Un "décryptage" inopportun

sur le blogue "Paposcopie": à propos de la lettre de Noël du petit Joseph Ratzinger. Il n'est pas nécessaire de faire passer Maria Ratzinger pour Cosette, et de prétendre qu'elle a fait des ménages pour payer les études de ses frères! (26/12/2012; mise à jour, cf. Le petit autel de mon enfance )

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Cf. La lettre du petit Joseph à l'Enfant Jésus
>>> Quand Benoît XVI écrivait à l'enfant Jésus, par Jean Mercier (http://www.lavie.fr)

     

J'ai de la sympathie pour Jean Mercier. Il tient sur La Vie (donc un journal où il est impossible de s'avouer papophile convaincu, sauf à passer pour un bénit-oui-oui qui n'a pas sa place chez les catholiques "intelligents" que sont ses lecteurs [1]) un blogue "Paposcopie", sous titré "Décrypter Benoît XVI", qui contient de très belles pages.
Preuve que je l'aime bien, il figure parmi ce que j'appelle mes "sites amis" (m'étonnerait beaucoup qu'il me rende la pareille, mais je ne suis pas rancunière!!).
Je n'aime pas beaucoup l'utilisation du mot "décrypter" [2] dans la presse d'aujourd'hui qui systématiquement, loin de découvrir ce qui est caché, cache ce qui est découvert; appliqué au Saint-Père, il me laisse encore plus perplexe; bien sûr que si l'on veut connaître un peu une personnalité aussi hors-normes, il faut aller au-delà de la surface, mais ce qu'on peut déjà demander à la presse honnête, c'est de le respecter, de le montrer tel qu'il est et de diffuser son enseignement largement, et sans le déformer, chose que le journal pour lequel travaille Jean Mercier ne fait pas toujours (la pétition "pas de négationiste dans l'Eglise" - qui était bel et bien contre le Pape et sa décision, et pas contre l'obscur Williamson - me reste toujours en travers de la gorge!!)... passons, là encore.

Donc, autour d'une anecdote particulièrement belle dont il a été question dans ces pages "la lettre écrite à l'Enfant Jésus par le petit Joseph Ratzinger en 1934", Jean Mercier s'est effectivement employé à "décrypter" (http://www.lavie.fr).
Il insiste même, précisant, à propos de l'adorable message enfantin, où le petit gaçon de 7 ans réclame une chasuble verte pour "jouer" à la messe, et le missel classique de l'époque: "Voilà qui est aussi crypté qu’un message de gamin de 2012 signalant au Père Noël les références d’un jeu numérique... ".

Parlant de n'importe qui d'autre que de Benoît XVI (déjà tellement méconnu, et pour cela, attaqué, surtout en France), j'aurais sans doute trouver cette boutade amusante, et le reste de l'article plutôt bien troussé.
Il y a même un peu plus loin de très beaux accents, lorsqu'il écrit par exemple: Depuis l’enfance, Ratzinger est prêtre dans toutes les fibres de son imaginaire, de son affectivité.

Mais le reste... ce n'était vraiment pas nécessaire.
Pas nécessaire, d'abord, de noyer sous un flot d'érudition théologique (allant jusqu'à débattre du sacerdoce réservé aux hommes, un sujet qui me semble avoir peu de rapport avec la vocation de Benoît XVI... il semble que tout est bon pour ramener l'intérêt vers les sujets qui divisent) une histoire toute simple, qui ne s'adresse pas en priorité aux catholiques "intelligents" mais à ceux qui ont gardé une âme d'enfant.
Plus que "décrypter", Jean Mercier s'est employé à démythifier, un peu comme ces gens qui, le matin de Noël nous expliquent que la Nativité n'est en fait qu'un recyclage tardif de la fête païenne du Solstice d'hiver.

Je lis dans son article:

A cette époque, il n’est pas rare que des jeunes garçons jouent au curé, revêtant des habits confectionnés par leur mère ou la couturière familiale, avec des autels miniatures et tout le matériel liturgique approprié. C’est la version masculino-pieuse de la dinette. De tels jouets apparaissent dans les catalogues des marchands de jouets jusque dans les années 40. Dans des pays catholiques, il y a alors un marché pour ça.
Des
milliers (!!!) de garçons ont ainsi joué au prêtre étant enfants. Mais à l’adolescence, ils ont jeté patène, calice et surplis aux orties...

Ah bon!
Pourtant, même son frère, abondamment interrogé par la presse de son pays, et suffisamment gentil pour répondre aux questions les plus impertinentes, n'a jamais évoqué cette "coutume" de l'époque.
Tout cela est-il vrai?
Je ne sais pas, mais ce serait bien que l'auteur nous donne des preuves (3).

Mais le pire est à venir. Nous lisons en effet:

En 1939, alors que Joseph entre au petit séminaire, sa soeur aînée Maria arrête ses études et se met à faire des ménages pour que les parents puissent payer ses frais de scolarité au séminaire. Impensable de nos jours, même dans une famille super catho.

Mine de rien, c'est une flèche, certes molle, mais d'autant plus redoutable qu'elle sera lue par des sceptiques, contre notre Pape.
Il n'y a aucun sot métier, comme le dit la sagesse populaire - et le "sacrifice" de Maria n'en serait que plus beau. Mais je n'ai lu nulle part que ses parents l'avaient contrainte à "faire des ménages" pour financer les études de ses frères (mais par contre, la maman a fait des saisons comme cuisinière dans de grands hôtels).
Je lis dans les mémoires de "Joseph, cardinal Ratzinger" (Ma vie, souvenirs, 1927-1977, page 30):

Ma soeur, après le collège et l'année obligatoire pour les filles occupa en 1939 (ndr: elle avait donc 18 ans, ce qui était tard pour l'époque, pour rentrer dans la vie active) un poste de bureau dans une grande boutique de Traunstein, allégeant ainsi le budget familial.

Comme me l'écrit Monique:

Ce n'est pas très grave mais je supporte mal qu'à cause d'une approximation, on ternisse la réputation de la famille Ratzinger et donc de Joseph.
Jean Mercier écrit généralement de très bons articles mais, dans ces lignes, il prétend qu'à l'entrée de Joseph au séminaire (ce qui était coûteux pour la famille), sa soeur Maria a dû abandonner ses études et faire des ménages.
Voilà donc une famille machiste, nullement exemplaire, sacrifiant la fille aux deux garçons! Je n'ai rien vu de tel dans les documents que j'ai pu lire: ni abandon d'études, ni "ménages". Joseph dit seulement que sa soeur a travaillé comme secrétaire chez un avocat. ...

* * *

[1] Jean Mercier utilise d'ailleurs moult précautions rhétoriques pour ne pas les froisser, comme par exemple lorsqu'il écrit:
J’entends déjà frémir mes amis protestants, et beaucoup de mes amis catholiques, pour qui l’identification entre la personne du pape et le Christ est une horreur théologique. On est, selon eux, en pleine idolâtrie.

[2] Du préfixe français « dé- » et du grec ancien kruptos, « caché ».

[3] Un lecteur Jean m'apporte quelques éclaircissements très intéressants que je reproduis, ainsi que des images de petits autels pour enfants trouvés sur internet: la première image est issue du catalogue d'une salle de ventes parisienne spécialisée dans les jouets anciens - fort intéressant, par ailleurs - et la seconde d'un site canadien: (il est bien sûr très improbable que les enfants Ratzinger aient reçu des jouets aussi luxueux...)

Le petit autel de mon enfance

... et de celle de mon père.
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Jouer au prêtre était normal quand on avait la chance d'avoir dans la famille des religieux et religieuses. Mon père avait une grande tante Supérieure des filles de la charité, qui lui avait offert un petit autel en bois et un petit meuble avec tous les ornements liturgiques, en soie et satin et velours, et aubes, surplis etc de la taille d'une barbie actuelle, porte manteau et tout le matériel en étain, burette, calice, patène, et encensoir. Que d'apres midi y ai je-joué ! et il datait des années 1937... des saluts du Saint-Sacrement aux messes en passant par les pressage d'hosties...dans un petit moule...

oui, cela existait, et aidait a la formation des clercs, des enfants de choeur etc ... merveille de l'enfance où une mère pouvait evoquer le mystère du prêtre.