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Pierre, garant de la liberté

Dans son dernier billet, JL Restàn s'interroge sur la conception de la papauté de François, notamment en ce qui concerne la primauté de Pierre avec les conséquences posibles en terme d'oecuménisme. Traduction de Carlota (12/4/2013)

     

Pierre, garant de la liberté
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Après un mois vertigineux, le pape François a conclu un premier bout de son chemin. La simultanéité avec les célébrations de la Semaine Sainte et de Pâques lui a permis de centrer son premier magistère sur le cœur de la foi chrétienne : Jésus mort et ressuscité pour sauver chaque homme. Il a réalisé beaucoup de gestes qui dévoilent son tempérament missionnaire et son style de pasteur décidé à être près de son peuple. Il a tressé son efficace communication avec les fils de la miséricorde, de la croix et de la vigueur apostolique. Mais son gouvernement a commencé à peine, et l’impressionnante attente suscitée agrandit, si c’est possible, les logiques interrogations.

L’une d’elles fait référence à la façon dont François exercera son ministère comme successeur de l’apôtre Pierre.
La question de la modalité n’est pas de peu d’importance: Jean-Paul II, dans son encyclique Ut unum sint (1), a esquissé le défi de la recherche d’une forme d’exercice de la primauté qui, sans renoncer à l’essentiel de sa mission, puisse être reconnue et acceptée par tous les chrétiens. Dans la conscience des derniers papes, le paradoxe que le ministère de Pierre, service essentiel pour la foi et l’unité de l’Église, explicitement voulu par le Seigneur, mais aussi pierre d’achoppement pour beaucoup de chrétiens, a toujours été présent.

Dès son premier salut François a voulu souligner avec force sa condition d’évêque de Rome, rappelant avec la célèbre phrase d’Ignace d’Antioche que ce siège « préside dans l’amour toutes les Églises ». Il a voulu aussi souligner que le pouvoir reçu par Pierre du Seigneur ne peut s’exercer que comme un service. Un soulignement, bien sûr, que Benoît XVI avait réalisé aussi lors de sa prise de possession de la chaire de Saint Jean du Latran et que Jean-Paul II avait fait sien dans l’encyclique mentionnée. Mais, quel est la signification précise de cette fonction du siège romain, reconnue déjà dès le premier siècle ? Dans le fond, depuis plus d’un siècle les papes ont essayé d’approfondir cette question, ils se sont efforcés de dépouiller le ministère pétrinien d’adhérences temporelles, d’incrustations malsaines et d’inerties historiques.

Le texte inédit de Joseph Ratzinger qu’a publié L´Osservatore Romano lundi dernier (De Vatican I à Vatican II) est significatif, dans ce qu’il expliquait comment le Concile Vatican I a mis en lumière la dimension spirituelle d’une papauté libre des gangues temporelles, et « l’a de nouveau défini en partant de la suite du Christ, privé de pouvoir terrestre, de la même façon que Pierre le pêcheur l’avait suivi, sans aucun pouvoir, jusqu’à sa crucifixion à Rome ». Il convient d’avoir présente cette perspective quand il y a tellement qui décrivent la première trame de François comme une rupture avec les pontificats antérieurs.

Certains font l’ébauche ces jours-ci, dans les journaux ou dans des tribunes de spécialistes, d’une primauté dans la foi et la charité qui s’exprimerait comme service et non comme juridiction. Je ne prétends pas exposer une thèse mais aborder une question transcendantale pour chaque chrétien et pour l’ensemble de l’Église.
Jean-Paul II avait déjà averti que la fonction d’assurer la communion serait illusoire si l’évêque de Rome se voyait privé du pouvoir et de l’autorité qui lui sont propres. Pour sa part Benoît XVI soulignait avec une efficacité toute spéciale : « Présider dans la doctrine et présider dans l’amour doivent être une seule chose : toute la doctrine de l’Église, en somme, conduit à l’amour ». Dans son livre mémorable Le complexe antiromain, Urs von Balthasar détruit sans états d’âme l’éternelle prétention de vider de sa substance le ministère de Pierre en le réduisant à un supposé service, artificiellement opposé à la juridiction.

Dans le dynamisme même de la rénovation dans la continuité, François cherchera son propre style et c’est très possible que sous son pontificat se produisent de nouveaux pas dans la direction que montrait l’encyclique Ut unum sint. Le pontificat de Benoît XVI, avec sa conception profondément évangélique et ses gestes innovateurs, a certainement préparé le chemin. Durant ses presque huit années il a expliqué et montré sans cesse que le pape n’est pas un souverain absolu dont la pensée et la volonté se transforment en loi. Au contraire, le ministère de Pierre est la garantie de l’obéissance au Christ et à sa Parole. Ici la continuité entre François et Benoît se fait évidente bien au-delà des styles et des tempéraments : le pape ne prétend pas imposer ses propres idées mais il se sait uni à la grande communauté de la foi de tous les temps, son pouvoir n’est pas au dessus, mais au service de la parole de Dieu, et il a la responsabilité de faire que cette Parole continue à résonner dans toute sa pureté face à la frivolité, la mode et le mensonge. Un ministère que le pape François exerçait en toute clarté ces jours-ci en rappelant « que la foi ne se vend ni se prête à des compromis » parce que comme Pierre « nous ne pouvons nous taire face à ce que nous avons vu et entendu ». Dans l’histoire du peuple de Dieu il a toujours existé la tentation d’éliminer une partie de la foi, signalait François, mais « la foi est telle que nous la confessons dans le Credo ».

Pour finir. Il est compréhensible que les orthodoxes et les réformés considèrent avec espoir ce déjà long chemin de la papauté, mais il serait souhaitable qu’ils se déplacent aussi dans la direction de l’Église indivise du premier millénaire.
Et quant au climat que sont en train de créer certains intellectuels catholiques, fasse que nous n’ayons pas besoin qu’un nouveau Vladimir Soloviev (2), peut-être arrivé d’Orient, ait à nous rappeler que Rome est, pour tout chrétien, la condition de la liberté.

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Ndt:
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(1) Wikipedia: Ut Unum Sint (Qu'ils soient un) est une encyclique du pape Jean-Paul II publiée le 25 mai 1995 dont le titre rappelle la prière de Jésus dans l'Évangile selon Jean (17:21-22). Ce texte traite des relations de l'Église catholique romaine avec l'Église orthodoxe et les autres communautés chrétiennes et est devenu une des bases du dialogue œcuménique. Il s'agit d'ailleurs de la première encyclique papale consacrée à cette thématique.

(2) Penseur et poète russe laïc mort en 1900 qui s’était converti au catholicisme (via la branche gréco-catholique). Certains comparent son cheminement vers le retour à Rome à celui du cardinal Newman. Je ne sais pas comment il est vu dans l’actuelle Russie et un certain milieu politique qui souhaite appuyer la renaissance du pays sur une légitime fierté nationale mais qui prend aussi en compte la spécificité « Nouvelle Rome » de Moscou.

Il a été question de lui à plusieurs reprises dans ces pages : http://tinyurl.com/c32jprn
Il est surtout l’auteur de « Un court récit sur l’Antéchrist » : le cardinal Giacomo Biffi s’en était inspiré dans ses méditations de Carême devant Benoît XVI en 2007. (voir ici: beatriceweb.eu/Blog)

Le 27 février, au cours de son homélie, le Cardinal a cité ce qu'il a appelé "l'avertissement prophétique" de Soloviev:

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"L'enseignement du grand philosophe russe - a-t-il dit - est que le christianisme ne peut pas être réduit à un ensemble de valeurs. Ce qui fait en effet le chrétien, c'est la rencontre personnelle avec le Christ. Mais des jours viendront où, dans la chrétienté, on tentera de réduire le fait du salut à une simple série de valeurs."
Le Cardinal a cité la dernière oeuvre de Soloviev: "Les Trois Entretiens" en faisant observer que l'Auteur avait prophétisé les tragédies du XXème siècle.

Dans "Les Trois Entretiens", Soloviev présentait l'antéchrist comme pacifiste, écologiste et œcuménique: il convoque un concile œcuménique, et cherche le consensus de toutes les confessions chrétiennes, en concédant quelque chose à chacun. Les masses le suivent, excepté des petits groupes de catholiques, d'orthodoxes et de protestants qui lui disent: "Tu nous donnes tout, excepté ce qui nous intéresse: Jésus-Christ".

Ce récit contient un avertissement: aujourd'hui, nous courons en effet le risque d'avoir un christianisme qui met Jésus, sa Croix et sa Résurrection, entre parenthèses. Certes, si l'on se limite à parler de valeurs partagées, nous serons bien plus acceptables dans les émissions télévisées et dans les salons. Mais cela reviendra à renoncer à Jésus, à la réalité bouleversante de la résurrection.
Tel a été l'avertissement de Soloviev aux chrétiens de notre temps. Le Fils de Dieu ne peut pas être traduit par une série de projets homologables par la mentalité mondaine dominante. Cela ne signifie pas une condamnation de ces valeurs, dans la mesure où elles sont soumises à un discernement attentif.
Il existe des valeurs absolues comme le bien, le vrai, le beau. Qui les perçoit et les aime, aime aussi le Christ, même s'il ne le sait pas, parce que Lui est la Vérité, la Beauté, la Justice. Et puis il y a les valeurs relatives comme la solidarité, l'amour de la paix, et le respect de la nature. Si on les absolutise, en les déracinant ou même en les opposant à l'annonce du fait du salut, alors, ces valeurs deviennent des instigations à l'idolâtrie, et des obstacles sur le chemin du salut. Si pour s'ouvrir au monde et pour dialoguer avec tous, le chrétien se croit obligé de mitiger le fait salvifique, il empêche la connexion personnelle avec le Christ, et il se retrouve du côté de l'antéchrist. Avis à ceux qui, au cours des "messes patchwork," célèbrent autre chose que la mort et la résurrection du Christ, et font chanter aux assemblées autre chose que les textes de la liturgie.