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Une curiosité, lue sur le blog Messa in Latino. L'affaire Saint-Fiacre, de Simenon. (23/5/2012)

Le blog traditionaliste Messa in Latino est une de mes références en Italie.
Il a, entre autre, une rubrique intitulée "Echos tridentins en littérature" (colonne de droite du site), consacrée à des ouvrages où il est question, d'une façon ou d'une autre, de la "messe en latin". (*).
Les francophones y sont représentés par Geoges Brassens, Stéphane Mallarmé, Victor Hugo, Arthur Rimbaud, et... Georges Simenon.

Voici l'article consacré au grand écrivain belge, qui a eu récemment (pas par hasard) les honneurs de la Pléïade.
Il est question de "L'Affaire Saint-Fiacre", adapté à l'écran en 1959 par Jean Delannoy, avec Jean Gabin dans un de ses meilleurs rôles. On y assiste à la messe des morts, dans un petit village français, entre les deux guerres.

Messa in latino n'a traduit en langue italienne qu'une partie du texte original de Simenon (que je reproduis ici en entier) sans doute parce que l'image que ce dernier offre de la pratique religieuse dans la France de l'époque n'est pas totalement valorisante.

Il est toutefois difficile de résister au parfum de la nostalgie - qui, on le sait, idéalise tout...

Article en italien: http://blog.messainlatino.it/
Ma traduction.

6/12/2009
Simenon: Maigret à la messe des morts
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Le commissaire Maigret enquête. Les bureaux de la police judiciaire à Paris ont été alertés, une note anonyme avertit qu'à Saint-Fiacre de Matignon, un village dans le coeur rural de la France, un crime sera commis au cours de la première messe du Jour des Morts.
Le commissaire se rend sur place conduit surtout par des motivations personnelles: Saint-Fiacre est en effet l'endroit où il est né et a passé son enfance. Une occasion pour Georges Simenon, de décrire avec un oeil de conteur habile, une messe «quelconque» de la province française (nous sommes dans les années entre les deux guerres mondiales, le roman en question, L'affaire Saint-Fiacre remonte à 1933). La messe est celle de six heures du matin, à laquelle est présente seulement une poignée de femmes particulièrement dévotes:

* * *



Il y avait d'autres ombres qui convergeaient vers la porte vaguement lumineuse de l'église. Les cloches sonnaient toujours. Quelques lumières aux fenêtres des maisons basses : des gens qui s'habillaient en hâte pour la première messe.
Et Maigret retrouvait les sensations d'autrefois : le froid, les yeux qui picotaient, le bout des doigts gelé, un arrière-goût de café. Puis, en entrant dans l'église, une bouffée de chaleur, de lumière douce ; l'odeur des cierges, de l'encens...
- Vous m'excusez... J'ai mon prie-Dieu... dit-elle.
Et Maigret reconnut la chaise noire à accoudoir de velours rouge de la vieille Tatin, la mère de la petite fille qui louchait.
La corde que le sonneur venait de lâcher frémissait encore au fond de l'église. Le sacristain achevait d'allumer les cierges.
Combien étaient-ils, dans cette réunion fantomatique de gens mal réveillés? Une quinzaine au plus. Il n'y avait que trois hommes : le bedeau, le sonneur et Maigret.

... un crime sera commis...

A Moulins, la police avait cru à une mauvaise plaisanterie et ne s'était pas inquiétée. A Paris, on s'était étonné de voir partir le commissaire.
Celui-ci entendait du bruit, derrière la porte placée à droite de l'autel, et il pouvait deviner seconde par seconde ce qui se passait : la sacristie, l'enfant de chœur en retard, le curé qui, sans un mot, passait sa chasuble, joignait les mains, se dirigeait vers la nef, suivi par le gamin trébuchant dans sa robe...
Le gamin était roux. Il agita sa sonnette. Le murmure des prières liturgiques commença.

... pendant la première messe...

Maigret avait regardé une à une toutes les ombres. Cinq vieilles femmes, dont trois avaient leur prie-Dieu réservé. Une grosse fermière. Des paysannes plus jeunes et un enfant...
Un bruit d'auto, dehors. Le grincement d'une portière. Des pas menus, légers, et une dame en deuil qui traversait toute l'église.
Dans le chœur, il y avait un rang de stalles, réservées aux gens du château, des stalles dures, en vieux bois tout poli. Et c'est là que la femme s'installa, sans bruit, suivie par le regard des paysannes.
Requiem aeternam dona eis, Domine...
Maigret eût peut-être encore pu donner la réplique au prêtre. Il sourit en pensant que jadis il préférait les messes de mort aux autres, parce que les oraisons sont plus courtes. Il se souvenait de messes célébrées en seize minutes !
Mais déjà il ne regardait plus que l'occupante de la stalle gothique. Il apercevait à peine son profil. Il hésitait à reconnaître la comtesse de Saint-Fiacre.
Dies irae, dies illa...
C'était bien elle, pourtant ! Mais quand il l'avait vue pour la dernière fois elle avait vingt-cinq ou vingt-six ans. C'était une femme grande, mince, mélancolique, qu'on apercevait de loin dans le parc.
Et maintenant elle devait avoir soixante ans bien sonnés... Elle priait ardemment... Elle avait un visage émacié, des mains trop longues, trop fines, qui étreignaient un missel...
Maigret était resté au dernier rang des chaises de paille, celles qu'à la grand-messe on fait payer cinq centimes mais qui sont gratuites aux messes basses.

... un crime sera commis...

Il se leva avec les autres au premier Évangile. Des détails le sollicitaient de toutes parts et des souvenirs s'imposaient à lui. Par exemple, il pensa soudain
- Le Jour des Morts, le même prêtre célèbre trois messes...
De son temps, il déjeunait chez le curé, entre la seconde et la troisième. Un œuf à la coque et du fromage de chèvre !
C'était la police de Moulins qui avait raison ! Il ne pouvait pas y avoir de crime ! Le sacristain avait pris place au bout des talles, quatre places plus loin que la comtesse. Le sonneur était parti à pas lourds, comme un directeur de théâtre qui ne se soucie pas d'assister à son spectacle.
D'hommes, il n'y avait plus que Maigret et le prêtre, un jeune prêtre au regard passionné de mystique. Il ne se pressait pas, comme le vieux curé que le commissaire avait connu. Il n'escamotait pas la moitié des versets.
Les vitraux pâlissaient. Dehors, le jour se levait. Une vache meuglait, dans une ferme.
Et bientôt tout le monde courbait l'échine pour l'Élévation. La grêle sonnette de l'enfant de chœur tintait.
Il n'y eut que Maigret à ne pas communier. Toutes les femmes s'avancèrent vers le banc, mains jointes, visage hermétique. Des hosties, si pâles qu'elles semblaient irréelles, passaient un instant dans les mains, du prêtre.
Le service continuait. La comtesse avait le visage dans les mains.
Pater Noster...
Et ne nos inducas in tentationem...
Les doigts de la vieille dame se disjoignaient, découvraient le faciès tourmenté, ouvraient le missel.
Encore quatre minutes ! Les oraisons. Le dernier Evangile ! Et ce serait la sortie ! Et il n'y aurait pas eu de crime !
Car l'avertissement disait bien : la première messe...
La preuve que c'était fini, c'est que le bedeau se levait, pénétrait dans la sacristie...
La comtesse de Saint-Fiacre avait à nouveau la tête entre les mains. Elle ne bougeait pas. La plupart des autres vieilles étaient aussi rigides.
Ite missa est... La messe est dite...
Alors seulement Maigret sentit combien il avait été angoissé. Il s'en était à peine rendu compte. Il poussa un involontaire soupir. Il attendit avec impatience la fin du dernier Évangile, en pensant qu'il allait respirer l'air frais du dehors, voir les gens s'agiter, les entendre parler de choses et d'autres...
Les vieilles s'éveillaient toutes à la fois. Les pieds remuaient sur les froids carreaux bleus du temple. Une paysanne se dirigea vers la sortie, puis une autre. Le sacristain parut avec un éteignoir et un filet de fumée bleue remplaça la flamme des bougies.
Le jour était né. Une lumière grise pénétrait dans la nef en même temps que des courants d'air.
Il restait trois personnes... Deux... Une chaise remuait... Il ne restait plus que la comtesse et les nerfs de Maigret se crispèrent d'impatience...
Le sacristain, qui avait terminé sa tâche, regarda Mme de Saint-Fiacre. Une hésitation passa sur son visage. Au même moment le commissaire s'avança.
Ils furent deux tout près d'elle, à s'étonner de son immobilité, à chercher à voir le visage que cachaient les mains jointes.
Maigret, impressionné, toucha l'épaule. Et le corps vacilla, comme si son équilibre n'eût tenu qu'à un rien, roula par terre, resta inerte.
La comtesse de Saint-Fiacre était morte.

Le crime, en réalité, advient justement dans ces dernières minutes de la messe, avec une méthode diabolique: quelqu'un a inséré dans le missel de la vieille comtesse de Saint-Fiacre, très malade du cœur, une fausse coupure de journal dans laquelle est annoncée la mort de son fils dans un accident de voiture. La dame la trouve, la lit et s'écroule silencieusement. On ne s'apercevra de sa mort que quelques minutes plus tard, voyant qu'elle ne se lève pas pour quitter l'église. Au commissaire, bien sûr, la tâche de trouver le coupable du crime.

Simenon, auteur certainement étranger aux thèmes religieux, a pourtant saisi, dans ce qui est l'un de ses romans les plus réussis de la série "Maigret", la fascination du cadre fourni par une messe tridentine, auquel même le commissaire peu pratiquant n'est pas insensible. L'atmosphère de pénombre et de mystère, le silence, le recueillement, s'accordent bien au suspense entourant un crime mystérieusement annoncé. Qui peut imaginer, à la place, un Maigret entrant dans une église de Fuksas ou de Portoghesi (ndt: célèbres architectes, concepteurs de bâtiments modernes que j'ai personnellement du mal à appeler églises), entre tricotages de guitare, choeurs pop et sermons politiquement corrects?

(*) Note

A côté d'auteurs plus "prestigieux", il y a aussi Mary Higgins Clark.

En mai 2008, son roman annuel "Où es-tu maintenant" évoquait une "messe en latin" célébrée à New York, et qui faisait "église comble"!

(...) lorsque le pape Benoît XVI avait déclaré que chaque curé pourrait décider de célébrer la messe en latin, le père Devon avait annoncé que dorénavant la messe dominicale de onze heures serait dite dans cette langue traditionnelle de l'Église que lui-même parlait couramment.
La réaction de ses paroissiens l'étonna. L'église était désormais pleine à craquer à cette heure-là, non seulement de personnes âgées mais d'adolescents et de jeunes adultes qui répondaient avec ardeur Deo gratias au lieu de « Rendons grâce à Dieu », et récitaient le Pater Noster à la place du Notre-Père.

(voir ici:
http://benoit-et-moi.fr/2008-II/)