A propos de la théologie de la libération (2)

L'Abbé Dominique Rimaz ("Le Suisse Romain", alias don Dom) écrit à Patrice de Plunkett, en réponse à son billet "Joseph Ratzinger et la théologie de la libération", une lettre dont il m'a envoyé une copie (3/8/2012).

Image ci-dessous ici.

Sur ce sujet

 

« En toute amitié, je vous fais part de ma très vive inquiétude quant à votre interprétation de la théologie de la libération.
Je partage avec Mgr Müller sa vision quant à
l'exploitation et l'oppression de pauvres, un péché qui crie jusqu'à Dieu.
Le second document de la Congrégation de la doctrine de la foi, de 1986, ne va toutefois pas dans le sens des propos que vous publiez sur votre blog. Aussi, les propos de Mgr Müller, lus pour ma part avec grande joie, sont-ils détournés de leur but.

La théologie de la libération fut, selon les propos de Ratzinger, un produit occidental exporté en Amérique du Sud (1), et les pauvres se sont détournés de l'Eglise, à cause de ce genre de division idéologique.
Je vous serais donc reconnaissant de ne pas utiliser
ma foi, celle de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, pour faire passer vos idées, sans aucun doute très nobles et respectables, mais qui sont une mixture de politique, d'écologie, d'économie et d'Eglise.
La seule doctrine est celle de la doctrine sociale de l'Eglise. Le reste: liberté.
Merci de ne pas tomber dans ce piège du politique d'abord. .. Bien des personnes m'ont témoigné par mail leur impression d'être agressées jusque dans leur foi et leur attachement à l'Eglise. ...

Don Dom. »

Don Dom me rappelle LE livre incontournable pour comprendre la théologie de Mgr Müller, l'Introduction au Christianisme de Joseph Ratzinger (disponible actuellement en français sous le titre: La Foi chrétienne hier et aujourd'hui).

L'article de Patrice de Plunkett est à lire ici:
Puisque c'est nécessaire, je re-publie ces lignes du cardinal Ratzinger dans le texte romain qui fait autorité sur la question....

Il est intéressant de comparer ce qu'il cite avec le texte original (déjà cité par moi très récemment: A propos de la théologie de la libération).
Par exemple, les points de suspension ci-dessous remplacent non pas un long passage mais un bien innocent (?) "par des moyens moralement licites". Qui modifie toutefois le sens du texte, car qu'est-ce qui est "moralement licite"? La réponse serait-elle gênante?

Par ailleurs, dans le livre "Entretien sur la foi" (voir au sujet de ce livre: Un Concile à redécouvrir) avec Vittorio Messori, un chapitre entier est consacré à la théologie de la libération: "Une certaine libération", pages 207 et suivantes.
J'y reviendrai certainement. On y trouve en particulier ce passage sur la théologie de la libération comme importation de l'Occident, qui confirme les propos de don Dom.

(1) Au cours de cet entretien, le Cardinal est revenu à plusieurs reprises sur un aspect oublié par de nombreux commentaires : « La théologie de la libération, dans ses formes qui se rattachent au marxisme, n'est absolument pas un produit autochtone, indigène, d'Amérique latine ou d'autre zones sous-développées où elle serait née et aurait grandi quasi spontanément par l'action du peuple. Il s'agit en réalité, au moins à l'origine, d'une création d'intellectuels ; et d'intellectuels nés ou formés dans l'Occident opulent: ce sont des Européens, les théologiens qui l'ont fait naître ; ce sont des Européens - ou formés dans des universités européennes -, les théologiens qui la font grandir en Amérique du Sud. Derrière l'espagnol ou le portugais de ces prédications perce en réalité l'allemand, le français, l'anglo-américain. »
Ainsi, selon lui, même la théologie de la libération ferait partie « de l'exportation à destination du Tiers-Monde de mythes et d'utopies élaborés dans l'Occident développé. C'est presque une tentative visant à expérimenter dans le concret des idéologies conçues en laboratoire par des théoriciens européens. D'un certain point de vue, par conséquent, c'est encore une forme d'impérialisme culturel, bien que présenté comme la création spontanée des masses déshéritées. Reste ensuite à vérifier quelle influence réelle ont en vérité sur le "peuple" ces théologiens qui disent le représenter et être leurs porte-parole. »

Et la conclusion:

« Ce qui est théologiquement inacceptable et socialement dangereux, dit-il encore, c'est ce mélange de Bible, de christologie, de politique, de sociologie et d'économie. On ne peut se servir abusivement de l'Écriture et de la théologie pour généraliser et sacraliser une théorie de l'ordre socio-politique. Celui-ci - par nature - est toujours contingent. Si, au contraire, on sacralise la révolution - en mêlant Dieu, le Christ et les idéologies -, on crée un fanatisme enthousiaste qui peut mener aux pires injustices et oppressions, inversant dans les faits ce qu'on se proposait en théorie. »