C'est ce que me suggère la lecture d'un article de Philippe Levillain, qui vient de paraître dans Le Monde (23/6/2012)
>> Article ici: http://www.lemonde.fr/idees
Philippe Levillain (le même qui, dans un débat organisé sur la Chaîne Public Sénat avait osé prétendre que Joseph Ratzinger avait été élu Pape sous les huées. Cf. L'insupportable mensonge) revient pesamment à la charge.
Dans un article publié dans Le Monde, dont le titre résonne carrément comme un manifeste, "Pour Vatican III" , il donne la parole à ceux qui "estiment que la conduite de l'Église universelle devait être confiée à un organisme collégial permanent, composé d'évêques ayant un pouvoir délibératif".
Des propos qui rappellent trop un article - à plusieurs mains! - publié par la Croix en février 2009, en pleine affaire Williamson, pour qu'il s'agisse d'un simple hasard (1)
Je suis contente d'avoir traduit hier l'éditorial de Corrispondenza Romana (Cf. Crise du Vatican, ou crise de la foi? ): il apportait des arguments que les faits - sous les yeux de chacun - ne contredisent pas vraiment, c'est le moins que l'on puisse dire.
Philippe Levillain cite ici Alberto Melloni, juste qualifié dans son papier de "spécialiste de Vatican II", et qui apparaît donc ainsi comme une autorité indiscutée.
Melloni est peut-être un spécialiste du Concile, mais il aurait fallu ajouter qu'il l'interprète, en opposition avec notre Pape, selon une herméneutique de rupture
La présentation de Levillain est donc un mensonge par omission, car le lecteur français qui ne suit pas la presse italienne n'a aucun moyen de savoir qui est effectivement Alberto Melloni, dont il a été question à différentes reprises dans ces pages, encore tout récemment dans cet article consacré au Professeur de Mattei: Les fruits du Concile Vatican II >> note de Sandro Magister)
Pour en savoir un peu plus sur Melloni, et son hostilité contre Benoît XVI, on pourra se reporter à cet article, où le Père Scalese répondait à un texte agressif du même Melloni, au lendemain de la visite du Saint-Père en république Tchèque: cf. http://benoit-et-moi.fr/2009/ .
J'écrivais, à propos de Melloni (mais c'est une description très partielle, et on trouvera certainement d'autres choses en fouillant sur Internet, avec la seule réserve qu'on ne trouvera pas grand'chose en français):
Alberto Melloni: peu connu en France, mais semble-t-il star en Italie; intellectuel italien consulté par les grands medias comme un oracle, arbitre de morale, d'orthodoxie catholique (anti-Ratzinger, évidemment), et "spécialiste de l'histoire des religions", en particuler du Concile Vatican II, où ... il s'oppose à l'herméneutique de la continuité de Benoît XVI, disposant d'une chronique dans Il Corriere della Sera où il polémique régulièrement avec l'Eglise, par exemple sur la béatification de Pie XII, ou la vénération de Padre Pio.
Levillain conclut son article en suggérant (lourdement!) l'organisation d'un Vatican III.
Dans l'état actuel des choses, la seule riposte possible à tant d'encombrements et d'incertitudes pour l'institution pontificale, son magistère et son territoire serait peut-être d'annoncer le projet de convoquer un Concile œcuménique à l'instar de Jean XXIII.
Vatican III ? Mais si Jean XXIII mit en œuvre une énorme machine qui ne répondait à aucune crise flagrante dans l'Église au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Benoît XVI aurait à investir le Concile d'une clarification de tous les malentendus qui s'amplifient depuis 50 ans. Et surtout, à ouvrir un volet de théologie morale fixant la doctrine de l'Église sur l'anthropologie chrétienne et les relations de l'homme à son corps et à l'autre, y compris dans le domaine de l'économie sociale et du don, évoqué dans l'Encyclique Spe Salvi (30 novembre 2007). Et son successeur, dont il est dorénavant constamment question, serait élu en fonction de la poursuite de ce projet.
Vatican III est une obsession récurrente des modernistes. On se doute que leurs intentions ne sont pas vraiment de ramener le calme, mais au contraire d'installer la révolution, en instituant "une Eglise parlementaire, avec le Pape qui se bornerait à entériner les décisions prises à la majorité", et d'obtenir enfin satisfaction sur les questions qui leur tiennent à coeur en matière de moeurs, notamment. Bref, une fusion totale avec le monde, qui équivaudrait à un anéantissement.
En février 2009, Hans Küng (il n'est jamais loin, quand il s'agit d'ajouter sa petite contribution personnelle à la destruction de l'Eglise) dans une interviewe au Monde, disait:
Un Vatican III ? Cela pourrait aider. Une telle réunion permettrait de régler des questions auxquelles Vatican II n'a pas répondu, comme le célibat des prêtres ou le contrôle des naissances.
Il faudrait aussi prévoir un nouveau mode d'élection des évêques, dans lequel le peuple aurait davantage son mot à dire. La crise actuelle a suscité un mouvement de résistance. Beaucoup de fidèles refusent de revenir à l'ancien système. Même des évêques ont été obligés de critiquer la politique du Vatican. La hiérarchie ne peut l'ignorer.
(cf. http://benoit-et-moi.fr/2009-I/..)
Levillain a lu Joseph Ratzinger, il sait que celui-ci y est opposé.
Déjà en 1992, le vaticaniste Lucio Brunelli lui avait demandé si vraiment - comme certains le soutenaient - le moment était venu de faire un Vatican III pour «corriger» les defaillances doctrinale et disciplinaires de Vatican II.
La réponse du préfet de l'ex Saint-Office avait été spontanée et sans équivoque: "Pour l'amour du ciel!" (cf. http://benoit-et-moi.fr/2010-II..)
En 1997, dans "Le sel de la terre" (page 243-244), le préfet de la CDF expliquait à Peter Seewald:
PS: Il semble qu un grand concile se déroule depuis longtemps hors du Vatican. On rejette les messages du salut, on redéfinit en tous lieux les principes de la foi. L'Église a-t-elle besoin d'un Vatican III pour tout clarifier et montrer le chemin ?
JR: Je dirais : non, pas dans un proche avenir. Je peux, à ce propos vous raconter une histoire. Le cardinal Cordeiro, du Pakistan, m'a un jour raconté, alors que nous assistions ensemble à un synode - le cardinal Dópfner étant là lui aussi -, que quelqu'un a dit : Eh bien, il faudra que vienne un troisième Vatican. Alors Dópfner, avec une expression d'épouvante, a levé les deux mains et dit : « Not in my lifetime ! » L'expérience d'un seul concile lui suffisait pleinement. Il en était apparemment arrivé à la conviction que ce sont là des expériences qui ont besoin d'étre espacées par de grands intervalles de temps.
En fait, un concile est un événement qui bouleverse tout dans l'Église, qui prend beaucoup de temps pour étre mené à bien. Nous en avons encore pour longtemps avant de maîtriser Vatican II. Un Vatican III ne serait pas le bon moyen d'y parvenir.
Ce qui a lieu régulièrement, ce sont les synodes d'évêques. Je crois que c'est un instrument bien plus adapté, plus réaliste. Là sont réunis deux cents évéques venus de toutes les parties du monde, la proportion des représentants correspondant aux différents pays, et ils doivent essayer d'analyser ensemble la situation actuelle. Un concile oecuménique serait, rien que par ses dimensions, un événement impossible à maîtriser. Il faudrait compter avec trois mille, quatte mille évéques. Ce sont des ordres de grandeur qui ne permettent plus de véritable échange,
de véritable dialogue. Pour que l'on puisse prendre des décrets salutaires, il faut que cela soit préparé de l'intérieur. Un concile n'est pas une sorte de deus ex machina qui décréterait les bonnes décisions, après quoi tout reprendrait son cours régulier. Il ne peut qu'appréhender les données vivantes qui sont déjà présentes et les réorganiser en décrets Aussi est-il avant tout nécessaire d'avoir la patience d'attendre le développement, la patience d'attendre la mise en forme vivante du temps et des questions, avant que tout puisse étre fondu sous la forme juridique de décrets et de textes.
Je ne crois donc pas que l'on puisse voir dans un concile un quelconque remède miracle. Au contraire, un concile crée des crises, qui doivent naturellement devenir ensuite des crises salutaires. Pour l'instant, nous sommes occupés à nous mettre à jour avec Vatican II.
Et encore tout récemment, dans le livre interviewe "Lumière du monde", le Saint-Père répondait ainsi à une question du même Peter Seewald (le ton semble moins catégorique, mais on peut l'interpréter par la moindre liberté d'expression du Pape, relativement au cardinal):
- Vous pensez que l'Église catholique pourrait faire l'économie d'un concile Vatican III ?
- Nous avons eu vingt conciles au total, il y en aura certainement un autre un jour ou l'autre. Pour l'instant, à mon avis, les conditions ne sont pas réunies. Je crois qu'en ce moment les synodes sont le bon instrument ; tout l'épiscopat y est représenté et se trouve pour ainsi dire dans un mouvement de recherche qui maintient l'Église tout entière en cohésion et en même temps la fait avancer. Le moment de réunir un grand concile reviendra-t-il ? L'avenir en décidera.
Pour l'heure, nous avons avant tout besoin des mouvements par lesquels l'Église universelle place des jalons, en puisant dans les expériences du temps et instruite par la connaissance intérieure de sa foi et de sa force. Elle fait ainsi de la présence de Dieu un point essentiel.
(page 94)
Donc, de la part de Benoît XVI, Vatican III, c'est non, et Philippe Levillain sait bien qu'il n'y a rien à attendre de lui de ce côté.
Et c'est tout le sens de son article: il ne se gêne même pas pour évoquer "son successeur, dont il est dorénavant constamment question, [qui] serait élu en fonction de la poursuite de ce projet".
Conclusion inquiètante:
Se pourrait-il, finalement, que certains de ses opposants posent des jalons pour le futur conclave, en vue d'organiser effectivement l'évènement Vatican III? De le hâter, au besoin? Et que ce soit là l'explication des Vatileaks?
Note
(1)
Plongeant dans les archives de ce site, j'y retouve (ici) les "6 enseignements" tirés par La Croix, en février 2009, en plein milieu de l'affaire Williamson (cf. http://www.la-croix.com/Religion/)
Je pense que les mêmes gens pourraient dire les mêmes choses aujourd'hui. En particulier:
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Une vraie concertation s'impose avec les Conférences Épiscopales
«On vient de voir ce que donne un exercice très personnel, pour ne pas dire monarchique, du ministère papal », analyse le P. Joseph Famerée, professeur d'ecclésiologie à l'Université catholique de Louvain (Belgique). À l'unisson de nombreux théologiens et évêques, il regrette qu'il n'y ait pas eu une consultation des épiscopats concernés, ni même un travail concerté au sein de la Curie.
« Juridiquement, comme disent les Italiens, il papa decide da solo », pointe le P. Hervé Legrand, théologien dominicain, mais, souligne-t-il, « une chose est de décider en dernier ressort, autre chose est de décider solitairement, comme ce fut, semble-t-il, le cas ». Résultat : aucun filet n'a permis d'anticiper la crise.
« Nous avons cruellement besoin de procédures de nature collégiale, insiste le P. Laurent Villemin, professeur d'ecclésiologie à l'Institut catholique de Paris. La manière d'exercer l'autorité pontificale ne peut plus être uniquement descendante. »
Depuis le Concile, les théologiens ont esquissé des pistes pour favoriser un vrai dialogue et une véritable communion dans l'Église : installer un synode permanent d'évêques auprès du pape, promouvoir des conciles régionaux où évêques, prêtres et laïcs puissent débattre, inscrire dans le droit canonique des règles de consultation s'imposant au pape?
« L'ensemble du peuple catholique a le désir d'être davantage associé au débat et à la prise de décision dans l'Église, insiste Joseph Famerée. Il serait inquiétant de ne pas en tenir compte. »