Le papyrus des faux prophètes.

Un spécialiste de l'université de Durham, Francis Watson, professeur en exégèse du Nouveau Testament, explique, preuves convaincantes à l'appui, que le "papyrus de la femme de Jésus" est un faux moderne. Article sur Religion en Libertad traduit par Carlota (26/9/2012)

Lu sur internet, 19 septembre 2012

(c'est un échantillon, mais il est très significatif)

Un papyrus peut-il faire la lumière sur l'un des moments de la vie de Jésus les plus sujets à controverse. Une historienne de l'Université d'Oxford affirme que le manuscrit indique que Jésus était marié.

Quand l'écrivain Dan Brown dotait il y a quelques années Jésus d'une épouse en la personne de Marie-Madeleine dans Da Vinci Code, il ne se doutait probablement pas qu'une scientifique américaine mettrait la main sur un bout de papyrus, lui, bien réel, qui irait en ce sens. Tout a commencé en 2010 lorsque Karen L. King, professeur de théologie à l'université de Harvard a reçu des mains d'un donateur anonyme un manuscrit vieux, selon le détenteur du document, de plus de 1600 ans. Après traduction du papyrus grand comme une carte de crédit et noirci de mots sur ses deux faces, l'attention de King a très vite été attirée par une, phrase surprenante. "Et Jésus leur a dit 'ma femme'". Une phrase qui relance le débat sur le célibat du Christ, puisque dès le début du 3ème siècle, l'Église chrétienne a tenu pour acquis que Jésus n'était pas marié. Opinion qui si l'on en croit le manuscrit, n'était pas partagée par tous les croyants du début de l'ère chrétienne.
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Intriguée et troublée (dans mon ignorance), non tant par l'écho donné à l'information que par les commentaires de certains blogs catholiques, tout prêts à admettre que la condition sponsale de Jésus ne pouvait pas gêner les vrais croyants, j'ai interrogé un prêtre ami, qui m'a répondu:

L'Eglise a en quelque sorte le "copyright" sur la Bible, c'est elle qui dit quels textes étaient de Dieu, et qui en écarte d'autres. Car l'Ecriture ne dit pas quels sont les textes, l'Ecriture ne dit pas qu'est-ce que l'Ecriture. Il faut donc que l'Eglise dise quels sont les textes qui composent la Bible, cette dernière ne le disant pas.
Comme l'Eglise ne craint rien, elle qui n'a pas peur de la vérité, on peut analyser sereinement cette citation non biblique...


Ces apocryphes, ou des textes comme celui dont on parle ici, laissent supposer que l'Eglise cache quelque chose. Or elle ne cache rien, puisqu'elle révèle le Christ.

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Carlota a eu la gentillese de traduire ce commentaire scientifique reproduit sur le blog espagnol Religion en libertad, précédé (et suivi) de ses propres commentaires, dont je partage évidemment la substance.

Le papyrus des faux prophètes.

En entendant l’information de la découverte d’un papyrus parlant de l’épouse de « Jésus », dont nous abreuvent depuis peu les médias et dont se repaissent toujours les mêmes, je me suis dit : Tiens c’est reparti ! après des tentatives pour faire croire que le tombeau était vide (avec par exemple la diffusion sur TF1 en avril 2007 d’un documentaire, produit par le réalisateur de « Titanic » James Cameron, « The lost tomb of Jesus » , http://beatriceweb.eu), nous voilà aujourd'hui avec « l’épouse » de ce Jésus.
Et là, triple intérêt: le modèle des Chrétiens n’était pas chaste (cherchez la ressemblance !), les Écritures, tout au moins celles qu’« utilisent » notamment les catholiques ne seraient pas les seules donc seraient susceptibles d’être contestées, et les passionarias de l’autel auraient enfin une justification imparable à leur revendication de prêtresse catholique. Formidable, un autre « Katechon » qui saute. À qui profite le crime ? Même sans trop d’imagination on doit pouvoir se faire quelques idées. Diabolique, mon cher Watson (c'st aussi le nom du spécialiste britannique)! CQFD.

Or quoi qu’en pensent certains, beaucoup de gens sont prêts à croire n’importe quoi, soit parce qu’ils sont déjà hostiles, soit par ce qu’ils n’ont pas « bon esprit », soit parce qu’ils sont ignorants et n’ont pas les armes (connaissance basique du catéchisme par exemple) pour se défendre contre toutes les propagandes, mais aussi les pressions sociétales plus ou moins fortes (de fidèles d’autres religions aux préceptes complètement opposés, voire de ceux qui se disent athées).

Comme notre Divin Maître doit gêner pour que certains soient toujours si prompts à vouloir nous le dépeindre si banalement humain!
Mais s’il n’était que cela, pourquoi deux mille après la mort d’un agitateur, qui marchait devant une troupe de mendiants, et qui a été crucifié au fin fond d’une province romaine sans prestige, il faudrait encore qu’on parle de lui ?

Or je découvre aujourd’hui un article très intéressant de P.J. Ginés de Religión en Libertad qui explique plus précisément ce qu’il en est de ce papyrus qui parlerait de la femme de « Jésus »
(original http://www.religionenlibertad.com)

 

Le papyrus de la femme de « Jésus » : un faux moderne
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La semaine dernière, Karen King, enseignante à l’Université d’Harvard (1) a présenté un petit papyrus, acquis auprès d’un collectionneur (2) , avec 8 lignes de texte en lettres grecques et en langue copte, la langue sémitique qu’on parlait en Égypte avant qu’elle ne soit remplacée par l’arabe après la conquête musulmane.

Le texte, selon la traduction de Karen King qui a obtenu l’avis consensuel des experts, dit, ligne par ligne

1.- non [à] moi. Ma mère m’a donné la vi[e]
2.- les disciples ont dit à Jésus
3.- refuse. Marie n’en est pas digne
4.- Jésus leur a dit: Mon épouse …
5.- elle pourra être disciple pour moi
6.- que l’homme pervers se gonfle
7 .- je suis avec elle en relation avec
8.- une image

Le texte a été rendu célèbre à cause du quatrième verset: « Jésus leur a dit: mon épouse ». Jésus a-t-il eu une épouse, comme l’assurait, sans aucun argument le célèbre roman « Da Vinci code » ?

Les premières réponses donnent le papyrus pour « authentique », au moins comme première hypothèse de travail, et se concentrent sur ces argumentations :

1.- L’épouse de Jésus pourrait être l’Église, comme dans la livre de l’Apocalypse et dans la tradition chrétienne depuis de deux mille ans

2 – L’épouse de Jésus pourrait être l’âme de l’homme qui le cherche, comme dans le Cantiques des Cantiques

3.- S’il s’agit du texte d’une ancienne secte gnostique ou d’un quelconque groupe pseudo-chrétien, l’épouse peut être l’adepte gnostique qui atteint la perfection comme l’explique Franciso Varo dans le journal « La Razón » (3). Dans les écrits gnostiques, le langage relatif à l’épouse s’emploie comme symbole de la perfection acquise. Dans l’évangile de Philippe , par exemple, le mariage est un symbole de la perfection propre au gnostique, une perfection atteinte dans ce qu’on appelle sacrement (mystère littéralement) de la « chambre nuptiale », qui serait le point culminant du Baptême, de l’Onction, de l’Eucharistie et de la Rédemption. Il s’agit d’un langage symbolique qui n’implique rien au sujet du genre de vie de Jésus ».

L’épouse inexistante
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Que Jésus ait eu une épouse est à écarter et Karen King ne le soutient pas. Giovanni María Vian, expert en christianisme ancien et directeur de L´Osservatore Romano explique que « selon tous les indices historiques Jésus était célibataire. On dit clairement que Pierre était marié. Pourquoi l’aurait-on caché dans le cas de Jésus ? ».

À cela on peut encore ajouter plus de questions : où est son épouse ? Pourquoi n’est-elle pas au pied de la Croix, où sont toutes les femmes qui aiment Jésus ? Pourquoi n’est-elle pas là au moment de la Pentecôte avec Marie ? Pourquoi personne ne la mentionne-t-elle ou n'y fait allusion ? Jésus parle d’une manière élogieuse de ceux qui se font eunuques pour le Royaume de Dieu. Il parle aussi de laisser l’épouse, le père et la mère, pour aller évangéliser…mais il n’ajoute pas « comme je l’ai laissée, moi », par exemple. Tout indique que, comme le prophète Jérémie, Jésus n’a pas d’épouse et vit entièrement dans l’annonce du Royaume de Dieu.

Une falsification moderne, un copier-coller d’un texte en copte
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Une autre façon d’aborder le papyrus est, simplement, de considérer que c’est un faux. Le professeur d’exégèse du Nouveau Testament Francis Watson, de l’Université de Durham (Royaume Uni) argumente cette thèse dans une analyse de six pages en anglais que l'on peut lire ici: markgoodacre.org/Watson.pdf

D’après Watson, l’auteur du papyrus est une personne contemporaine qui a quelques connaissances de la langue copte et des papyrus mais pas beaucoup, quelqu’un qui a fait une falsification à partir d'un copier-coller : des fragments de textes coptes antiques ; plus concrètement de l’«Évangile copte de Thomas » qui a été trouvé en 1945 à Nag Hammadi, en Égypte, dans une bibliothèque ancienne pleine de textes gnostiques.

Par exemple, la première ligne est copiée du Logion (ndt: oracle, en grec) 101, page 50 de l’Évangile Copte de Thomas « à moi. Donc ma mère […] ma véritable mère m’a donné la vie ».
De fait, l’auteur de la falsification a inclus une copie de la ligne du manuscrit copte de Thomas (connu, très publié et accessible) dans une édition qui maintient les coupures de ligne.

La seconde ligne affirme : « Les disciples ont dit à Jésus ». C’est une phrase, d’après Watson qui n’apparaît jamais sous cette forme dans les évangiles canoniques, mais dans celui de Thomas.

Les lignes 3 et 4, celles qui se sont rendues célèbres [« nie. Marie n [‘en] est [pas] digne. Jésus leur a dit : Mon épouse »] sont des copier-coller du logion 114 de l’évangile de Thomas, page 51, lignes 19 et 20, qui disent : « Simon Pierre leur a dit : « que Maire nous laisse, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. Jésus a dit... »

La ligne 5 est prise dans le logion 101,49.32-36 de l’évangile copte de Thomas (« il pourra être disciple pour moi »).

La ligne 6 («que l’homme pervers se gonfle ») est « une malédiction inusitée dans la tradition de Jésus, au moins dirigée contre des personnes », signale Watson. Cela semble un écho de la tradition de l’évêque Papias d’Hieropolis (cf wikipedia avec les réserves d’usage ) du IIème siècle, qui assure que Judas n’est pas mort pendu, mais que la corde se rompit et qu’il vécut le temps d’attraper une maladie qui le fit se gonfler horriblement de pus et de vers jusqu’à en mourir. Watson commente, de toute façon, que le verbe copte peut aussi signifier «être détruit ».

La ligne 7 est une adaptation de Matthieu 28 :20 en copte (au lieu de « je suis toujours avec vous » devient «je suis avec elle »).

Et la ligne 8 est le mot « icône » (« image » en grec). Dans les évangiles canoniques c’est utilisé une seule fois quand Jésus parle des pièces de monnaies du César : « de qui est cette image et cette inscription ? ». Mais dans l’évangile copte de Thomas, il est utilisé 7 fois et bien que le copte soit une langue sémitique, elle utilise le terme emprunté au grec, « eikon ».

Un texte de collage
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L’auteur a utilisé une technique de composition de collage ou « patchwork » et son niveau de dépendance des textes coptes existants rend plus plausible de l’attribuer à un auteur moderne avec des capacités limitées pour le copte, qu’à un auteur ancien » explique Watson, qui pense que la coupure de la première ligne démontre qu’elle dépend exactement de la coupure du papyrus copte de Thomas, dont la photo est accessible dans les livres sur le sujet.

Watson est un spécialiste à l’œil critique lorsqu'il s'agit de chercher des falsifications. Il a déjà défendu la thèse (dans son article « Beyond Suspicion », de 2010) selon laquelle un autre texte connu comme « l’évangile secret de Marc », supposé découvert dans le monastère de Mar Saba (ndt voir ici) par le chercheur Morton Smith, est aussi un faux, trouvé par Smith, qui a essayé de le faire passer pour un fragment de l’évangile « caché » dont Saint Clément d’Alexandrie parle dans une lettre .

Beaucoup du « Thomas » copte
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Pendant ce temps, Karen King, celle qui a « découvert » le “papyrus de l’épouse de Jésus”, considère que cela peut être une copie en langue copte du IVème siècle d’un texte grec du IIème siècle. Cependant, Watson montre que ces lignes en copte sont tellement identiques au copte de « l’’évangile copte de Thomas » qu’il ne semble pas que ces lignes soient une traduction d’un texte original grec préalable.

L’évangile copte de Thomas n’a pas de narration ni d’action; c’est plus un recueil de phrases et de choses dites par Jésus. La moitié correspond à des variations de ce que nous connaissons dans les évangiles canoniques, et l’autre moitié est une doctrine gnostique, ou comme dit sa première phrase, «mots cachés que le Jésus vivant a prononcé et que Judas Thomas Didyme (ndt le jumeau) a écrit ». Les gnostiques étaient des sectes qui transmettaient des connaissances « cachées » à des initiés, tandis que de le christianisme enseigne tout d’une façon ouverte et pour tous.

La majorité des Experts croient que le texte de « Thomas » en grec, avant d’être transcrit en copte a commencé à circuler au IIème siècle : Hyppolite de Rome le critiquait vers l’an 230 et Cyrille de Jérusalem, critiquait au IVème siècle un « faux évangile de Thomas », écrit pas la secte des manichéens.

Commerce de faux papiers en Orient
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À tous ces doutes sur « le papyrus de l’épouse de Jésus » l’on peut ajouter les soupçons de Giovanni Maria Vian, le directeur de l’Osservatore : « il y a un commerce de faux documents au Moyen Orient », rappelle-t-il et il signale que l’écriture du papyrus est trop « personnelle » quand normalement dans ce type d’écrits elle devrait ressortir « très rigide » presque comme celle d’un texte imprimé. Vian signale en outre qu’aux Etats-Unis il y a « une intention de faire du bruit autour de cette affaire ».

Leroy Huizenga, dircteur du Centre de direction Chretien de l’Université de Maria, dans le Dakota du Nord explique sur son blogue FirstThings.com pourquoi un sujet de spécialistes en papyrologie a éclaté dans les médias les plus communs : « à une époque où l’amour se réduit à l’érotisme, trouver des personnes vierges est incroyable », et pour cela selon le chercheur, « beaucoup souhaiteraient un Jésus sexuellement actif » (ndt que cette phrase est laide. Ils salissent tout…).

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(1) Née en 1954, elle a été la première femme à enseigner dans la plus ancienne des classes de théologie,- protestante, ouverte en 1721 aux EU – voir fiche http://en.wikipedia.org/wiki/Karen_Leigh_King

(2) Voir ici l’article du NY Times http://www.nytimes.com/2012/09/19..., où il est dit que, évidemment que le collectionneur n’a pas souhaité que son nom soit révélé

(3) Francisco Varo est professeur d’Écritures Saintes, à l’Université de Navarre – Espagne.
Voir l’article ici http://www.larazon.es/noticia/8921-existio-la-esposa-de-cristo

Notes additives de Carlota

1. On peut s’étonner que Karen King, qui est sensée être une spécialiste, se soit complaisamment prêtée au jeu des photos et qu’elle n’ait pas hésité à acheter un document alors que malheureusement des personnes, peut-être pour survivre dans des pays dévastés, font du trafic de faux « vieux papyrus ».

2. Bien des gens ont intérêt à voir se diffuser ce genre d’informations et je crois que Leroy Huizenga est trop gentil en n’y voyant qu’une incompréhension devant la vertu de chasteté

3. Parler dans le monde entier d’un texte rédigé en copte (à la teneur pour le moins douteuse) tranquillement depuis les Etats-Unis, pour se faire de la publicité (que Karen King ait compris ou non que cette publicité dépassait largement l’intérêt du bout de papier stricto sensu) n’est pas vraiment opportun en ce moment. Cela risque en effet de laisser planer une suspicion sur les dogmes et la foi de nos frères égyptiens coptes (d’une manière générale) qui n’ont vraiment pas besoin de cela.

4. Néanmoins cette affaire lamentable permet de mieux comprendre ce que sont ces sectes des gnostiques, ces faux évangiles et ce texte dit de Thomas qui a circulé mais avait déjà été signalé comme un faux dans les premiers temps du christianisme, alors que le travail d’évangélisation de l’apôtre Thomas, avait déjà porté ses fruits en Inde.

5. C’est donc pour cette année de la foi, une bonne leçon pour nous plonger ou replonger dans ce que nous enseigne l’Église, pour ne pas être pris de court quand quelqu’un en face de nous, même plein de diplômes, nous sort des absurdités, sous couvert d’un « scientisme idéologique ». C’est aussi un appel pour que les catholiques, et plus largement les chrétiens suivent le bon chemin, pour se prémunir de tous les faux prophètes et les « charlatans » qui ne veulent que nous diviser toujours plus, et plus encore l’Église catholique, leur bête noire, qui autour du successeur de Pierre et malgré les imperfections humaines, a essayé le moins mal possible de rester une.