connaissance de la vie morale de ceux qui me sont confiés.

Considérons une analogie médicale. Supposons qu'un patient vienne chez un médecin avec des difficultés respiratoires et des douleurs thoraciques. Le médecin va certainement se renseigner sur le mode de vie de la personne. Fume-t-elle? A-t-elle déjà fumé? Quel genre de nourriture consomme-t-elle? Fait-elle de l'exercice? Quel est son poids, quelles sont sa température, sa tension, son rythme cardiaque, etc..? Le médecin met-il son nez dans la vie privée du patient, ou bien est-il à la recherche d'informations nécessaires? Evidemment, la réponse est claire, et il doit avoir l'information à la fois pour faire son diagnostic et mettre en route un plan médical approprié d'action.

Ce n'est pas moins le cas avec un prêtre qui exerce des soins spirituels. Il a le devoir de connaître et d'assister les fidèles dans leur vie morale. Ainsi, si un formulaire (certificat) de baptême (ndt: voir ici un "modèle") indique la cohabitation, ou une mère célibataire, il a le devoir d'enseigner. Si, dans la confession, il trouve des preuves de comportements peccamineux, ou d'irrégularités morales, il doit les traiter et mettre en oeuvre un plan pastoral pour une âme qui en a besoin. Si un couple cohabitant vient à lui, il doit en discuter avec eux, expliquer pourquoi ils ont tort et devraient arrêter et exposer la vérité qui seule nous rend libre. Ne pas le faire, ce n'est pas de la bonté, c'est une faute professionnelle! Ce n'est pas «mettre notre nez dans la vie morale des autres», c'est s'engager dans une conversation morale et pastorale avec les âmes dans le besoin. C'est du soin pastoral, ce n'est pas fouiner. Certes, un prêtre ne doit pas chercher des détails inadaptés, mais aucun diagnostic ou plan ne peut être utile sans avoir ces faits de base à portée de main.
La "transcription officielle" du Vatican a sagement retiré ces remarques, mais elles ont été largement rapportées et ont donné du grain à moudre à la fois à ceux qui critiquent les prêtres qui cherchent à prêcher fidèlement la vison morale de la foi et aussi, à l'opposé du spectre, aux détracteurs du pape.

* * *

Deuxièmement comme cela a été largement rapporté par [plusieurs sites] (dont Crux), au cours d'une séance de questions-réponses à la fin de la rencontre, François a parlé de la «cruauté pastorale» de prêtres qui refusent de baptiser les enfants de jeunes mères célibataires. «Ce sont des animaux», a-t-il dit (1).
Ici aussi, le Vatican a cherché à "clarifier" ces propos et la "transcription officielle" affirme que le pape a en fait voulu dire que les prêtres traitaient les mères célibataires comme des animaux, pas que les prêtres étaient des animaux. Mais les remarques enregistrées et rapportées montrent le pape qualifiant les prêtres dont le jugement prudentiel ne correspond pas au sien, de "cruels" et d'"animaux".
Tout d'abord, qu'on me permette de dire que je connais très peu de prêtres qui refusent le baptême aux enfants nés de mères célibataires. La plupart des prêtres que je connais sont très généreux dans l'administration du baptême aux nourrissons, conscients qu'ils ne sont pas responsables pour les péchés ou les insuffisances de leurs parents. Ceux qui parfois, renvoient le baptême le font pour d'autres raisons, comme le peu de preuves d'un espoir fondé que l'enfant sera élevé dans la foi. Il y a des jugements prudentiels à faire et les pasteurs sont tenus de les faire (voir canon 868). Encore une fois, la plupart des prêtres sont très accomodants avec le baptême.

Mais il est plus que lamentable que le pape, comme cela a été indiqué initialement, ait qualifié les prêtres (ou tout être humain d'ailleurs) d'"animaux". Un tel mot n'aurait jamais dû sortir de sa bouche, et j'attends des excuses pour cette qualification offensante, pas seulement une "clarification»" du Vatican. J'ai certainement quelques désaccords avec des confrères prêtres, je dirais que mes désaccors avec les prêtres dissidents sont importants. Mais cela ne me permet pas de les appeler des animaux, et le pape, qui semble l'avoir fait, n'a pas non plus à le faire. Il est vrai que les commentaires enregistrés sont difficiles à suivre, mais la transcription expurgée du Vatican est plus du genre «Imaginons que cela n'a jamais été dit» qu'un démenti clair - «Le Pape veut dire qu'il ne considère pas les prêtres comme des animaux, même s'il pense que certains sont trop durs sur cette question».

Il est admis que le pape Grégoire (dans sa Règle Pastorale) a dit que les prêtres muets qui se sont abstenus de réprimander les pécheurs étaient comme «des chiens muets qui ne peuvent aboyer». Mais il utilisait une métaphore, et citait l'Écriture. Il ne les a pas traités de "chiens", il a dit qu'ils étaient "comme" ou à la manière de chiens muets incapables d'avertir du danger. Mais il n'y a rien dans ce récent commentaire du Pape qui suggère une métaphore ou quelque chose de semblable. Il a purement et simplement appelé les prêtres dont il doute du jugement prudentiel "animaux". «Ce sont des animaux», a-t-il dit.
Je prie pour que nous n'entendions plus jamais rapporter une remarque aussi désagréable et inutile de ce pape, ou de tout autre pape. Aucune personne humaine ne devrait être appelé "animal" par un pape ou par qui que ce soit, pour cette question. Les métaphores et analogues ont leur place dans le discours humain, mais appeler univoquement un autre être humain "animal" passe les bornes.

Mais considérons l'affirmation post hoc dans laquelle certains préfèrent dire qu'il avait apparemment l'intention de dire que certains prêtres traitent les enfants (ou éventuellement leurs mères célibataires) d'"animaux".
Eh bien, je suis encore moins soulagé par cette explication. Qu'on me permette de souligner de nouveau que retarder un baptême simplement à cause de parents non mariés est rare dans mon expérience (et c'est donc un argument fallacieux). Mais il reste très irrespectueux de dire que les prêtres qui retardent le baptême (généralement pour un certain nombre de raisons) traitent les autres comme des animaux et sont cruels.
Ainsi, même les remarques "arrangées" sont au mieux inutiles et au pire 'divisives".

S'il vous plaît, Saint-Père: assez de ces séances impromptues, que ce soit à trente mille pieds d'altitude ou au niveau du sol. Beaucoup de mal, à travers la confusion, a été causée par ces dernières remarques sur le mariage, la cohabitation, le baptême, la confession et la pratique pastorale. "Expurger" l'enregistrement dans la transcription officielle ne suffit pas; nous sommes à l'ère du reportage instantané et de nombreux dispositifs d'enregistrement, tweets et Instagrams.

C'est juste le point de vue d'un (de ce) prêtre. Mais je peux vous assurer, cher lecteur, que l'impact a frappé durement les prêtres, et je ne peux nier à ce stade une certaine lassitude et un certain découragement. Je me rends compte que de telles remarques du pape ne sont pas doctrinales, mais parlent juste aux dissidents qui y prennent un malin plaisir, et à ceux qui sont moralement confus ou égarés dans ce monde.
Prions pour notre Saint-Père et pour l'Eglise universelle.

NDT


(1) Voici la transcription officielle "expurgée" sur le site du Vatican:

Je parle par exemple d’une expérience que j’ai vécue lorsque j’étais à Buenos Aires : dans un diocèse voisin, certains curés ne voulaient pas baptiser les enfants des filles-mères. Pensez-vous ! Comme si c’étaient des animaux.

* * *

J'ai recherché sur la vidéo le passage correspondant, le voici (vers 51'): youtu.be/jQ5h2efV0a4?t=51m0s
Ce n'est effectivement pas clair, le Pape ne dit pas "Comme si c’étaient des animaux" mais "c'étaient des animaux" (j'entends "Eranno animali") ce qui peut effectivement prêter à confusion, et on comprend que pour des journalistes anglophones, ce soit plus qu'ambigu.