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Guerre de l'ONU contre l'Eglise, encore...

De Benoît à François. Un an après, les mêmes problèmes. Un article d'Andrea Gagliarducci, qui épingle les insuffisances de la comm' ... et le silence relatif du Pape (11/2/2014)

Dans le dernier billet de son blog en anglais Monday Vatican, Andrea Gagliarducci revient, en un point de vue inédit, sur l'incroyable affaire du rapport de l'ONU sur le Vatican. Après un historique qui reprend en détail les faits déjà évoqués dans ces pages, insistant sur l'inacceptable ingérence, Andrea Gagliarducci met le doigt sur un problème qui à ma connaissance, n'a pas été abordé ailleurs: le silence du pape François, et l'incroyable inefficacité des brillants (et coûteux!) conseillers en communication du Vatican.

>>> Article original en anglais: www.mondayvatican.com/vatican/from-benedict-to-francis-one-year-after-the-same-problems

     

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De Benoît à François.

Un an après, les mêmes problèmes
Andrea Gagliarducci,
10 février 2014
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Un an après la démission historique de Benoît XVI, un document de la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme prouve simplement que rien n'a changé dans l'esprit du monde. En fin de compte, le pape François doit faire face aux mêmes démons et aux mêmes fantômes qui ont toujours menacé l'Église, et qui considèrent l'Église catholique si dangereuse qu'il devient impératif de saper son enseignement moral et - pourquoi pas - son prestige international. Dans le même temps, la réaction du Saint-Siège montre que ses problèmes internes sont également restés les mêmes.

Ce qu'il y a d'ignoble, dans le document de l'ONU, ce ne sont pas les accusations sur les cas d'abus sexuels d'enfants par le clergé, mais plutôt jusqu'où vont les observations finales à propos du deuxième rapport périodique du Saint-Siège sur la Convention relative aux droits de l'enfant. Le comité a même demandé, à plusieurs reprises, des modifications ou des amendements au droit canon, par exemple sur l'avortement. Ses observations font également intrusion dans des questions purement religieuses, attaquant implicitement le secret de la confession («en raison d'une loi du silence imposée à tous les membres du clergé sous peine d'excommunication ... »), et même regrettant que «le Saint-Siège continue de mettre l'accent sur la promotion de la complémentarité et de l'égalité dans la dignité, deux concepts qui diffèrent de l'égalité en droit et en pratique prévue à l'article deux de la Convention, et sont souvent utilisés pour justifier une législation et des politiques discriminatoires».

Ainsi, selon le Comité des Nations Unies, composé de 18 experts indépendants, le Saint-Siège devrait cesser d'exprimer librement sa vision du monde enracinée dans l'Evangile. Pour justifier leur requête, les membres du Comité interprètent même l'article II de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui, en fait, requiert seulement aux États-membres «de respecter et de garantir les droits énoncés dans la présente Convention à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou autre, l'origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, le handicap, la naissance ou toute autre situation, du ou des parents de l'enfant ou de son tuteur légal»

Plutôt qu'une tentative de considérer «l'esprit» de la convention, le document de l'ONU ressemble plus à une accusation générale, presque une attaque contre la souveraineté du Saint-Siège, via une attaque à ses principes moraux. Il s'agit d'une approche nuancée, puisque la distinction entre la loi de la Cité du Vatican, le droit canon, et les droits internationaux du Saint-Siège, est expliquée et prise en compte. Le document qualifie le Saint-Siège d'«autorité morale», reconnaît que les prêtres ne sont pas des employés du Saint-Siège et que l'État de la Cité du Vatican n'a pas de juridiction sur le fonctionnement des écoles catholiques. Toutefois, ensuite, le comité demande de facto au Saint-Siège de prendre une position ferme sur des question spécifiques. En fin de compte, le comité, subtilement, demande au Saint-Siège de changer la doctrine catholique: de cesser d'insister sur les droits fondamentaux, sur la complémentarité entre l'homme et la femme, et d'arrêter la lutte contre l'avortement. En essence, le comité tente de convaincre le Saint-Siège de renoncer à parler haut et fort.

Ce qui a le plus intéressé les médias, ce sont les accusations sur le traitement des abus sexuels sur des enfants par le clergé. Le comité demande au Saint-Siège d'ouvrir ses archives afin que l'on sache combien il y a de prêtres pédophiles. Cependant, l'accusation que le Saint-Siège a rendu possible l'abus de millions d'enfants, et les critiques sur le transfert de prêtres et d'agresseurs sexuels notoires d'enfants «de paroisse en paroisse ou à d'autres pays dans une tentative de dissimuler de tels crimes, une pratique documentée par de nombreuses commissions nationales d'enquête », ne reflète pas la réalité. Il n'est pas fait mention de l'engagement exemplaire de Joseph Ratzinger, avant et après être devenu Benoît XVI, pour lutter contre la pédophilie. Et il n'y a aucune considération d'une loi de l'État du Vatican sur les abus sexuels qui, si elle était utilisée comme norme juridique internationale, rendrait tous les autres Etats hors la loi dans la lutte contre la pédophilie.

Dans une interview accordée à Radio Vatican, Silvano Maria Tomasi, Observateur permanent du Saint-Siège auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a noté que le document ONU «semblait avoir été écrit avant la réunion du comité avec la délégation du Saint-Siège. Cette dernière a donné des réponses détaillées et précises sur plusieurs points, mais les réponses ne sont pas signalées dans le document final, ni ne semblent avoir été sérieusement prises en considération».
Tomasi a également souligné que «probablement certaines ONG ayant des intérêts dans l'homosexualité, le mariage gay ou d'autres questions, ont apporté une contribution, renforçant d'une certaine façon une ligne idéologique».

Cette ligne idéologique est évidente, puisque le vocabulaire de la théorie du gender est largement répandu dans le document. Le comité demande la reconnaissance des «droits à la santé reproductive» (un euphémisme pour un prétendu droit à l'avortement), la demande d'éliminer du droit canon la terminologie à propos des enfants légitimes et naturels, et même l'exhortation à supprimer des manuels catholiques «tout les stéréotypes de genre qui peuvent limiter le développement des talents et des capacités des garçons et des filles et saper leurs opportunités d'éducation et de vie.»

Ce vocabulaire est omniprésent dans les documents des Nations Unies, et le Saint-Siège s'y oppose au nom de l'humanisme intégral orienté vers le bien commun, qui est le très international agenda du Saint-Siège.

L'idéologie du gender n'est pas une idéologie nouvelle. Le dernier discours de voeux de Noël de Benoît XVI à la Curie romaine était centré sur la théorie du gender.

A cette occasion, - le 21 décembre 2012 - Benoît XVI déclarait que l'idée même de la nature humaine est en crise, une crise fondée sur le gender, «comme nouvelle philosophie de la sexualité». «La notion même de l'être - ou de ce que signifie vraiment être humain - est remise en question», notant que la complémentarité sexuelle, le sexe en tant que donnée «est ce qui est aujourd'hui remis en question».
Il ajoutait que dans l'idéologie relativiste du gender, «l'homme et la femme comme réalités créées, comme la nature de l'être humain, n'existent plus. L'homme met sa nature en question», ce qui remet également en question la nature de la famille.

Ce discours fait partie de l'héritage de Benoît XVI, qui à cette époque avait déjà décidé quand et comment démissionner.

A présent, le pape François est appelé à reprendre à son tour le fil. Selon des sources, le pape François aurait dit lors d'une audience privée avec des évêques que l'idéologie de genre est «démoniaque». Pourtant, jusqu'à présent, il n'y a pas eu de position officielle du Pape sur ces questions. Le Pape n'a pas montré un soutien pour les manifestants de la Manif pour Tous en France, qui protestaient contre l'institution du mariage de même sexe et la possibilité de l'adoption pour les couples de même sexe en France. Le Pape n'a pas non plus mentionné les manifestations en Europe le 2 Février, peu avant un vote sur le rapport Lunacek.
Ce
rapport s'inspire des «principes de Jogjakarta» (ndt: j'en parlais ici benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/mariage-gay-et-ideologie-du-genre), selon lesquels «les droits spéciaux pour les homosexuels font partie des droits universels».
Les 120 droits spéciaux de la communauté gay doivent tous être appliquées afin de satisfaire, au niveau international, le respect des droits de l'homme. Le 4 Février le rapport était approuvé par le Parlement européen. Il n'est pas contraignant, mais son approbation fait des vues du document la position officielle de l'Union européenne.

Le lendemain de l'approbation du rapport Lunacek, les observations finales du Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant étaient rendues publiques.
Peut-être qu'une déclaration préventive du Pape aurait été utile. Ou peut-être qu'il fallait une communication nette et en temps opportun de la part du Saint-Siège, contestant le fait que le document allait trop loin juridiquement. Ce genre de réponse ne s'est pas produit, si ce n'est deux jours après la publication du rapport, bien que le rapport soit parvenu au Vatican près de deux jours avant sa publication, et que son contenu était connu des conseillers en communication du Vatican.

La stratégie était de ne pas préparer de réponse immédiate. Il est difficile d'en comprendre la raison. Les experts du Vatican qui ont pris part à la discussion du premier rapport en 1995 prévoyaient le risque que quelque chose de ce genre pourrait se produire, et aujourd'hui, ils disent qu'il n'y a aucune surprise au sujet du langage et du contenu du nouveau document.
Certains experts suggèrent même que le Secrétariat d'État devrait répondre par la voie diplomatique. Le Saint-Siège, ont-il proposé, devrait convoquer les ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège et se plaindre que le comité aille au-delà de ses prérogatives, s'arrogeant le droit d'interpréter l'esprit de la Convention.

Il était également bien connu que les médias internationaux attendaient le document avec un grande espoir, attirés par les questions sur la pédophilie. De nombreux journalistes se sont accrédités au bureau de l'ONU à Genève, leur intérêt étant principalement axé sur le scandale des abus sexuels du clergé.

En fait, les conseillers en communication du Vatican n'ont même pas été à la hauteur en présentant l'information sur la lutte de l'Eglise contre la pédophile chez les prêtres. Ils auraient dû rappeler que Benoît XVI avait réduit à l'état laïc près de 400 prêtres, expliqué les efforts du Saint-Siège pour lutter contre les abus, ou au moins souligner la section spéciale sur la réponse de l'Eglise à la pédophilie sur la page d'accueil du site vatican.va.

Les conseillers en communication du Vatican n'ont pas pensé non plus à mettre en lumière les meilleures pratiques. Par exemple, en Italie, il y a l'Association Meter présidé par le père Fortunato Di Noto. Meter est devenue une référence internationale sur la lutte contre la pédophilie. En 20 ans, l'association Meter a accueilli, accompagné et aidé plus de 1 200 victimes d'abus, et dénoncé plus de 1 million et demi de sites pédo-pornographiques, créant ainsi un cercle vertueux d'information sur la question de la pédophilie, qui a donné beaucoup de fruits. Malheureusement, Meter risque de cesser d'exister en raison d'un manque de financement. Il s'agit cependant d'un phare et d'un exemple dans la lutte contre la galaxie catholique combattant la pédophilie. Pourquoi des histoires comme celle de Meter n'ont-elles pas été présentés, afin de changer le récit des médias mainstream?

Un an après la démission de Benoît XVI, la pédophilie, la théorie du gender, et surtout les lacunes dans la communication du Saint-Siège demeurent des questions primordiales et centrales à combattre. Malgré l'embauche de plusieurs conseillers en communication, l'Église en est encore à réagir aux grandes questions du jour, au lieu d'anticiper et de les introduire dans leur juste lumière. C'est la raison pour laquelle l'Église ne peut être prise au dépourvu dans le débat. Ce fut le cas en 2006, quand Benoît XVI a prononcé son célèbre discours à Ratisbonne. Depuis ce point de départ, Benoît XVI a pu commencer un dialogue sans précédent avec l'islam. C'est maintenant au tour du Pape François de construire des ponts de raison dans un monde toujours prêt à attaquer l'Eglise.