La lettre du Cardinal Scola (II)

Une analyse de Vittorio Messori, après la rebuffade infligée à son envoyé par les musulmans réunis aux Arènes de Milan pour célébrer la fin du Ramadan (22/8/2012)

>> Cf.
La lettre du Cardinal Scola pour la fin du Ramadan

Les images ci-dessous (à certains égards plus éloquentes que les paroles) sont du site http://milano.repubblica.it/

La rebuffade infligée par la communauté musulmane de Milan à l'envoyé du cardinal Scola pouvait avoir a priori deux lectures opposées et/ou complémentaires:
- d'une part, une certaine frange de l'Eglise, engagée dans un inutile "dialogue", et pratiquant envers et contre tout un angélisme béat: à ceux-là, les musulmans ne réservent que leur mépris, et ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient
- de l'autre, la lettre elle-même. Le cardinal Scola mettait les musulmans au pied du mur: "nous devons dénoncer ceux qui, en exploitant la foi, encouragent les jeunes à la haine et à la violence verbale, physique et morale". Ils ne sont même pas donné la peine de faire semblant.

Vittorio Messori propose une troisième lecture: la peur. Et elle n'est pas du côté que l'on croit..

J'ai traduit plusieurs réflexions de Vittorio Messori sur l'Islam, en particulier "La force du christianisme" (benoit-et-moi.fr/2008-II)

La difficile confrontation entre les religions, après l'affront de dimanche au cardinal de Milan
L'Islam, la peur du dialogue

Les fermetures découlent de la crainte de la contagion de l'Occident
Il Corriere della Sera, 21/8
Vittorio Messori
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Mais comment? Ils invitent le maire et se plaignent parce que, pris par d'autres engagements, il a envoyé un assesseur pour le représenter? Et puis, quand on lui remet la lettre du cardinal - de plus, écrite en arabe, par courtoisie - le responsable du rassemblement le met distraitement dans sa poche, prononce un mot de remerciement tout aussi distrait, mais ne l'ouvre pas et ne mentionne même pas l'archevêque dans son discours d'introduction? Quelle logique y a-t-il dans ce qui est arrivé à l'Arena de Milan, parmi les dix mille musulmans qui fêtaient la fin du ramadan? `

Eh bien, il y a une logique, au moins dans la perspective islamique, et elle a justement été expliquée par l'espèce de «grand imam» qui, pour l'occasion, menait l'assemblée: «Nous avons invité à donner un salut uniquement les institutions publiques qui représentent l'ensemble de la ville et, par conséquent, aussi nous qui y vivons et y travaillons. Mais ceci est une fête religieuse musulmane et donc il n'est pas prévu de donner la parole aux représentants des autres religions». Il a ajouté: «Ce serait comme si nous voulions saluer les catholiques qui, dans la cathédrale se préparent à célébrer la messe de Noël».

Ceux qui ne sont pas familiers avec cette réalité sont souvent choqués, parce qu'ils ne prennent pas en compte le fait que l'islam est un «bloc», est une unité impénétrable, sans aucune possibilité de relation entre eux et nous.
Il y a bien une distinction entre une écrasante majorité sunnite et la minorité (entre 10 et 15 pour cent au niveau mondial) des chiites, une distinction qui malgré tout n'empêche pas une unité substantielle de croyance. Mais, au-delà de cela, il n'y a aucune trace de la pluralité chrétienne, de sa diversité de confessions, et, à l'intérieur de celle-ci, des divers charismes et des divers engagements: du chrétien fervent au pratiquant occasionnel, de l'intégriste au «catholique adulte». Dans l'islam, ou bien l'on croit les mêmes choses - et l'on croit sans hésitation, toujours prêt au martyre plutôt que de les renier - ou bien on est expulsé d'une communauté qui n'accepte pas les distinctions dans la doctrine et la tiédeur dans la pratique. Le «bloc» est d'une telle compacité qu'il en vient à imposer comme un devoir religieux d'exclure, y compris avec des réactions violentes, ceux qui n'en font pas partie et essayent de s'y faufiler: un non-musulman qui serait découvert parmi les pèlerins de la Mecque passerait certainement un mauvais quart d'heure. Tout comme l'intrus à la prière du vendredi dans une quelconque mosquée aurait de gros problèmes. Le monde entier est divisé en deux: la «terre des croyants» et la «terre des infidèles», et le devoir de tout croyant est de réduire la surface de cette dernière.

Compacité sociale et fermeté sur une doctrine élémentaire (schématisée en seulement cinq préceptes juridiques auxquels obéir) ont été pendant plus de mille ans, la force de cette religion, mais elles peuvent aujourd'hui constituer sa faiblesse. Déjà à la fin du XIXe siècle, Ernest Renan, qui connaissait l'arabe, qui avait séjourné au Moyen-Orient, qui avait lu et médité chaque texte musulman, n'avait aucun doute: «L'islam(isme) ne peut exister que comme une unique religion; non pas comme religion d'Etat, mais plutôt Etat lui-même. Lorsque l'Occident l'obligera à se transformer en une religion libre, individuelle, spirituelle, vécue famille par famille et non dans le grand clan ou dans la foule de cla mosquée, l'islam périra».

Evidemment, les prévisions des «experts» doivent être prises sans jamais oublier que l'histoire est l'imprévisible par excellence. Mais il ne fait aucun doute que la foi proclamée par Mahomet est appelé justement aujourd'hui à relever le défi décisif lancé par Renan plus d'un siècle auparavant. L'actuelle migration vers l'Occident est risquée surtout pour «eux» et rien n'est plus fallacieux que de prendre pour une preuve de force et de vigueur juvénile une certaine agressivité musulmane. C'est la peur, tout au plus, qui explique pourquoi les foules forgées par le Coran ont tendance à se tourner vers l'intégrisme, l'intransigeance, dans certains cas le terrorisme. C'est l'inquiètude qui explique pourquoi l'accusation de «modernisme» d'«occidentalisation» contraint, comme aujourd'hui en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, l'exil de toute une caste politique, avec l'avènement de musulmans purs et durs.

Après tout, l'impolitesse (ou, dans un lecture bienveillante, le malentendu, ou la gaffe) de dimanche à l'Arena de Milan fait partie de ce souci de préserver l'unité du «bloc», vivant dans une société qui en est l'exact contraire, au point d'être définie comme «liquide». Comme pour dire: ici, c'est «nous»; et nous n'avons pas besoin d'autres voix, il nous suffit que les politiciens nous confirment que, dans cette ville, nous pouvons renforcer tranquillement notre unité de foi et de coutumes.
Le dialogue? Quel besoin en avons-nous, nous qui avons la révélation ultime, celle définitive, celle qui a fait de Moïse et de Jésus seulement des précurseurs et des annonciateurs de Mahomet, l'indépassable Prophète?