Moyen Orient: la patience et la Croix
José Luis Restàn revient sur le voyage du Saint-Père à Chypre, en particulier sur les thèmes cruciaux de la patience et de la Croix. Traduction de Carlota. (10/6/2010)
Moyen Orient (*): La patience et la Croix
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Elle est curieuse, cette réitération du Pape à Chypre sur la vertu de la patience. Ce fut la catégorie centrale de son extraordinaire colloque avec les journalistes à bord de l’avion, mais aussi à d’autres moments de la visite. Patience pour disposer les cœurs à la paix, à travers un processus de changement et de maturation ; patience pour nous rencontrer avec les frères orthodoxes après les malentendus du passé ; patience en somme, pour vivre la foi en pleine conscience, dans un environnement comme celui du Moyen Orient, qui devient chaque jour plus dur pour les chrétiens. Ces appels de Benoît XVI s’insèrent dans la forme religieuse avec laquelle il affronte tous les problèmes depuis la crise de Gaza jusqu’à l’occupation du nord de Chypre ou la défense des droits des minorités. « La paix est une parole du cœur de la foi » a dit-il d’une manière si belle, « ce n’est pas un ajout politique à notre activité religieuse ». Et à un autre moment, en parlant de la crise en recrudescence entre Israéliens et Palestiniens, il soutient que « nous devons imiter la patience de Dieu », une patience que ne se comprend qu’à la lumière de l’incarnation, de l’histoire que Dieu a voulu partager avec l’homme. Et là apparaît un autre élément à souligner du voyage qui peut paraître mystérieux dans un premier temps.
Il est évident que l’église paroissiale latine de Nicosie est dédiée à la Sainte Croix, mais je ne crois pas que ce fut le principal motif pour lequel Benoît XVI a consacré son homélie aux prêtres, religieux, catéchistes et membres des mouvements ecclésiaux, au thème de la croix. Une homélie essentielle dans laquelle il est parti de l’affirmation provocatrice que « l’homme ne peut pas se sauver de lui-même des conséquences de son péché, il ne peut pas se sauver de lui-même de l’esclavage moral et physique, ni de la mort ». C’est ce point dramatique où l’annonce chrétienne surprend l’homme loyal avec sa propre expérience. Dieu lui-même a voulu rompre ce nœud gordien, et il l’a fait d’une manière plus inattendue et surprenante : non pas avec la puissance supérieure mais avec la faiblesse de la croix. « La croix, dit le Pape, au moment culminant de son homélie, parle à tous ceux qui souffrent, - les opprimés, les malades, les pauvres, les marginaux, les victimes de la violence, et leur offre l’espérance que Dieu peut changer leur douleur en joie, leur isolement en communion, leur mort en vie. Il offre l’espérance illimitée à notre monde déchu. Pour cela, le monde a besoin de la croix ».
Certainement, on peut lire cet extrait comme une argumentation en faveur de la présence de la croix dans l’espace public, mais c’est beaucoup plus. Il s’agit d’un appel au nœud le plus dramatique de l’histoire humaine : sans Dieu l’humain ne se sauve pas, sans le Dieu fait homme, sans Jésus qui souffre, meurt et ressuscite, le cycle infernal de la violence n’aurait pas de fin. « Un monde sans croix serait un monde sans espérance, un monde dans lequel la torture et la brutalité n’auraient pas de limite, où le faible serait subjugué et l’avidité aurait le dernier mot. L’inhumanité de l’homme envers l’homme se manifesterait d’une manière encore plus horrible ». Vraiment le Pape n’apportait pas à Chypre un message politique (« Nous n’offrons pas notre propre sagesse au monde, nous ne proclamons aucun de nos mérites ») mais l’annonce de l’Évangile qui change les relations personnelles et sociales, jusqu’en arriver même à changer la perspective politique. C’est impossible de comprendre les références du Pape à la patience sans la racine de la croix, ou soit, sans le Dieu qui s’injecte dans l’histoire, comme homme, en souffre et la transforme. C’est la patience que le Successeur de Pierre ose demander aux chrétiens qui vivent sur la terre des prophètes, des patriarches, des apôtres et des martyrs, la terre que foulèrent les pieds de Jésus. Ce sont des chrétiens qui supportent journellement la preuve pesante de l’isolement, de la discrimination et de la violence, et cependant ils sont des artisans de paix, ils contribuent activement à construire le bien commun et fréquemment ils constituent un point décisif de la conscience civile des sociétés dont ils font partie. Depuis Chypre, Benoît XVI a haussé la voix avec fermeté pour que « tous vous droits, y compris le droit à la liberté religieuse et de culte, soient chaque fois plus respectés et que jamais plus vous ne souffriez d’aucune sorte de discrimination ».
Le prochain Synode des Évêques pour le Moyen Orient doit offrir un sens et un corps, chair et os, à cette proclamation du Pape. Ce sera un espace de communion et de dialogue, une occasion de visibilité et de cohésion, une fenêtre ouverte au grand monde qui fréquemment ignore et marginalise le drame de ces chrétiens héroïques. « Vous méritez la reconnaissance pour le rôle inestimable que vous réalisez », leur a dit le Pape. Dieu veuille qu’avec le soutien de l’Église universelle vienne aussi le moment d’abandonner les inerties et les méfiances mutuelles séculaires, le moment d’abandonner le rôle de minorité tolérée ou protégée, pour assumer le rôle principal de l’histoire.
Elle en a besoin, l’Église, pour sa mission, il en a besoin, l’islam aussi (pour ne pas succomber à la séquestration et à la dégénération de la violence), elle en a besoin la région tout entière pour couper court au cycle de l’affrontement et de la vengeance. Le Pape l’a rappelé aussi face à la compréhensible tentation de l’émigration et de l’exil : « dans des situations de ce genre, un prêtre, une communauté religieuse, une paroisse qui se maintient ferme et continue à donner le témoignage du Christ est un signe extraordinaire d’espérance, non seulement pour les chrétiens mais aussi pour tous ceux qui vivent dans la région ».
Et s’il arrivait qu’un jour ils manquent, s’ouvrirait un silence terrible.
(*) Ndt : Précision sémantique - Le terme Moyen Orient (utilisé tout d’abord par les Anglo-saxons) est désormais préféré aux termes plus précis de "Proche Orient" et de "Moyen-Orient" qui ne regroupent pas exactement les mêmes zones. J’ai donc repris le terme général utilisé par l’auteur, considérant qu’il parlait du Proche et du Moyen Orient.