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Il y a sept ans Ratisbonne (8)

Dernière partie de notre "lecture pas à pas", et la conclusion du Pape: "Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures" (26/9/2013)

>>> Ci-contre: Manuel II Paléologue (1350-1425)

Ainsi s'achève ce "voyage" dans un très grand texte auquel j'ai bien conscience de n'avoir apporté qu'une contribution cosmétique...
Mais j'ai vraiment l'impression de l'avoir un peu mieux compris, et le relisant ainsi.
Merci aux lecteurs qui auront eu la patience de m'accompagner jusqu'au bout.

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XI Conclusion
"Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures, est inapte au dialogue des cultures".

J'en arrive ainsi à la conclusion.

L'essai d'autocritique de la raison moderne esquissé ici à très gros traits n'inclut d'aucune façon l'idée qu'il faille remonter en deçà des Lumières (Aufklärung) et rejeter les intuitions de l'époque moderne.
Nous reconnaissons sans réserve la grandeur du développement moderne de l'esprit.
Nous sommes tous reconnaissants pour les vastes possibilités qu'elle a ouvertes à l'homme et pour les progrès en humanité qu'elle nous a donnés.
L'éthique de la scientificité – vous y avez fait allusion M. le Recteur magnifique – est par ailleurs volonté d'obéissance à la vérité et, en ce sens, expression d'une attitude fondamentale qui fait partie des décisions essentielles de l'esprit chrétien.

Il n'est pas question de recul ni de critique négative, mais d'élargissement de notre conception et de notre usage de la raison.
Car, tout en nous réjouissant beaucoup des possibilités de l'homme, nous voyons aussi les menaces qui surgissent de ces possibilités et nous devons nous demander comment les maîtriser.
Nous ne le pouvons que si foi et raison se retrouvent d'une manière nouvelle, si nous surmontons la limitation autodécrétée de la raison à ce qui est susceptible de falsification dans l'expérience et si nous ouvrons de nouveau à la raison tout son espace. Dans ce sens, la théologie, non seulement comme discipline d'histoire et de science humaine, mais spécifiquement comme théologie, comme questionnement sur la raison de la foi, doit avoir sa place dans l'Université et dans son large dialogue des sciences.


C'est ainsi seulement que nous devenons capables d'un véritable dialogue des cultures et des religions, dont nous avons un besoin si urgent.
Dans le monde occidental domine largement l'opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui s'y rattachent seraient universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient cette exclusion du divin de l'universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures.
En cela, comme j'ai essayé de le montrer, la raison des sciences modernes de la nature, avec l'élément platonicien qui l'habite, porte en elle une question qui la transcende, ainsi que ses possibilités méthodologiques. Elle doit tout simplement accepter comme un donné la structure rationnelle de la matière tout comme la correspondance entre notre esprit et les structures qui régissent la nature : son parcours méthodologique est fondé sur ce donné.
Mais la question « pourquoi en est-il ainsi ? » demeure. Les sciences de la nature doivent l'élever à d'autres niveaux et à d'autres façons de penser – à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, d'une autre façon, pour la théologie, écouter les grandes expériences et les grandes intuitions des traditions religieuses de l'humanité, mais spécialement de la foi chrétienne, est une source de connaissance à laquelle se refuser serait une réduction de notre faculté d'entendre et de trouver des réponses.

Il me vient ici à l'esprit un mot de Socrate à Phédon. Dans les dialogues précédents, beaucoup d'opinions philosophiques erronées avaient été traitées, maintenant Socrate dit : « On comprendrait aisément que, par dépit devant tant de choses fausses, quelqu'un en vienne à haïr et à mépriser tous les discours sur l'être pour le reste de sa vie. Mais de cette façon, il se priverait de la vérité de l'être et pâtirait d'un grand dommage ».
Depuis longtemps, l'Occident est menacé par cette aversion pour les interrogations fondamentales de la raison et il ne pourrait qu'en subir un grand dommage.
L
e courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non de nier sa grandeur – tel est le programme qu'une théologie se sachant engagée envers la foi biblique doit assumer dans le débat présent.

« Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le Logos, est en contradiction avec la nature de Dieu » a dit Manuel II à son interlocuteur persan, en se fondant sur sa vision chrétienne de Dieu.
Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau est la grande tâche de l'Université.

© Copyright 2006 - Libreria Editrice Vaticana
FIN