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La "Cour des Gentils" de Benoît XVI

Par le Père Scalese (31/12/2010)

Quatrième volet de la série d'articles consacrés par le Père Scalese aux orientations du Pontificat de Benoît XVI, dans la revue de son ordre, "L'eco dei barnabiti", après les trois premiers déjà traduits:

A propos de "Benoit XVI et le dialogue interreligieux", voir aussi: http://benoit-et-moi.fr/2008/.. (en particulier, un article de John Allen, datant de novembre 2008.
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Article publié dans le numéro 4 / 2010 (Octobre-Décembre 2010) de l'Eco dei Barnabiti , rubrique "Observatoire ecclésial"
Texte en italien: http://querculanus.blogspot.com/2010/12/il-cortile-dei-gentili.html
Ma traduction.

Une des choses qui ont le plus caractérisé le pontificat de Jean-Paul II a été, sans aucun doute, les deux jours de prière pour la paix qui se sont tenues à Assise en 1986 et 2002 respectivement. Il semblait que ces rencontres avaient ouvert une nouvelle ère dans l'histoire de l'Eglise. On a parlé de l '«esprit d'Assise» comme d'une nouvelle façon d'être, qui aurait dû marquer à partir de là le chemin de l'Église.

A ces rencontres, était absent l'un des prélats les plus influents de la Curie romaine, rien de moins que le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Joseph Ratzinger. Il ne cachait pas ses doutes sur l'opportunité de ces initiatives, qui auraient pu constituer une sorte de légitimation de la vision relativiste selon laquelle toutes les religions se valent. Dans le cas de la deuxième journée, il avait au moins obtenu que les membres des différentes religions ne prient pas ensemble, mais chaque groupe séparément. Le 19 avril 2005 Joseph Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI; et depuis lors, comme c'était prévisible, il n'y apas eu de nouvelle journée d'Assise. Des rencontres similaires, qui ont pourtant eu lieu ces dernières années, ont été promues par certains groupes de l'Église de base (par exemple, La Communauté de Sant'Egidio).

Le cardinal Ratzinger avait exprimé des réserves aussi à propos du dialogue interreligieux, réserves qu'il a confirmées après son élection au pontificat suprême. Il l'a fait non pas dans un document officiel, mais dans une lettre privée (cf. http://benoit-et-moi.fr/2008/...), adressée au sénateur Marcello Pera, qui l'a publiée au début de son livre "Pourquoi nous nous appelons chrétiens" (Mondadori, Milan, 2008). Dans cette lettre, le Pape affirme avec une grande lucidité:

"Le dialogue interreligieux au sens strict du terme n'est pas possible, alors que le dialogue interculturel qui approfondit les conséquences culturelles de la décision religieuse de fond s'avère urgent. Tandis que sur cette dernière, un vrai dialogue n'est pas possible sans mettre sa foi entre parenthèse, il est nécessaire d'affronter dans le débat public les conséquences culturelles des décisions religieuses de fond. Ici, le dialogue et une mutuelle correction, sont un enrichissement réciroque et sont possibles et nécessaires."

À proprement parler, donc, selon Benoît XVI, un dialogue interreligieux qui aurait des prétentions théologique n'est pas possible, parce qu'il serait voué à la stérilité: sur quoi peut-on se mettre d'accord quand, sur le plan théologique, on n'a rien en commun?
Le dialogue œcuménique avec les frères chrétiens non-catholiques est différent: dans ce cas, nous avons quelque chose qui nous unit (la même foi), mais s'il peut y avoir de nombreux points, même assez importants, qui nous séparent. Avec les autres religions, on ne peut pas dire que nous partageons le même Dieu (question également problématique en ce qui concerne les religions dites "monothéistes"; imaginons, alors, quand il s'agit de dialogue avec les religions orientales); il ne suffit pas d'être contre l'athéisme ou l'indifférentisme contemporains pour trouver un point commun avec d'autres traditions religieuses.

Le fait qu'un dialogue théologique avec les autres religions ne soit pas possible, ne signifie pas que nous ne pouvons établir aucun type de dialogue avec elles. C'est pourquoi Benoît XVI parle de «dialogue interculturel»: c'est précisément au niveau culturel ou, si vous voulez, rationnel qu'il est possible de rencontrer ceux qui ne partagent pas notre foi.
Dans sa lettre au sénateur Pera, le Pape appelle à un "débat public" sur les "conséquences culturelles des décisions religieuses de fond": chaque religion, d'origine, a sa culture, chaque peuple possède sa propre culture; eh bien, le dialogue entre ces cultures est non seulement possible mais nécessaire, car de lui peuvent résulter "une correction mutuelle et un enrichissement réciproque".

Quels sont les prémisses «idéologique» (dans le sens positif) de cette attitude de Benoît XVI?
Peut-être l'expérience du christianisme primitif. Le christianisme est né dans une culture donnée, celle juive, mais bientôt, tout en conservant certains traits de cette matrice, il s'en détache, se confrontant à une nouvelle culture, celle helléniste. Notons-le: le christianisme n'entreprit pas un dialogue avec les religions païennes alors répandues, mais il ne se fit pas scrupule de se confronter avec l'hellénisme, au point d'en assumer les catégories culturelles et de les utiliser pour exprimer sa propre foi.
Aujourd'hui, nous parlerions d'un processus d' "inculturation" parfaitement réussi (sur la rencontre entre le christianisme et l'hellénisme, voir le discours magistral de Benoît XVI à Ratisbonne le 12 Septembre 2006).

Un effort plus ou moins similaire a été tenté dans les siècles suivants, mais pas avec le même succès. Lorsqu'au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin dut faire face aux musulmans et aux païens de son temps, afin de donner un fondement rationnel aux vérités de la foi chrétienne, il écrivit la Summa Contra Gentili. Lorsqu'au dix-septième siècle, Matteo Ricci alla en Chine, il ne théorisa pas un dialogue avec toutes les religions présentes là-bas (par exemple, il était résolument opposé au taoïsme et au bouddhisme), mais il constata qu'avec le confucianisme, peut-être à cause de son caractère plus éthico-civil que religieux, il était non seulement possible mais nécessaire d'établir une confrontation.

Il est évident que tous les hommes, au-delà des différences culturelles et religieuses, ont la même nature, et peuvent se rencontrer sur un terrain commun, qui est celui de la raison; et c'est à ce niveau qu'ils peuvent et doivent dialoguer pour "une correction mutuelle et enrichissement réciproque". Au-delà de cela, les hommes appartenant à des religions différentes peuvent s'entendre sur des objectifs concrets dans divers domaines tels que la défense de la vie, la protection de la création, la lutte pour la justice, le développement de la société civile, la promotion de la paix, etc.

Précisément parce que le lieu de rencontre est la raison, commune non seulement aux croyants, mais à tous les hommes, ce genre de dialogue est également étendu à ceux qui affirment ne pas professer de religion. Dans le passé, on se complaisait à les présenter comme «athées» et aujourd'hui, nous préférons plutôt les appeler «agnostiques», mais le résultat est le même. Quelle devrait être l'attitude de l'Eglise envers les non-croyants? Habituellement nous parlons aujourd'hui de «nouvelle évangélisation» (à ce propos, un "Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation" vient d'être créé).
Mais Benoît XVI a souligné à juste titre il y a un an:

"Mais je considère surtout important le fait que les personnes qui se considèrent agnostiques ou athées doivent également nous tenir à cœur en tant que croyants. Lorsque nous parlons d'une nouvelle évangélisation ces personnes sont peut-être effrayées. Elles ne veulent pas se voir comme faisant l'objet d'une mission, ni renoncer à leur liberté de pensée et de volonté. Mais la question de Dieu reste toutefois présente également pour elles, même si elles ne peuvent pas croire au caractère concret de son attention pour nous. ... Nous devons nous soucier qu'il accepte cette question et la nostalgie qui se cache en elle. Il me vient à l'esprit une parole que Jésus reprend du prophète Isaïe, c'est-à-dire que le temple devait être une maison de prière pour tous les peuples (cf. Is 56, 7; Mc 11, 17). Il pensait à ce que l'on appelle la "Cour des Gentils" qu'il désencombra des activités extérieures pour qu'il y ait une place libre pour les païens qui voulaient prier là le Dieu unique, même s'ils ne pouvaient pas prendre part au mystère, auquel l'intérieur du temple était réservé... Je pense que l'Eglise devrait aujourd'hui aussi ouvrir une sorte de « Cour des Gentils », où les hommes puissent d'une certaine manière s'accrocher à Dieu, sans le connaître et avant d'avoir trouvé l'accès à son mystère, au service duquel se trouve la vie interne de l'Eglise. Au dialogue avec les religions doit aujourd'hui surtout s'ajouter le dialogue avec ceux pour qui la religion est une chose étrangère, pour qui Dieu est inconnu et qui, cependant, ne voudraient pas rester simplement sans Dieu, mais l'approcher au moins comme Inconnu".
(Discours à la Curie Romaine, 21 Décembre 2009)

Le "nouveau cours" inauguré par Benoît XVI, donc, ne nous invite pas, comme certains pourraient le croire, à nous soustraire à la confrontation avec le monde extérieur et à nous réfugier dans une sorte de «tour d'ivoire".
Il nous stimule plutôt pour nous ouvrir encore plus à ceux qui ne sont pas chrétiens. Le pape espère même que s'ouvre une «Cour des Gentils», c'est à dire un lieu de rencontre au sein de l'Eglise elle-même.
Ce qui lui tient à coeur, c'est que le dialogue pour être authentique, doive respecter certaines règles de base:
- il doit, tout d'abord, intervenir dans la clarté, sans confusion et sans faux irènisme;
- il ne doit pas cacher mais plutôt dsouligner l'identité spécifique de chacun des partenaires du dialogue;
- il doit avoir lieu sur l'unique terrain où tous peuvent se retrouver, celui de l'humanité commune.

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2010, une année de grâce 31 décembre: Vêpres, et bénédiction de la Crèche