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Sans justes, pas de justice

Une des huit questions (la n°4) posées par les prêtres Romains à leur Evêque, le 26 février: le Pape s'exprime sur la crise économique. (3/3/2009)


En novembre dernier, au moment où la crise économique explosait, au moins médiatiquement, j'avais traduit dans ces pages un discours du cardinal Ratzinger datant de 1985, que certains économistes, en Italie, avaient vu comme une prémonition de la tempête financière.
http://benoit-et-moi.fr/2008/..
J'écrivais alors:
(..) il pose clairement le problème de la place de l'homme (L'économie est régie non seulement par des lois économiques, mais elle est aussi déterminée par des hommes .. ), puis surtout de la foi chrétienne (et même, spécifiquement, catholique) par rapport à l'économie, réclamant un engagement des chrétiens en économie, comme on parle des chrétiens en politique.

La semaine dernière, l'Evêque de Rome recevait au Vatican "ses" curés, se livrant avec eux, selon une coutume désormais bien installée, à l'exercice des questions-réponses, où il excelle dans la profondeur et dans la bonhomie, malgré la fausse réputation de rigidité professorale que lui ont fabriquée des "observateurs" aussi sourds que myopes.
Voir ici: Besoin de rafraîchissement spirituel et Aux curés de Rome .
Il a répondu à 8 questions, dont le texte figure en italien sur le site du Vatican.
Je ne peux pas tout traduire, car c'est très long, et nul doute que ce sera fait pas d'autres d'ici peu, j'ai donc choisi la quatrième question, où le Saint-Père s'exprime sur les sujets économiques, répndant à un curé de ce qui me semble être une banlieue défavorisée de Rome.
Le ton est celui de la conversation familière, mais les propos reprennent avec force ceux du discours de 1985.
Avec une phrase-clé: opposant (pour paraphraser le jargon économique) la 'macro-justice' à la 'microjustice', il dit: S'il n'y a pas de justes, il n'y a pas non plus de justice.
Le devoir de l'Eglise est donc de former les justes.

Une petite remarque: le Saint-Père fait allusion à la préparation de l'Encyclique tant annoncée sur les sujets sociaux (En attendant l'encyclique sociale ). Et nous laisse un peu deviner pourquoi sa sortie est différée. Comme nous le supposions, c'est un perfectionniste.
Comme vous le savez, depuis longtemps nous préparons une Encyclique sur ces points. Et dans ce long chemin je vois combien il est difficile de parler avec compétence, parce que si on n'affronte pas avec compétence une certaine réalité économique, on ne peut pas être crédible.

[Note: Il va de soi que cette traduction n'est pas un exercice académique! De toutes façons, il ne faut pas oublier que c'est la transcription de propos prononcés a bracio... ce qui ne les empêche pas d'être impressionnants de beauté, dans la version originale en italien].

Q: Santità, je suis Don Giampiero Ialongo, un des nombreux curés qui accomplissent leur ministère dans la périphérie de Rome(..)
Des banlieues comme tant d'autres, souvent oubliées et négligées par les institutions. Je suis heureux que cet après-midi, le président de la Mairie nous ait convoqués : nous verrons ce qui pourra jaillir de cette rencontre avec la municipalité.
Et, peut-être plus que d'autres zones de notre ville, nos périphéries ressentent vraiment fort le malaise que la crise économique internationale commence vraiment à faire peser sur les conditions concrètes de vie d'un nombre non négligeable de familles. Au titre de la Caritas (Secours Catholique) paroissiale, mais surtout de la Caritas diocésaine, nous mettons en place beaucoup d'initiatives qui prennent avant tout la forme de l'écoute, mais aussi d’une aide matérielle concrète, vers ceux qui- sans distinction de races, de cultures, de religions - s'adressent à nous. Malgré cela, nous nous rendons de plus en plus compte qu'on se trouve devant une véritable urgence. Il me semble que beaucoup trop de personnes - pas seulement des retraités, mais aussi des gens qui ont un emploi régulier,, un contrat à durée indéterminé- trouvent de grandes difficultés à ajuster leur budget familial.
Des colis de vivres, comme nous le faisons, quelques vêtements, parfois une aide économique concrète pour payer les factures ou le loyer, peuvent être une aide mais je ne crois pas que ce soit une solution. Je suis convaincu que, comme Église, nous devrions nous interroger plus sur ce que nous pouvons faire, mais encore plus sur les raisons qui ont porté à cette situation généralisée de crise. Nous devrions avoir le courage de dénoncer un système économique et financier injuste dans ses racines. Et je ne crois pas que devant les inégalités introduites par ce système, il suffit seulement d'un peu d'optimisme. Il faut une parole influente, une parole libre, qui aide les chrétiens, comme vous l'avez déjà dit d'une certaine façon, Saint Père, à gérer avec sagesse évangélique et avec responsabilité les biens que Dieu a offerts, et a offert pour tous et pas seulement pour quelques-uns. Cette parole, comme vous l'avez déjà fait à d'autres reprise - parce que nous avons déjà écouté vos paroles sur la question - je serais désireux de l'écouter encore une fois dans ce contexte. Merci, Santità !
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R. (..) Cette question touche le nerf des problèmes de notre temps.
Je distinguerais deux niveaux.
Le premier est le niveau de la macroéconomie, qui après se réalise et atteint le dernier citoyen, lequel ressent les conséquences d'une construction erronée.
Naturellement, dénoncer ceci est un devoir de l'Église. Comme vous le savez, depuis longtemps nous préparons une Encyclique sur ces points. Et dans ce long chemin je vois combien il est difficile de parler avec compétence, parce que si on n'affronte pas avec compétence une certaine réalité économique, on ne peut pas être crédible.
Et, d'autre part, il faut aussi parler avec une grande conscience éthique, disons créée et réveillée par une conscience formée par l'Évangile. Donc il faut dénoncer ces erreurs fondamentales qui sont maintenant montrées par l'écroulement des grandes banques américaines, les erreurs de fond. En fin de compte, c'est l'avarice humaine comme péché ou, comme dit la Lettre aux Colossiens, l'avarice comme idolâtrie. Nous devons dénoncer cette idolâtrie qui est contre le vrai Dieu, et une falsification de l'image de Dieu avec un autre Dieu, « Mammon ». Nous devons le faire avec courage mais aussi concrètement. Parce que les grands moralismes n'aident pas s'ils ne sont pas soutenus par la connaissance des réalités, qui aident aussi à comprendre ce qu'on peut faire concrètement pour changer petit à petit la situation. Et, naturellement, pour pouvoir le faire, la connaissance de cette vérité et la bonne volonté de tous sont nécessaires.

Ici nous sommes au point crucial : le péché originel existe t'il réellement ?
S'il n'existait pas, nous pourrions faire appel à la raison lucide, avec des arguments accessibles à chacun, et incontestables, et à la bonne volonté qui existe en tous. Simplement de cette façon, nous pourrions aller de l'avant et réformer l'humanité. Mais il n'en est pas ainsi : la raison - même la nôtre - est assombrie, nous le voyons chaque jour. Parce que l'égoïsme, la racine de l'avarice, réside dans le fait de vouloir avant tout moi-même, et le monde pour moi. Il existe en nous tous. C'est cela, l'obscurcissement de la raison : elle peut être très docte, avec des arguments scientifiques très beaux, toutefois elle est assombrie par de fausses prémisses. Ainsi on s'engage avec une grande intelligence et à grands pas sur la mauvaise route. Même la volonté est, disons, courbée, comme disent les Pères : elle n'est pas simplement disponible à faire le bien mais elle cherche surtout son propre moi, ou le bien de son propre groupe. Donc trouver réellement la route de la raison, de la raison vraie, est déjà une chose pas facile et se développe difficilement dans le dialogue. Sans la lumière de la foi, qui entre dans les ténèbres du péché originel, la raison ne peut pas aller de l'avant. Mais la foi trouve ensuite la résistance de notre volonté. Celle-ci ne veut pas voir la route, qui constituerait aussi une route de renoncement à soi-même et de correction de sa propre volonté en faveur de l'autre et pas pour soi-même.

Je dirais donc qu'il faut une dénonciation raisonnable et raisonnée des erreurs, pas avec de grands moralismes, mais avec des raisons concrètes, qui se rendent compréhensibles dans le monde de l'économie d'aujourd'hui. Cette dénonciation est importante, c'est un mandat pour l'Église de toujours. Nous savons que dans la situation nouvelle créée avec le monde industriel, la doctrine sociale de l'Église, depuis Léon XIII, cherche à faire cette dénonciation - et pas seulement la dénonciation, qui ne suffit pas - mais aussi à montrer les routes difficiles où, pas après pas, on exige l'assentiment de la raison et l'assentiment de la volonté, en même temps que la correction de ma conscience, la volonté de renoncer dans un certain sens à moi-même pour pouvoir collaborer à ce qui est le vrai but de la vie humaine, de l'humanité.

Ceci dit, l'Église a toujours le devoir d'être vigilante, de chercher elle-même de son mieux les arguments du monde économique, d'entrer dans ce raisonnement et d'éclairer ce raisonnement avec la foi qui nous libère de l'égoïsme du péché originel. C'est le devoir de l'Église d'entrer dans ce discernement, dans ce raisonnement, de se faire entendre, y compris aux différents niveaux nationaux et internationaux, pour aider et corriger. Et ce n'est pas un travail facile, parce qu'il y a tellement d'intérêts personnels et de groupes nationaux qui s'opposent à une correction radicale.
C'est peut-être du pessimisme, mais moi, je trouve que c'est du réalisme : tant qu'il y a le péché originel, nous n'arriverons jamais à une correction radicale et totale.
Toutefois nous devons tout faire pour des corrections au moins provisoires, suffisantes pour faire vivre l'humanité et pour entraver la domination de l'égoïsme, qui se présente sous des prétextes de science et d'économie nationale et internationale.

Ceci est le premier niveau. L'autre est d'être réaliste. Et de voir que tous ces grands buts de la macro science ne se réalisent pas dans la micro science - la macro-économie dans la micro-économie - sans la conversion des coeurs. S'il n'y a pas de justes, il n'y a pas non plus de justice. Nous devons accepter cela. Donc l'éducation à la justice est un but prioritaire, nous pourrions dire même la priorité. Parce que Saint-Paul dit que la justification est l'effet de l'oeuvre du Christ, ce n'est pas un concept abstrait, concernant des péchés qui aujourd'hui ne nous intéressent pas, mais cela se réfère vraiment à la justice intégrale. Dieu seul peut nous la donner, mais il nous la donne avec notre coopération à différents niveaux, à tous les niveaux possibles.

La justice ne peut pas se créer dans le monde seulement avec des modèles économiques bons, qui sont nécessaires. La justice se réalise seulement s'il y a des justes. Et les justes n'existent pas s'il n'y a pas le travail humble, quotidien, de convertir les coeurs. Et de créer la justice dans les coeurs. Seulement ainsi on répand aussi la justice corrective. C'est pourquoi le travail du prêtre est si fondamental, non seulement pour la paroisse, mais pour l'humanité. Parce que s'il n'y a pas le juste, comme je l'ai dit, la justice reste abstraite. Et les structures bonnes ne se réalisent pas si l'égoïsme de personnes, même compétentes, s'y oppose.

Notre travail, humble, quotidien, est fondamental pour arriver aux grands buts de l'humanité. Et nous devons travailler ensemble à tous les niveaux. L'Église universelle doit dénoncer, mais aussi annoncer ce qu'on peut faire et comment on peut le faire. Les conférences épiscopales et les évêques doivent agir. Mais tous nous devons éduquer à la justice. Il me semble qu'aujourd'hui encore, le dialogue d'Abraham avec Dieu reste vrai et réaliste (Genèse, 18, 22-33), lorsque le premier dit : « vas-tu vraiment détruire la ville ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ! Peut-être dix justes ». Et dix justes sont suffisants pour faire survivre la ville. Aujourd'hui, s'il manque dix justes, avec toute la doctrine économique, la société ne survivra pas. Donc nous devons faire le nécessaire pour éduquer et garantir au moins dix justes, mais si possible beaucoup plus. Précisément avec notre annonce, faisons en sorte qu'il y ait beaucoup de justes, que soit réellement présente la justice dans le monde.

Comme effet, les deux niveaux sont inséparables. Si, d'un côté, nous n'annonçons pas la macro justice, la micro justice ne se développe pas. Mais, d'un autre côté, si nous ne faisons pas un très humble travail de micro justice, la macro non plus ne croît pas. Et toujours, comme je l'ai dit dans ma première Encyclique, avec tous les systèmes qui peuvent des développer dans le monde, au-delà de la justice que nous cherchons, la charité reste nécessaire. Ouvrir les coeurs à la justice et à la charité, c'est éduquer à la foi, c'est guider vers Dieu.

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Catéchèse du 18 février L'Evêque de Rome et l'universalité de l'Eglise