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Questions sur "le Pape du peuple"

Roberto De Mattei fait partie de ces " catholiques ennemis du pape François " (1) dénoncés par certains médias. Il est interviewé par Il Foglio.(13/8/2013)

     

People’s Pope, un réquisitoire


Une interviewe du Professeur Roberto de Mattei
Matteo Matzuzzi (Il Foglio)
2 août 2013
(Original en italien, ma traduction)
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Mocassins (pantoufles) rouges, sacoche noire avec le rasoir et le bréviaire, voiture non blindée. « Désormais nous sommes réduits à évaluer un Pape à partir de ces éléments, d'un discours en avion, plutôt que des actes du magistère, dit à "Il Foglio" l'historien Roberto di Mattei, préoccupé par le fait que le Pontife devient « un personnage de magazine, de talk-show ».

« Aujourd'hui, tout devient superficialité, gestualité, et c'est sur ce terrain qu'on va chercher le sens ultime des choses. Perdant les contenus et la substance, on discute de la forme, qui finit par devenir elle-même substance », ajoute-t-il. Il suffit de comparer avec l’accent mis sur sa première encyclique 'Lumen Fidei': Paradoxalement, on a souligné davantage ce qui a été dit en avion que le contenu de ce texte. Et pourtant, entre les deux, il y a un abysse ».

De Mattei n'est pas impressionné par la conversation tenue par François avec les journalistes à bord de l'airbus qui le ramenait à Rome après la semaine passée à Rio avec les jeunes, les pauvres, les derniers. Plus que de la conférence de presse en vol « il faudrait discuter des actes de gouvernement du pape, même s'ils sont encore peu nombreux. Les pontifes s'expriment avec les encycliques et les motu proprio. Les paroles en avion prennent le temps qu'elle trouvent, ce sont des opinions a braccio et personnelles, totalement dépourvues du caractère magistériel ». Certes, admet notre interlocuteur, « elles sont intéressantes pour construire le personnage, mais elles restent de toutes façons des aspects marginaux ».

Prenons par exemple les affirmations sur les gay, ou ceux sur la Sainte Vierge, qualifiée par le Pape de « plus importante que les apôtres, les évêques, les diacres et les prêtres »: pour De Mattei, « ce sont des thèmes délicats et importants qui ne peuvent être construits qu'à l'intérieur d'un discours du magistère, et non pas réduits à des boutades. Les boutades peuvent être significatives, mais elles restent privées de valeur ».
Des phrases impromptues, spontanées, qui peuvent créer des malentendus, surmontables si c'est l'homme du commun qui les a créés, problématiques s'ils sortent de la bouche du vicaire du Christ: « Lisant les commentaires sur ce qu'a dit Bergoglio à propos des gay, on semblait presque être devant un changement doctrinal. Et pourtant, en prenant le texte complet des affirmations de François, on se rend compte que c'est lui-même qui a basé ses affirmations sur la doctrine catholique ». Il s’agit de comprendre où est mis l’accent, et en référence au jésuite choisi au bout du monde, l’accent est mis sur le changement: « un changement de style, une révolution dans les gestes et dans le langage » qui pour De Mattei finit par « prendre le pas sur le plan doctrinal ».

La forme exprime un contenu, ou au moins devrait le faire. Le problème se produit quand « les contenus sont perdus, mis de côté, égarés. Dans ce cas, on discute d'une forme devenue vide. Indépendamment de la dimension sacrée de la Papauté - poursuit De Mattei - voici que la pantoufle rouge devient une extravagance ». C'est aussi un peu la faute des médias: « Moi, je m'en moque, que le Pape aille en Fiat 500 ou en Mercedes. Si je me trouvais devant un Saint Pie X, cela ne me gêneraitpas qu'il porte des vêtements reprisés».
L'important est ailleurs, c'est «la réduction de la position du Pape à de simples gestes», sans vraiment s'occuper de la substance.

Mais François, dit De Mattei, « n’est ni un sot, ni un ingénu. Il pense à ce qu'il fait, et il a choisi de confier son message davantage aux gestes qu'aux paroles, et davantage aux paroles personnelles qu'aux actes magistériels ». La crainte, toutefois, c'est que sur le plan médiatique, « le pape ne joue avec le feu, que de son côté, il y ait l'idée de réussir à dominer le monde de la communication. Cela non plus n'est pas de l'ingénuité, mais peut-être l'évêque de Rome surestime-t-il ses capacités politiques de faire face à la réalité de la communication».

Et dans le monde d'aujourd'hui «on a besoin d'esprit surnaturel plutôt que de calculs politiques ou médiatiques. Ma crainte - poursuit notre interlocuteur - c'est qu'à force de se présenter comme un homme ordinaire, il le devienne vraiment. Mais il est le vicaire du Christ, un facteur qui ne peut pas être occulté. Pantoufles et sedia gestatoria avaient le mérite d'exprimer, peut-être de manière erronée, cette valeur de sacralité revenant au vicaire du Christ », explique De Mattei.

Mais si le pape «se promenait en clergyman, comme du reste le cardinal Bergoglio avait l'habitude de le faire à Buenos Aires, quel message donnerait-il?». Le point fondamental, qui ne peut donner lieu à méprise, c'est que le pape «n'est pas un homme comme nous, et cette humanisation de la papauté conduit à en oublier le fondement divin et métaphysique».

Pour l'historien du christianisme, la conséquence de ce processus de sécularisation est l'élimination des barrières au réseau magistral: « Quand les paroles du Pape deviennent celles d'un homme ordinaire, toutes les critiques deviennent licites. Quand la vérité est réduite à une opinion, quand les contenus sont perdus quand on ne parle plus de valeurs non négociables, tout devient négociable, tout devient objet de discussion». Un parcours qui «conduit l'Eglise à se protestantiser. C'est le risque que je vois», explique De Mattei.

Même sur la question de l'Église pauvre proche des derniers, missionnaire vers les banlieues existentielles, notre interlocuteur avance quelques doutes: « J'ai été très frappé qu'un pape qui se réclame de saint François, parce que dans le moine d'Assise , il voit un modèle de vie, qui fait des rappels continuels contre la mondanité spirituelle et en faveur de la sobriété des gestes, ait de fait approuvé la décision de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée présidée par le cardinal brésilien Joao Braz de Aviz de frapper les Franciscains de l'Immaculée ».

S'il y a une congrégation religieuse qui vit de l'esprit évangélique, c'est bien celle-là, dit De Mattei. «Ce sont des épisodes déconcertants, si l'on pense que, tandis que l'on fait des références continuelles à la simplicité évangélique, la Curie, avec ses structures, est inchangée. Le couperet tombe sur les petits, les derniers, sur les fidèles à la tradition. Si François veut se pencher vers les derniers, il n'a pas à aller loin, mais il lui suffit de rencontrer les nombreuses communautés de fidèles qui restent obstinément attachés au Magistère, à la morale éternelle. A ces maltraités par leurs évêques, par les dicastères de la Curie, isolés et diabolisés. Rechercher le plus éloigné en oubliant le plus proche est une fausse idée de l'amour».

De Mattei précise ne pas vouloir discuter le fait que le Pape s'adresse aux périphéries, aux plus éloignés. Plus qu'autre chose, nous devons toujours nous rappeler que «la route pour rejoindre les plus éloignés passe les plus proches, et il n'y a pas de raccourcis possibles. Et les proches, aujourd'hui, ce sont les catholiques attachés à la tradition. S'il y a quelqu'un qui a besoin de miséricorde et de tendresse (mots utilisés par François à Rio), ce sont bien eux».

     

Note

(1) Matraquage, intimidation et... copié-collé.
On est vraiment touchés - mais aussi surpris - de voir avec quel bel ensemble les médias du système défendent François contre les boucs-émissaires désignés, et quel zèle ils déploient à cette fin.
C'est inédit!
L’envoyé spécial à Rome du Point (cf.www.lepoint.fr/monde/vatican-ces-catholiques-ennemis-du-pape-francois-08-08-2013...), reprend le 8 août, presque mot pour mot, un article publié le 6 par Paolo Rodari sur La Repubblica, reproduit ici et dont j’ai parlé ici : Haro sur les tradis .

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