Le Concile a-t-il changé la foi des gens?

Une belle réflexion sur la façon dont le Concile - en particulier la réforme liturgique - a été perçue par les gens simples, dans l'Italie encore paysanne des années 60. A transposer, avec quelques spécificités, à notre pays. Article dans Il Sussidiario, ma traduction (7/11/2012)

>>> Image ci-contre: l'Italie "provinciale" de don Camillo, c'était celle du pré-Concile

La question sonne évidemment comme une provocation. Et on est très tentés de répondre "oui!".
Mais indépendamment du fait que l'on ne peut imputer au Concile le "tsunami" de la sécularisation - qu'il a, au mieux, accompagné, et peut-être tenté de limiter - les choses ne sont peut-être pas aussi simples que veulent le dire ses adversaires.
L'article ci-dessous s'appuie sur la réalité de l'Italie de l'après guerre - qui né'tait peut-être déjà plus celle de la France de la même époque. Mais beaucoup d'éléments restent transposables.

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Pourquoi le Concile n'a pas changé la foi des gens?
Alessandro Zaccuri (*)
http://www.ilsussidiario.net/
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E sac de nùs in tentasiùn. (ndt: charabia phonétique intraduisible en français!)
Peut-être que c'est une légende, peut-être même que ce n'est pas vrai du tout, mais il paraît qu'autrefois, quand la Messe était en latin, durant l'office, les femmes pieuses récitaient le Rosaire, et la plus controversée parmi les invocations du Notre Père (et ne nos inducas in tentationem) se transformait en une histoire de noix à entasser dans les sacs en prévision de l'hiver. Que, même au milieu de ce non-sens, la conscience de la tentation survive jusqu'à briller comme un obscur joyau, voilà un argument qui pourrait utilement être débattu par les théologiens et les anthropologues. Ici, l'anecdote sert à rappeler comment, dans la province italienne, Vatican II s'est manifesté principalement à travers la révolution de la réforme liturgique.

Province italienne, disait-on. Mais il serait plus correct de parler de la grande province qu'est l'Italie et qui reste telle dans les nombreuses poches de résistance, y compris dans les zones urbaines. C'est ainsi encore maintenant, cela l'était donc d'autant plus il y a un demi-siècle, alors que le pays connaissait un processus d'urbanisation tumultueux et visiblement imparfait au point de justifier l'invective de Pasolini sur la «modernisation sans développement». D'un certain point de vue, l'Italie du siècle dernier a toujours été une réalité antérieure, pas nécessairement nostalgique, et même désireuse de se débarrasser de son passé paysan, y compris au coût du remplacement du vaste paysage de la campagne par les horizons étroits d'un immeuble petit-bourgeois.

L'image la plus éloquente de ce passage vertigineux est fournie par le témoignage qu'une équipe de la Rai recueillit devant une église le dimanche où, pour la première fois, on célébrait le rite eucharistique en italien. La scène se passe dans une grande ville du nord, probablement Milan, et parmi les personnes interrogées il y a aussi une famille au fort accent du Sud, particulièrement enthousiasmée par la nouveauté. Ils expliquent qu'il ont apporté un magnétophone dans l'église, pour enregistrer la messe et pouvoir l'écouter tranquillement à la maison avec leurs enfants (des garçons, adolescents et silencieux) qui acquiescent, au bord du cadre, d'une manière plus complice qu'embarrassée. L'homme est petit, grisonnant, vêtu de façon digne et modeste. Il ne faut pas longtemps pour reconnaître en lui l'ouvrier typique venu du Sud, c'est-à-dire le héros incontesté de cette province intérieure sans laquelle - répétons-le - notre pays serait encore plus difficile à déchiffrer.

Mettre l'accent sur la réforme liturgique ne signifie absolument pas diminuer la portée du Concile. Cela signifie simplement admettre qu'ici, chez nous, dans une terre qui à l'époque se reconnaissait naturaliter Christiana et était fière de sa catholicité, d'autres éléments que cette innovation suscitèrent peut-être moins de surprise. Il y avait les prêtres qui ne s'habillaient plus en prêtres, d'accord, et se promenaient en pantalon et col romain, comme les pasteurs que l'on voyait de temps à autre dans les films américains. Mais en substance, ils étaient toujours les prêtres d'avant, habitués depuis toujours à décliner le mandat de proximité en termes d'une attention sociale que Vatican II a pu prendre comme thème car elle appartenait déjà à la tradition et à la sensibilité des croyants.

Et les laïcs? Probablement, leur rôle n'a pas été valorisé suffisamment dans la vaste - et loin d'être uniforme - province italienne. Laquelle, toutefois, est en bonne compagnie si l'on considère que, sur le coup du cinquantième anniversaire des Assises œcuméniques, la vraie transformation inachevée (dans le sens, au moins, d'une attente qui n'a pas encore été réalisée dans son intégralité) est la reconnaissance du peuple de Dieu comme peuple sacerdotal. C'est à cela, entre autre, que se réfère la disposition du prêtre et de l'assemblée établie par la «messe de Paul VI», annoncée par don Antonio Brambilla - un prêtre-peintre ambrosien excentrique, connu sous le pseudonyme de don Abram - avec une affiche sur la porte de l'église ainsi conçue: «Dimanche, l'Eucharistie sera célébrée dans le nouveau rite conciliaire. En présence de l'Auteur».

Une boutade, bien sûr, mais capable de rappeler une chose qui, parmi tant de changements, est restée inchangée, et était ce qui au fond, importait vraiment et importe encore. Il y avait le Concile, il y avait le vent nouveau qui soufflait, mais ce n'est pas pour autant que l'Eglise cessait d'être la Sponsa Christi que des générations de croyants avaient appris à connaître et à aimer. Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, l'Italie qui s'imagine ne plus être provinciale (et qui au contraire n'a jamais autant imité, ni été aussi subordonnée) ferait bien de retrouver la tendresse de cette condition filiale, parfaitement résumée par Jean XXIII dans son célèbre discours de la lune et de la caresse à apporter aux enfants. Les Italiens simples de 1962 entendirent ces paroles et crurent qu'ils avaient tout compris du Concile. Ils n'avaient sans doute pas tort .

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(*) Alessandro Zaccuri, né en 1963, est écrivain et journaliste. Il collabore en particulier au quotidien L'Avvenire.