Intègre, ou intégriste?

Un billet du Père Ucciardo, réponse indirecte aux propos de l'Archevêque de paris s'exprimant sur la manifestation "anti mariage gay" du 18 novembre (27/11/2012)

>>> Sur ce sujet, voir en particulier:
Mariage pour tous: deux manifs

     

Le 20 novembre dernier, à l'occasion de la visite ad limina d'un groupe d'évêques français, le Cardinal Vingt-Trois a répondu aux questions des journalistes sur les deux manifestations qui avaient eu lieu à Paris le week-end précédent contre le "mariage pour tous".
Si j'en crois ce que rapporte l'Agence I-Media , voici le coeur de ses propos:

“Samedi, c’était une manifestation qui était conçue et déclarée comme non-confessionnelle, même si beaucoup d’organisations chrétiennes tout à fait explicites ont participé à l’organisation, mais c’était ouvert à quiconque partageait les thèmes de la manifestation, d’où la participation de juifs, de musulmans, d’agnostiques, d’athées, etc…... Qu’il y ait eu une mobilisation plus forte des chrétiens on s’en réjouit, mais je me suis refusé à appeler à cette manifestation comme président de la conférence épiscopale car je ne voulais pas que ce soit une manifestation organisée et subventionnée par l’Eglise“ (Ndlr: bravo pour le courage!).
...
“Le dimanche, le groupe Civitas, qui est un groupe borderline intégriste, et même au-delà de borderline, a appelé explicitement à la défense du catholicisme et dit ‘nous les catholiques’, mais des ‘nous les catholiques’ il n’y en avait pas beaucoup !“

Jean Madiran lui consacre aujourd'hui dans Présent un billet dont je partage chaque ligne (1)

Moi non plus, je ne comprends pas vraiment les propos du pasteur, qui devrait donc rassembler, et au contraire divise, voire anathémise! Je regrette beaucoup qu'il ait cru devoir séparer les bons et les mauvais catholiques (sur quels critères?), rejetant les derniers.
Quant à la prétendue "agression" dont auraient été victimes les femen, personne de sérieux ne peut croire à cette fable! Il s'agit d'une inversion diabolique des faits, et s'appuyer sur cette pantomine pour dire que la violence est consubstantielle aux mouvements "d'extrême-droite" discrédite l'ensemble de l'argumentation contre la "mauvaise" manif.

Don Ucciardo, le jeune prêtre italien que nous avons déjà rencontré plusieurs fois dans ces pages (cf. benoit-et-moi.fr/2012(III)), répond indirectement au Cardinal.

     

Intègre, c'est-à-dire catholique.
25 Novembre 2012
Don Antonio Ucciardo
http://www.daportasantanna.it

Depuis quelque temps, on voit s'insinuer la croyance étrange que le catholicisme peut être intégriste. Aucun homme qui veut se faire appeler religieux, ne peut ouvrir son cœur à l'intégrisme. Les appels répétés du pape Benoît XVI devraient être plus que suffisants pour tranquilliser à propos de l'esprit qui imprègne le catholicisme. Nous avons toutefois une preuve bien plus grande que des mots qui pourraient apparaître dictés par l'opportunisme. Nous avons pour nous la charité, qui ne regarde pas à la religion et ne demande même pas la conversion à notre foi.
Il ne me semble pas que les catholiques se fassent exploser, ni qu'il recourent à la violence pour faire valoir leurs croyances religieuses ou les voir respectées. On nous dit que le mal, nous l'avons derrière nous, que nous avons imposé la foi par les armes. Sans recourir à Phèdre et à sa fable du loup et de l'agneau (ndt: voir ici les trois versions de cette fable, respectivement par Esope, Phèdre et La Fontaine ) , nous avons la documentation nécessaire pour faire cesser aussi ce lieu commun. Peu de gens savent, par exemple, que, face aux actes de violence perpétrés par les conquistadores, régulièrement cités comme exterminateurs de peuples sages (qui scrutaient les étoiles et sacrifiaient les enfants), l'Église prit immédiatement position, condamnant ces actions qui n'avaient rien de chrétien. Il va sans dire qu'aujourd'hui encore, un voleur, baptisé dans la foi de l'Eglise et même pratiquant, doit être condamné, comme c'est le cas. Je n'ai jamais entendu dire, toutefois, que dans un cas de ce genre, le procureur ait poursuivi l'Église catholique pour vol qualifié. Nous savons distinguer l'Eglise de ses enfants, contrairement à ceux qui n'hésiteraient pas à faire tout pour voir affirmée leur idéologie. Parce que s'il est vrai que l'intégrisme est aujourd'hui associé à la religion, et certes pas par la faute des catholiques, il est également vrai que ce n'est pas un phénomène que l'on retrouve seulement dans la sphère religieuse.

Il y a quelques jours, dans la capitale de la France civilisée, des soi-disant Femen se sont jetées sur des pacifiques manifestants catholiques. Quelques-uns ont répondu à la provocation qui, par le blasphème et la moquerie, offensait leur (notre) foi. Il n'en fallait pas plus pour que l'on crie au scandale et que l'on considère l'affrontement comme dicté par l'intégrisme catholique. Pourquoi ces catholiques étaient-ils descendus sur la voie publique? Pour protester contre l'adoption de la loi envisagée en faveur des unions homosexuelles.

Vendredi 23 Novembre, Il Corriere della Sera identifie un intégriste en la personne de Tonio Borg, le commissaire européen nouvellement élu pour la santé et la protection des consommateurs. Feriez-vous jamais soigner un membre de votre famille par un intégriste? Bien sûr que non! Et alors pourquoi devriez-vous le retrouver comme responsable de secteur de la santé de notre ineffable Union? L'inquiètude de Danilo Taino, auteur de l'article, est digne de la plus haute considération: notre santé est en jeu! Mais qu'a-t-il donc fait, ce maltais, par dessus le marché catholique ultra-conservateur? Il a exprimé un avis négatif sur le divorce, l'avortement et l'homosexualité. Et dans sa carrière politique, il s'est opposé à ces tendances avec force. Il n'est pas très fiable, certes, mais en compensation, il a précisé qu'il saura distinguer entre sa vision et le respect dû à la laïcité des institutions. Nous pouvons donc dormir tranquilles!

Deux cas similaires. Des catholiques qui affirment leur contrariété à ce qui est désormais considéré par la loi ou l'opinion publique comme des droits civils. Cela, et seulement cela, est défini comme intégrisme. Aucune bombe, pas de violence physique ou verbale; seulement la non-indulgence pour le relativisme qui déforme la foi catholique et porte atteinte à l'intelligence de l'homme. Rien d'autre!

Le catholicisme serait donc intégriste. Mais seulement ce catholicisme, c'est-à-dire le catholicisme qui ne doit plus exister au troisième millénaire. Contrairement à l'islam, nous devons reconnaître que nous sommes profondément et physiologiquement une unité de différents.
D'une part, la diversité témoigne de la bonté de notre foi, et de l'inconsistance de l'étiquette d'intégrisme. Au cours de l'histoire, nous avons toujours eu la coexistence de rites, d'écoles théologiques, de législations, de points de vue différents. En somme, «unité dans ce qui est nécessaire, liberté dans ce qui est douteux, charité en tout». Il s'agit de la vision proprement catholique, qui sait composer dans l'harmonie et conduire à l'unité (mais toujours dans la vérité) les différents éléments. Le terme catholique, avant même de pouvoir se référer à une extension géographique, indique cette capacité de l'universel.
D'autre part, nous devons admettre que cette diversité légitime et catholique se montre aujourd'hui comme une authentique désagrégation. Souvent, on n'a plus la même vision de la foi d'une paroisse à l'autre. Alors pensez, d'un pays à l'autre! Et dans cette fragmentation bigarrée, nous avons la domination d'une pensée qui, bien que n'étant pas conforme à la foi, s'est imposée sur la bienveillance du monde, au point d'être prise pour la pensée de l'Église. Le fait que cette pensée vienne de personnes d'un certain niveau, contribue à aggraver le problème. Si un prêtre ou un intellectuel catholique pontifie sur le droit des homosexuels d'avoir la reconnaissance de leur union, et répand sa parole à travers des livres et des interventions qui rencontrent la faveur du monde, il est clair que tout autre catholique apparaît comme intégriste. Malheureusement, ce genre de situations se rencontre dans tous les domaines de la vie ecclésiale, comme si chaque fragment devenu fou produisait, à son tour, d'autres fragments. Dans un certain sens, nous sommes aussi responsables de cette situation absolument paradoxale: passer pour intégriste quand l'on souhaite simplement avoir la foi de l'Eglise et adhérer au Magistère. Ou quand l'on veut juste raisonner sur la base de la loi de la nature.

Dans les Evangiles, il y a des pages qui montrent un Jésus différent de celui des clichés. Ces pages sont complètement ignorés ou lues selon des critères d'interprétation extrêmement discutables. Une seule, cependant, résiste et est presque soulignée (mais seulement parce qu'elle est utilisée par certains contre le sacerdoce, le culte, les institutions et les règles canoniques). C'est la page qui décrit Jésus chassant les marchands du Temple (Marc, 11, 15-18) [2]. Peut-on affirmer, sur la base du récit et de sa théologie, que la conduite de Jésus est décrite dans les termes qui sont aujourd'hui reprochés aux catholiques qui souhaitent préserver l'intégrité de la foi?
Un saint laïque, éminent scientifique, a écrit: «Aime la vérité, montre-toi tel que tu es, et sans prétention, sans crainte et sans inquiétude. Et si la vérité te vaut la persécution, accepte-la; et si c'est le tourment, supporte-le. Et si pour la vérité, tu devais sacrifier toi-même et ta vie, sois fort dans le sacrifice »(Saint Joseph Moscati).
Je veux considèrer cela comme le programme d'une saine intégrité catholique. Laquelle n'a rien de commun avec l'intégrisme.
S'ils veulent vraiment chercher des graines d'intégrisme, qu'ils demandent à ces catholiques qui ont fait de la foi une idéologie et de l'unité une galaxie. Et ils n'ont même pas besoin d'aller très loin: il suffit de se rendre dans la librairie catholique la plus proche ...

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Notes


(1) Jean Madiran, Présent n°7737, du 27/11/2012:

N’en croyez pas ce que le Cardinal dit au Pape car c’est vraiment « borderline »
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Un cardinal est dans sa fonction quand il informe le Pape. Et en l’occurrence, quand il s’agit de ce qui se passe à Paris, qui pourrait paraître au Pape plus crédible et mieux informé que le cardinal-archevêque de Paris ?
Peut-être le ton de profond mépris et de malveillance passionnée avec lequel le Cardinal parle des intégristes borderlines aura-t-il incité le Pape à relativiser la dénonciation ? Mais ce n’est pas certain, et alors qui pourra détromper le Pape ?
• Le Cardinal n’était pas dans la rue à observer les manifestants et à supputer leur religion ou leur extrémisme. Hypothèse la plus bienveillante, il a été induit en erreur par les rapports qui lui ont été faits, ou bien tout simplement en écoutant les médias....
Son information inexacte est en outre fort malencontreuse, à un moment où il était en train d’attirer toutes les sympathies catholiques et de prendre la tête de l’opinion publique par sa juste accusation de « supercherie » lancée contre le projet socialiste. Il a pulvérisé cette supercherie par une argumentation solide qui taille en pièces la tromperie d’un mariage « pour tous » et son illusion égalitariste....
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(2) (Marc, 11, 15-18)

Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons;
et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le temple.
Et il enseignait et disait: N'est-il pas écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs.
Les principaux sacrificateurs et les scribes, l'ayant entendu, cherchèrent les moyens de le faire périr; car ils le craignaient, parce que toute la foule était frappée de sa doctrine.