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Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?

Un dossier sérieux de John Allen. Mais il fait appel à un jésuite qui a d'étranges amitiés (13/6/2010; mise à jour ultérieure importante [**])

John Allen, que je n'ai pas traduit - et guère lu - depuis un moment, mais qui a été assez longtemps un "invité" récurrent de ce site, publie cette semaine un dossier très intéressant sur le meurtre de Mgr Padovese.
J'en propose la traduction à mes lecteurs.
Une des raisons qui m'ont fait me lancer dans ce travail assez long, c'est que certains, dans la presse italienne, et même à droite - c'est-à-dire pas dans cette frange libérale qui est par essence contre tout ce que fait et dit Benoît XVI - commencent à accuser le Saint-Père d'avoir délibérément menti, en répondant au Père Lombardi dans l'avion vers Chypre (*): il y avait cette semaine un article dans Il Giornale à la limite du manque de respect caractérisé, où il était question de "saint mensonge"....

J'avais moi-même tout de suite pensé que le Saint-Père avait usé d'une litote diplomatique, destinée avant tout à protéger la vie des chrétiens au Moyen-Orient (cf. L'étrange assassinat de Mgr Padovese). C'était sans doute en grande partie le cas.
Mais l'article d'Asia News traduit hier par Carlota (cf. Mgr Padovese: interviewe de l'évêque de Smyrne ), et le dossier sérieux de John Allen m'amènent de plus en plus à penser que "La vérité" réclamée par certains n'est pas si évidente que ça.
Ce qui est sûr, c'est que la vie des chrétiens, dans la Turquie qu'"on" veut faire entrer dans l'UE, non seulement n'est pas simple, mais peut même se terminer en calvaire, car le sentiment anti-chrétien est alimenté par une propagande sournoise, en particulier dans les milieux éducatifs et dans les journaux.
C'est ce que John Allen met en évidence, et ce, dès le titre.
Son article est en deux parties:

-> Un entretien qu'il vient d'avoir avec un jésuite âgé, Tom Michel, partisan "iréniste" du dialogue avec les musulmans, à l'étrange CV, critique sévère de Benoît XVI au moment de "Ratisbonne" (**), qui connaissait bien la victime et l'assassin,
-> et un autre, datant de 2006, avec Luigi Padovese lui-même, terriblement lucide, et aujourd'hui, prophétique.

Le choix par John Allen d'avoir fait appel à ce sulfureux jésuite (à le lire, l'assassin était le "bon", un garçon très sympathique) ne peut pas surprendre, intervenant dans le "navire amiral" du catholicisme progressiste américain qu'est NCR, mais cela nous permet d'avoir une idée des "forces" qui s'affrontent au Moyen-Orient, y compris au sein de l'Eglise, et en bon journaliste, il donne finalement la parole (posthume) à la victime.
Je regrette seulement que John Allen n'ait pas fourni plus d'informations sur sa "source" (celles que fournissait Sandro Magister en 2006: ** )
Car cela change tout!

<<< Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?  


La difficulté de comprendre l'assassinat d'un évêque en Turquie
par John Allen Jr
Article original ici: http://ncronline.org/...
Ma traduction
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Tout le monde, même avec une connaissance passable du catholicisme au Moyen-Orient, connaissait probablement Mgr Luigi Padovese, un capucin italien ayant servi comme vicaire en Anatolie et président de la Conférence épiscopale de Turquie. Sociable, d'une expression aisée, Padovese était un ardent défenseur de la mission de l'Eglise dans la région. Concernant la relation chrétiens / musulmans, Padovese était aussi l'une des rares voix qu'il n'était pas facile de classer, entre faucon ou colombe - pas vraiment aveugle aux menaces posées par le radicalisme islamique, mais restant un homme de dialogue jusqu'au bout des ongles.

Compte tenu de cette réputation, la nouvelle, la semaine dernière, que Padovese, 63 ans, avait été assassiné par son chauffeur de longue date et homme à tout faire dans sa résidence d'été à l'extérieur d'Iskenderun, sur la côte méditerranéenne de la Turquie, a provoqué une onde de choc à travers le monde catholique.

A la veille de la visite du pape Benoît XVI du 4 au 6 juin à Chypre, l'assassinat a rappelé de façon dramatique les défis auxquels doit faire face la minorité chrétienne de la région, petite et en déclin rapide.
La mort de Padovese a aussi inévitablement remué le souvenir de l'assassinat en Février 2006, à Trabzon, en Turquie, de l'italien don Andrea Santoro - un autre missionnaire catholique tué par un jeune turc, cette fois âgé de 16 ans, qui a décrit le meurtre comme une vengeance contre les caricatures insultantes de Mahomet publiées par un journal danois en 2005.

A ce jour, les explications quant aux raisons pour lesquelles Padovese a été pris pour cible restent contradictoires et confuses. Dans le même temps, l'assassinat soulève évidemment des questions difficiles sur la situation des Chrétiens en Turquie - un pays longtemps présenté comme peut-être le dernier et meilleur espoir, pour tailler une place à un islam véritablement modéré et pluraliste, capable de protéger les minorités religieuses et d'encourager le dialogue avec l'Occident.

Ci-dessous, je vous propose deux reportages sur ce sujet.

-> L'un vient d'une interviewe que j'ai réalisée cette semaine avec le jésuite américain Tom Michel, l'un des plus grands experts catholiques de l'islam, qui vit et travaille actuellement à Ankara, la capitale du pays.
-> L'autre vient de Padovese lui-même, sous la forme d'un entretien que j'ai eu avec lui à Rome en 2006, peu après l'assassinat de Santoro.

Prises ensemble, les deux perspectives illustrent la complexité affolante de la vie au Moyen-Orient. Michel met en garde contre une lecture de l'assassinat de Padovese, dans le cadre d'un modèle anti-chrétien, insistant sur le fait qu'il y a à la base un fort sentiment en faveur de la tolérance chez les musulmans turcs.
Pourtant, dans des termes qu'on ne peut s'empêcher aujourdhui de trouver glaçants, Padovese avertissait, il y a quatre ans, que même des actes isolés de folie, dans un endroit comme la Turquie peuvent être influencés par ce qu'il a décrit comme un préjugé anti-chrétien en augmentation.

Entre autre, les retombées de l'assassinat de Padovese donneront probablement le ton des débats du 10 au 24 octobre, lors du Synode sur le Moyen-Orient à Rome. (Benoît XVI a présenté l'Instrumentum Laboris, ou document de travail, pour le synode au cours de son voyage à Chypre.) Appelé à discuter de l'avenir du christianisme dans la région, le Synode est un événement où Padovese aurait presque à coup sûr joué un rôle important.

* * *

Les faits, vus par J. Allen

Voici ce que nous savons pour le moment sur les détails de l'agression du 3 Juin contre Padovese.

Des témoins ont rapporté que le chauffeur de l'évêque, âgé de 26 ans, Murat Altun, a crié "J'ai tué le Grand Satan!", en ajoutant ensuite: "Allah Akbar!", conduisant certains à suggérer qu'Altun était motivé par l'idéologie islamiste radicale. D'autres disent que Altun étaient en proie à des difficultés mentales et émotionnelles. Après son arrestation, Altun aurait dit à la police que Padovese était homosexuel, qu'il avait fait pression sur lui pour une relation sexuelle, bien que plusieurs sources locales aient accueilli cette affirmation avec scepticisme.

Certains Turcs croient qu'Altun a été manipulé par des forces politiques ultra-nationalistes qui cherchent à faire dérailler la candidature de la Turquie à l'entrée dans l'Union européenne et, plus largement, l'orientation pro-occidentale du pays.

En un rebondissement encore plus bizarre, un prêtre italien, vaticaniste connu (ndt: Filippo di Giacomo, cf Assassinat de Mgr Padovese) a affirmé qu'à la dernière minute, Padovese avait annulé ses projets de se rendre à Chypre pour le voyage du pape parce que des sources du gouvernement turc l'avaient averti qu'Altun avait embrassé le fondamentalisme islamique. Selon le Père Fillippo di Giacomo, Padovese avait peur que son chauffeur n'essaie de tuer le pape.

Mercredi, Mgr Ruggero Franceschini , un autre missionnaire capucin en Turquie et archevêque d'Izmir, a déclaré à des sources médiatiques que les dirigeants de l'Eglise avaient dit au Ministre de la Justice turc, qui supervise l'enquête sur la mort de Padovese, que l'Eglise veut la vérité "complète", ajoutant que "rien ne doit être caché". (cf. Mgr Padovese: interviewe de l'évêque de Smyrne)

<<< Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?  

Le Père Michel

Le Père jésuite Tom Michel est un ancien du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, où il a servi comme expert résident sur l'islam. Il a ensuite dirigé le bureau du dialogue interreligieux à Rome, pour l'ordre mondial des Jésuites. Maintenant basé à Ankara, Michel enseigne dans plusieurs universités et fait aussi un travail pastoral dans les deux églises catholiques de la ville.

J'ai eu Michel au téléphone mercredi (9 juin 2010), dans sa ville natale de Saint-Louis, Missouri, où il assistait à l'enterrement de son frère de 83 ans. Michel connaissait bien à la fois Padovese et Murat: dans la très petite communauté catholique en Turquie, tout le monde connaît à peu près tout le monde, ce qui rend le sentiment de choc et la perte d'autant plus aigus.

Ce qui suit sont des extraits de notre conversation.
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- Comment décririez-vous la situation des chrétiens en Turquie?
- Je ne vois pas ce qui est arrivé à Mgr Padovese dans le cadre d'une sorte de complot. Je ne crois pas que cela reflète un large mouvement ou une campagne anti-chrétiens. Il semble que cela s'explique mieux comme un conflit personnel de la part de Murat.
Les chrétiens en Turquie ont parfois des différends avec les autorités. Les orthodoxes grecs tentent toujours de récupérer leurs séminaires, qui ont été confisqués il y a des années par l'État. En général, cependant, la vie des chrétiens se déroule normalement. Nos deux paroisses fonctionnent sans problème. Les gens n'ont pas peur de venir à la messe. Lors d'occasions spéciales telles que le dimanche des Rameaux, nous allons faire les choses à l'extérieur sans y penser à deux fois. Il n'y a jamais eu la crainte que quelque chose de mauvais va se passer. Cela ne vient tout simplement pas à l'esprit.
Rappelez-vous qu'il n'y a pas beaucoup de chrétiens en Turquie. Après l'échange de population en 1925, la Turquie a fini par être à 99% musulmane et la Grèce à environ 99% chrétienne. Ce n'est pas comme la Syrie, le Liban ou l'Egypte, où il y a une large population locale chrétienne. La plupart des chrétiens en Turquie sont localisés dans les villes - Istanbul, Izmir, Ankara etc. A Ankara, nous avons peut-être 300 personnes le dimanche. Il n'y a pas d'églises orthodoxes, et il y a seulement une poignée de communautés protestantes, qui se réunissent dans des hôtels ou autres lieux.
Les catholiques à Ankara sont un mélange fascinant. Nous avons un certain nombre d'ambassadeurs et autres membres du personnel diplomatique des ambassades, en particulier en provenance de pays catholiques comme la Croatie, le Chili, l'Espagne, l'Irlande, et ainsi de suite. Ensuite, nous avons un grand nombre de domestiques philippins, qui sont vraiment l'épine dorsale de bon nombre de nos activités. Il y a un certain nombre d'Américains, souvent des entrepreneurs de la défense qui ont des relations avec le gouvernement et l'armée. Nous avons également un certain nombre d'étudiants boursiers africains. La Turquie donne un grand nombre de bourses d'études, en particulier dans des domaines tels que l'ingénierie et la médecine, et la plupart des Africains qui viennent ici pour étudier sont des catholiques issus d'endroits comme l'Angola, le Rwanda et le Burundi.
Nous ne sommes pas face à de réelles pressions, ou du harcèlement, qu'il soit subtile ou manifeste. Je dois ajouter que depuis la mort de Mgr Padovese, j'ai été inondé de courriels et d'appels téléphoniques venant de musulmans en Turquie, offrant leurs condoléances et exprimant leur indignation face à son assassinat. C'est là autant une partie de la réalité des relations islamo-chrétiennes en Turquie que la violence occasionnelle.

- Est-ce que la montée d'un gouvernement plus ouvertement islamique en Turquie est une menace?
- Le gouvernement actuel est plus ouvert à la religion et aux convictions religieuses du monde. Les précédents gouvernements turcs ont souvent été explicitement anti-religieux. Il y a toujours eu un mouvement fortement laïc militant en Turquie, allergique à quoi que ce soit de religieux, et il est certainement opposé à l'actuel gouvernement. Mon sentiment est que la société est toujours plus saine là où les croyants peuvent jouer un rôle positif. J'ai l'impression que le gouvernement actuel semble plus honnête et consciencieux que les précédents, et je pense que cela vient du contexte de foi des gens qui en font partie.

- Vous croyez que le souci réel de la Turquie n'est pas l'islam militant, mais la laïcité militante?
- Atatürk était lui-même un militaire, et l'armée a toujours joué un rôle exagéré dans la politique nationale. Au fil des ans, ils ont mené plusieurs coups d'État, se considérant comme les protecteurs du caractère laïc de la Turquie. Le gouvernement actuel semble vouloir briser le pouvoir des militaires et les empêcher de se mêler de politique nationale, il y a donc une sorte de combat religieux contre laïcs.
La plupart des gens dans le gouvernement actuel sont des musulmans, mais ils ne sont guère «islamistes». Ils ne sont pas des gens qui veulent appliquer la charia dans la loi civile. Ils n'y ont tout simplement pas d'intérêt. Leur projet est de préparer la Turquie à entrer dans l'Union européenne, ce qui mène évidemment le pays dans une direction très différente.

- Vous avez dit et écrit au fil des ans qu'il y a des mouvements musulmans modérés prometteurs en Turquie, qui sont plus représentatifs de l'islam de base que les radicaux.
- Un des avantages que nous avons en Turquie, c'est que nous avons plusieurs communautés fortes des musulmans déjà engagés dans le dialogue. Nous n'avons pas besoin de trouver des gens et de les convaincre. Les exemples les plus connus sont la Communauté "Nur", les disciples de Said Nursi, et leurs cousins du mouvement Gülen, les disciples de Fethullah Gülen. Tous deux sont entièrement engagés dans le dialogue avec les chrétiens et une société pluraliste.
Revenant aux années 1980, je me souviens d'avoir parlé aux gens de la conférence des évêques en Turquie au sujet des activités de dialogue. Ils m'ont encouragé à m'impliquer dans ces deux groupes, parce que, comme les évêques l'ont dit, "ils sont de notre côté. Ils veulent que nous ayons une bonne place dans la société turque".
Ce que ces mouvements vont chercher, c'est la tolérance traditionnelle de l'islam anatolien. Si vous considérez Nursi et Gülen en termes de qui ils citent, des vues qu'ils portent en eux, ce sont celles des grands mystiques et des dirigeants de l'histoire turque qui articulent une vision inclusive et universaliste de l'islam. Ce sont des mouvements forts, vibrants, dynamiques, qui reflètent le sentiment réel de la base.

- Vous connaissiez Murat Altun?
- Oui, je le connais assez bien. J'ai dîné avec lui et l'évêque à plusieurs reprises. Je l'aimais beaucoup, et j'ai toujours pensé qu'il faisait du bon travail. Quand j'ai entendu la nouvelle que l'évêque avait été tué et les gens disaient que c'était Murat, j'ai vraiment espéré qu'il s'avérerait que la police avait tout simplement collé le meutre sur le suspect le plus facile afin de résoudre l'affaire rapidement, parce que cela est arrivé dans le passé. Il ne semble pas que ce soit le cas cette fois-ci.
Une chose que je peux dire, c'est que Murat a été plus qu'un chauffeur occasionnel. Il a déjà conduit Padovese en Italie, et retour, pour prendre quelques livres. Il ressemblait plus à un membre de la famille. Lui et l'évêque, avec la secrétaire de l'évêque, Sœur Leonora, qui est américaine, ont passé des heures et des heures dans la voiture ensemble, en parlant de toutes sortes de choses.

- Quelle a été votre impression de Mgr Padovese?
- Il était une bouffée d'air frais dans l'épiscopat turc. Il a apporté beaucoup d'idées nouvelles, il était dynamique, et il a lancé un certain nombre d'initiatives importantes. Les autres évêques voyaient en lui un leader naturel, c'est pourquoi ils ont fait de lui le président de la conférence épiscopale. Par exemple, une de ses priorités était la préparation du matériel catéchétique. Comme la communauté turcophone chrétienne est si petite, ils n'ont pas beaucoup de ressources. Il fallait prendre les bonnes choses en italien, et d'autres langues, et les publier en turc, de sorte que le peuple ait une solide formation dans la foi.
En ce qui concerne l'islam, il a été un véritable leader dans le dialogue. Il avait de bonnes relations avec de nombreux dirigeants musulmans. Il avait une solide amitié personnelle avec l'ambassadeur de Turquie près le Saint Siège, et de bonnes relations avec le ministère des affaires religieuses en Turquie. Ils ont publié un vibrant hommage en son honneur, après la nouvelle qu'il avait été tué. Plus que tout autre, il était l'évêque en Turquie qui croyait vraiment en l'importance du dialogue.
Padovese était aussi un très bon spécialiste, un patrologue. C'était un expert sur les Pères cappadociens, et pendant des années il a guidé des visites pauliniennes en Turquie, prêchant sur saint Basile et les deux Grégoire. Il a écrit un guide de pèlerinage en Turquie qui est toujours une ressource précieuse.

* * *

<<< Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?  

Mgr Padovese

Au fil des ans, j'ai eu la chance de rencontrer Padovese et de m'entretenir avec lui à plusieurs reprises. (Le fait qu'il était un capucin, et que j'ai grandi dans des écoles et des paroisses tenues par des Capucins, implique que nous avions effectivement quelques connaissances communes.) J'ai toujours trouvé qu'il était l'expression parfaite de l'éthos des Capucins: très simple, avec un sens très vif de l'humour, honnête et réaliste, et s'intéressant principalement aux gens ordinaires.

En Février 2006, j'ai rencontré Padovese à Rome après l'assassinat de Santoro. Comme c'est le cas aujourd'hui avec la mort de Padovese lui-même, les rapports initiaux sur les raisons pour lesquelles Oguzhan Akdin, 16 ans, avait pris Santoro pour cible, étaient confuses. Certains suggéraient l'instabilité émotionnelle (Akdin avait apparemment été voir un psychiatre), et d'autres soulignaient le fait que Akdin avait reçu de l'argent de la paroisse de Santoro, ce qui impliquait que peut-être la mort était dûe à un chantage (rackett?) qui avait mal tourné.

Finalement, Akdin lia explicitement son acte à la controverse des caricatures danoises, et sa mèrequalifia même le meurtre par son fils d'un prêtre catholique comme "un don à l'Etat et la nation". Padovese et moi l'ignorions, toutefois, au moment où nous avons parlé - rendant terriblement prémonitoire son insistance à ce que la propagande anti-chrétienne ne puisse être écartée comme motif

Voici ce que j'avais publié à l'époque sur ma conversation avec Padovese.

* * *

10 Février, 2006

Le meurtre d'un prêtre donne un aperçu des relations entre chrétiens et musulmans

J'ai eu l'occasion, mercredi, de parler avec Mgr Luigi Padovese, un capucin de Milan de 58 ans, qui est vicaire apostolique en Anatolie, et qui était le supérieur de Santoro. Padovese a été à Rome pour accompagner le corps Santoro, et s'apprêtait à retourner en Turquie après la messe de funérailles vendredi matin.

En écoutant Padovese, ce qui donne le plus de frissons dans cette histoire est peut-être le peu d'indication qu'on avait que ce jeune homme nourrissait une haine assez forte pour tuer. Le jeune de 16 ans, selon Padovese, n'avait pas été élevé dans les milieux liés à des groupes radicaux connus ou au mouvement djihadiste, bien que son frère ait déclaré à la presse turque que le jeune homme avait été influencé par un groupe islamiste qu'il avait rencontré sur internet. Son père n'était pas un imam ou un politicien intégriste, mais un dentiste local. C'est le pistolet de son père que l'adolescent a utilisé pour tirer sur Santoro, et le père a dit que son fils était en cours de soins psychiatriques.

J'ai demandé à Padovese ce qu'il croyait être le motif réel de l'assassinat de Santoro. Il a dit qu'il ne savait pas quel démon avait poussé jeune homme, mais que l'écarter, comme un acte isolé, était une erreur. La montée du fondamentalisme islamique et les préjugés anti-chrétiens, dit Padovese, ont façonné le contexte dans lequel l'adolescent a agi.

"C'est le climat anti-chrétien qui a été produit en Turquie", dit Padovese. "Il y a un fort courant d'extrémisme religieux, et un tel climat peut alimenter ce genre de haine. Il est transmis dans les familles, dans les écoles, dans les journaux".

Padovese dit que chaque semaine la conférence des évêques turcs prépare un bulletin énumérant les "commentaires dénigrants" ou les "lieux-communs" sur le christianisme, qui sont parus dans la presse turque.

"Il y a une fausse image de notre présence, qui n'est généralement pas contestée, dit-il.

Comme exemple de ce que Padovese a à l'esprit, l'agence de nouvelles catholique "Asia News" a récemment cité un essai d'un universitaire occidental qui, l'été dernier, faisait des recherches dans une petite ville côtière de la mer Noire, près de Trabzon. Durant cette période, il a vu un article de journal intitulé "Un prêtre aperçu". Il rapportait que les enfants de l'endroit avait vu un prêtre dans les environs de la ville, mais l'avait chassé, sous les applaudissements de ses habitants.

L'article cite un homme politique local: "Les prêtres qui arrivent dans notre région veulent rétablir l'État chrétien grec-orthodoxe qui a été ici avant. Il y a des espions parmi ces prêtres, travaillant pour l'Occident. Ils tentent de détruire notre paix".

C'est le genre de mauvaise interprétation dont Padovese pense qu'elle pourrait avoir façonné le contexte dans lequel un adolescent turc émotionnellement influençable, a choisi de prendre pour cible un missionnaire catholique.

Padovese souligne qu'il "aime le peuple turc", dont la plupart "sont de bonnes personnes qui veulent le dialogue". Dans le même temps, a-t-il dit, "il existe des zones de la Turquie qui sont complètement islamisés, où il est dangereux d'être un chrétien".

Padovese relie la mort Santoro à l'ensemble des luttes de la petite population chrétienne de Turquie, un pays souvent salué comme un modèle d'Islam modérés, occidentalisé, et actuellement candidat à l'adhésion dans l'Union européenne.

"Il y avait plusieurs millions de chrétiens en Turquie lors de la chute de l'Empire ottoman", dit-il. "Comment est-il possible que, dans l'espace de seulement 70 ou 80 ans, nous ne sommes plus que 60.000 ou 70.000? La vérité est que des centaines de milliers de chrétiens se sont convertis à l'Islam, en prenant les noms islamique qui masquent leur identité, par crainte de persécution" , dit-il.

«La présence chrétienne est toujours là, je sais qu'elle est là", dit Padovese. "Beaucoup de ces gens savent qu'ils sont chrétiens, ou qu'ils proviennent de familles chrétiennes, mais ne peuvent pas le dire."

Cette crainte, dit Padovese, est la chaîne et la trame de la vie chrétienne dans le Moyen-Orient tout entier.

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<<< Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?  

Notes


(*)
Je lis aujourd'hui sur Il Foglio que des intellectuels italiens accusent les catholiques d'être "sourds au martyre". Parmi eux, la voix respectée de Massimo Introvigne, qui dit en réalité, avec beaucoup de modération:
"L'Eglise ne veut pas interrompre le dialogue avec le gouvernement turc d'Erdogan, sur lequel elle a un jugement nettement moins négatif que ce qu'on lit dans une certaine presse occidentale (ndt: elle le considère sans doute comme un moindre mal). C'était la ligne du voyage du Pape en Turquie. Ces assassins ne sont pas des déséquilibrés, il existe au contraire un fondamentalisme d'environnement, comme on le dit en Italie de la mafia, un islamisme violent que le gouvernement Erdogan tolère ou flatte. Le destin des chrétiens est terrifiant, dans cette situation. Mais le Saint-Siège a choisi d'obtenir un peu de sécurité en plus pour les siens, à travers la ligne du dialogue qu'elle entend poursuivre"

(**) A lire sur Zenit cette interviewe du Père Michel, datant de 2001

La présence chrétienne dans les pays arabes
Témoignage difficile sans inculturation

ROME, dimanche 18 mars 2001 (ZENIT.org/FIDES) - " Les chrétiens, dans les pays arabes, jouissent en général
de la liberté de culte. L´Arabie Saoudite, où il n´y a pas de liberté religieuse, est une exception ". C´est ce qu´a déclaré à l´agence Fides le père Thomas Michel, Jésuite, Consulteur du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, à l´occasion de la visite "ad limina" des évêques latins du Moyen-Orient, qui a eu lieu du 12 au 17 mars.
.....

A LIRE SURTOUT CET ARTICLE DE SANDRO MAGISTER, écrit en octobre 2006, juste après Ratisbonne.
Je recopie ici ce qui est dit du jésuite:
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Le Père Michel est actuellement responsable officiel du dialogue avec l’islam de la Compagnie de Jésus et de la Conférence épiscopale d’Asie.

Entre 1981 et 1994, il a joué un rôle encore plus important pour le Vatican, celui de chef du bureau de l’islam au sein du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Dans cette fonction, il contrôlait préalablement les discours de Jean Paul II sur le monde musulman.

Le père Michel a exprimé des dures critiques à l’égard de Benoît XVI pour sa leçon de Ratisbonne. Et il l’a fait en direct radiophonique le 25 septembre sur le site Internet multilingue du Cheick Yûsuf Al-Qaradâwî, le meneur d’opinion le plus écouté dans le monde arabe, étoile de la chaîne télé Al-Jezira, idéologue des Frères musulmans, et thuriféraire du "martyr" des auteurs d'attentats-suicides.

La transcription (en anglais) du débat entre le père Michel et ses interlocuteurs musulmans est disponible sur ce site (??)

<<< Assassinat de Mgr Padovese: quelle vérité?  
Les fausses statistiques de l'immigration Le Saint curé d'Ars et le Saint-Père (III)