La musique sacrée du Pape pianiste

La passion du Saint-Père pour la musique remonte à son expérience familiale. Très beau tour d'horizon, sur l'hebdomadaire italien Tempi (23/10/2012)

Cet article renvoie à de nombreux autres parus sur ce site, dont les plus significatifs sont cités en notes (*)

Le pape pianiste

L'histoire du cliché (*)

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Le 11 novembre, le choeur de la Chapelle Sixtine dirigé par Massimo Palombella (ndt: détail qui n'est pas dénué d'importance, comme on le verra plus bas) exécutera - en privé, dans la Chapelle Sixtine - la "Missa Anno Santa" composée par Mgr Georg Ratzinger. Cet évènement prendra place dans le cadre du Festival international de musique et d'art sacrés promu par la "Fondazione pro musica e arte sacra", qui du 2 au 13 novembre vivra sa 11e édition.
(d'après OR du 19 octobre)

     

La musique sacrée de Benoît XVI

22 Octobre 2012
Mario Leone
http://www.tempi.it/blog/la-sacra-musica-di-benedetto-xvi
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Il l'a dit lui-même il y a quelques mois, parlant à l'auditoire présent à Milan, au parc Bresso: «Mon frère est un grand musicien, il composait déjà pour nous quand il était enfant, et ainsi toute la famille chantait. Papa jouait de la cithare et chantait, ce sont des moments inoubliables» (*) .
C'est la clé pour comprendre ce qui n'est pas seulement une passion mais une authentique connaissance: pour parler de la relation intime entre Benoît XVI et la musique, on ne peut pas ignorer la famille Ratzinger.
Son père, Joseph, homme rigoureux avec de fortes valeurs morales, était passionné de musique sacrée et avait chanté dans la chorale paroissiale de sa ville; il avait appris à jouer de la cithare seul. Sa mère, Maria Peintner, nourrissait une passion pour le chant. Nombreux étaient les moments où la famille se trouvait réunie autour de la musique. Pendant la période de Noël, elle accompagnait la méditation religieuse et l'attente de la naissance du Rédempteur. On lisait l'Evangile de Luc, celui de la Nativité, et ensuite, le papa chantait des chants de Noël: Douce Nuit, O du fröhliche (*).
A Noël 1935, Georg (le fils aîné), qui fréquentait alors le lycée, composa un hymne pour piano (joué par Joseph), violon (joué par Georg lui-même) et harmonium (jouée par Mary, la soeur). Une composition qui suscita beaucoup d'émotion chez les parents (*).
L'harmonium fut le premier instrument que le père acheta pour ses enfants, le point de départ des études musicales des «petits» Ratzinger. Joseph était porté à la musique, montrant un intérêt très vif qui lui permit de rapidement apprendre à lire les partitions. La relation très étroite entre Joseph et Georg Ratzinger (qui fut également le directeur du chœur de la cathédrale de Ratisbonne) contribua à renforcer la passion pour la musique du futur pape

Mais quelle est vraiment «la musique du Pape»? Tout d'abord, celle de Mozart: «Quand commençait le Kyrie, c'était comme si le ciel s'ouvrait» (*).
Ce qu'elle suscite chez Ratzinger, c'est une joie qui naît de la claire perception de ce que cette musique est capable de pénétrer profondément dans tous les aspects de la réalité. Là aussi, l'éducation reçue dans la famille avait laissé son empreinte: en 1941 (Joseph n'a que quatorze ans), à l'occasion des 150 ans de la mort du génie de Salzbourg, chaque dimanche midi, commençait une émission de radio entièrement consacré à Mozart, et à la maison Ratzinger, on avait l'habitude de l'écouter. Et c'est Ratzinger lui-même qui témoigne pour nous de l'influence de Mozart dans sa vie: «Notre famille est toujours restée dans la zone entre l'Inn et la Salzach. La plus grande partie de mon enfance, je l'ai passé à Traunstein, une ville très proche de Salzbourg. Mozart a pénétré profondément dans nos âmes, et sa musique me touche encore profondément, car elle est lumineuse et profonde à la fois. Sa musique n'est pas seulement un divertissement, elle contient tout le drame de l'existence humaine». L'amour pour Mozart a rapproché Ratzinger de deux amis et collègues illustres: Henri-Marie de Lubac et Hans Urs von Balthasar. Avec ce dernier, en particulier, Benoît XVI reconnaît que dans la musique de Mozart «résonne la grâce de la création, comme elle devait être à l'origine et comme elle devrait être jusqu'à la fin des temps: elle résonne de la simple transparence de quelque chose qui ne devrait pas être cherché ou édifié, mais est tout simplement donné».

Si la musique de Mozart est «don», celle de Bach (le plus grand maître de musique de tous les temps, selon Ratzinger) «exprime irrésistiblement la présence de la vérité de Dieu». C'est le Pape lui-même qui le rappelle, commentant un récital dirigé par Leonard Bernstein: «Au terme du dernier morceau, j'ai ressenti, non par le raisonnement, mais au fond de mon cœur, que ce que j'avais entendu m'avait transmis la vérité, vérité du grand compositeur, et me poussait à remercier Dieu».

Dernier, mais non moins aimé, il y a certainement Beethoven, dont Ratzinger avoue une prédilection pour les Symphonies, en particulier la neuvième. Ce qui provoque surtout cette prédilection, c'est le caractère dramatique de la vie qui résonne dans sa musique. Celui qui l'écoute ne peut manquer de saisir une invitation émouvante à se plonger dans l'existence pour en découvrir le sens profond. L'oreille attentive et et compétente du Pape ne manque pas, cependant, de saisir une limite: «Dans Beethoven, on entend et sent la lutte du génie pour donner le meilleur, et en effet sa musique possède une grandeur qui me frappe au cœur. Mais à cause de ce combat sa musique apparaît parfois un peu surchargée».

La «bataille» de Ratzinger
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L'amour de la musique et de l'attention à la liturgie sont à la base de l'une des «batailles» que Benoît XVI a menées, d'abord comme cardinal et aujourd'hui comme Pape: sa réforme de la musique liturgique (*). Sur ce sujet, très controversé, le Pontife une idée très claire: la musique pop affecte négativement celle liturgique. Ratzinger compare la situation actuelle à celle qui s'était créée sous le pontificat de Pie X qui, face à une dérive vers l'opéra et le théâtre de la liturgie, fonda en 1911, l'École Supérieure de musique sacrée (Scuola Superiore di Musica Sacra), élevé vingt ans plus tard en Institut pontifical par Pie XI. Il ne s'agit pas d'une lutte idéologique en faveur du chant latin, mais, comme l'affirme à 'Tempi', le journaliste et écrivain Francesco Agnoli: «Il est désormais sous les yeux de tous, et d'autant plus ceux du pape, combien le grégorien a disparu de nos églises, à l'improviste, emportant deux mille ans de tradition. Il suffit juste de regarder les chants eucharistiques: en italien, il n'y a presque rien qui vaille la peine tandis qu'en latin, nous avons Pange lingua, Adoro te devote, Panis angelicus, dans lesquels est indiqué clairement l'ineffable, le mystère et la grandeur de l'Eucharistie. Benoît XVI a grandi en écoutant et en chantant ces chants, que Sacrosanctum Concilium (l'une des quatre constitutions conciliaires émises par le Concile Vatican II) demandait de maintenir; c'est pourquoi il veut que la musique grégorienne revienne dans nos églises. Il faut aussi que le pape actuel regarde vers le monde orthodoxe, oriental, qui a conservé sa musique traditionnelle qui a permis de garder le sens du sacré, même sous le communisme».

Du même avis, aussi, Mgr Domenico Bartolucci (*), personnage très respecté par Joseph Ratzinger, au point de le considérer comme une colonne dans le «labyrinthe» de la musique classique et sacrée. Surnommé «le maître» dans les murs du Vatican, Bartolucci est musicien, compositeur et maître de chœur, et parmi les plus grands experts de Giovanni Pierluigi da Palestrina. Nommé par le pape Pie XII en 1956 directeur «ad vitam» de la Chapelle Sixtine, cadre musical par excellence de l'Église latine, il a été évincé (de manière incompréhensible) de ses charges en 1997. En Novembre 2012, Benoît XVI l'a nommé cardinal comme pour en souligner le lien très fort et l'unité de but. Bartolucci, dont la musique et la «direction» ont été appréciées par bien cinq Papes, définit Benoît XVI comme le plus expert en musique parmi ceux qu'il a connus: «Il joue du piano, il est un profond connaisseur de Mozart, il aime la liturgie de l'Église et par conséquent, il tient la musique dans la plus haute considération», a-t-il déclaré dans une interview de 2006 à l'Espresso (*). Dans la même interview, Bartolucci non seulement réaffirme le même souci que le Successeur de Pierre en ce qui concerne la musique liturgique, mais en rajoute encore, décrivant la musique, «à la mode» dans les églises aujourd'hui comme des chansonnettes grattées sur la guitare.

Ces dernières années, la position du pape Benoît XVI sur la musique liturgique n'a pas rencontré de grand écho dans le chœur de la Chapelle Sixtine. Pomme de discorde, la nomination comme directeur de Mgr Massimo Palombella, dont beaucoup jugent qu'il n'est pas à la hauteur d'une charge historiquement aussi prestigieuse. Les idées musicales et de répertoire de Palombella, d'ailleurs, ne sont pas toujours conformes à celles du Pape. Le Monsignore lui-même, dans un éditorial sous sa signature publié dans la revue qu'il dirige, Armonia di voci, a exposé des doutes sur le concept de musique liturgique présente avant Vatican II et sur l'opportunité, dans les liturgies actuelles, d'utiliser des Messes comme celles de Mozart ou de Palestrina.

La conversion de Claudel
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Dans cette situation complexe s'insère également la récente nomination de Mgr Vincenzo De Gregorio comme nouveau Président de l'Institut Pontifical de Musique Sacrée (le Conservatoire du Vatican, pour nous entendre). La nomination de De Gregorio, qui remplacera Mgr Valentino Miserachs Grau, a été appréciée par Palombella et Mgr Marco Frisina, tous liés par une profonde amitié et par une unité stylistique plus «pop», très critiquée par le Maestro Riccardo Muti (*). C'est précisément la relation entre Muti et Benoît XVI qui est devenue digne d'attention ces dernières années. Tous deux n'ont jamais manqué une occasion de se remercier l'un l'autre pour la grande considération réservée au répertoire sacré. Muti le dit en toutes lettres dans l'introduction du livre de Benoît XVI «Lodate Dio con arte» (l'esprit de la musique en français), soulignant que le Souverain Pontife, bien qu'accablés par un emploi du temps surchargé, «alimente son esprit» en s'asseyant au piano et en jouant ses auteurs préférés, et il remercie le pape pour sa dénonciation du bas niveau musical présent dans les églises. Benoît XVI suit avec attention et gratitude le travail de Muti, particulièrement actif dans l'éducation et la valorisation de jeunes musiciens, et dans l'exécution de chefs-d'oeuvre peu connus du répertoire sacré.

Mais l'éducation reçue dans la famille suffit-elle pour expliquer cette grande sensibilité, cette compétence aiguë, cette passion? N'y aurait-il pas un facteur plus puissant qui explique tout et nous fait sentir Joseph Ratzinger proche de nous, aussi quand il parle de musique, en joue, l'écoute?
Paris, 25 Décembre 1886. La cathédrale Notre-Dame est bondée de fidèles en attente des Vêpres. Un homme est là, à l'écart, l'air mystérieux. Il n'est pas plongé dans la prière ni en attente du début du rite, il est seulement à la recherche d'arguments contre les chrétiens. Soudain commence le Magnificat chanté par les enfants de la chorale et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. En un instant, son cœur est touché, un moment de confusion et d'incrédulité, et puis seulement la grandeur de la présence de Dieu . Cet homme à l'écart dans la cathédrale de Paris est Paul Claudel, écrivain cher à Benoît XVI qui en rappelle souvent la conversion.

«La beauté est la grande nécessité de l'homme», rappelait le Pape en consacrant la Sagrada Familia à Barcelone. L'histoire de Claudel est exemplaire de cette nécessité. C'est ce qui explique pourquoi le pape Ratzinger a toujours été promoteur et amoureux de la beauté, nous rappelant que: «Le monde sera sauvé par la beauté» (Dostoïevski, L'Idiot, Partie III, Chapitre V). Une beauté qui n'est pas seulement une sensation esthétisante, mais appel à la transcendance, capabale de racheter de «la vie banale» une humanité souffrance.

     

Notes (*)