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Agora, un pamphlet politique

Carlota élargit la réflexion à partir de sa critique précédente du dernier"chef-d'oeuvre" d' Amenábar qui sort ces jours-ci en France. Elle a traduit un article du site espagnol www.cope.es (9/1/2010)


* * * *

Pendant que les chrétiens coptes continuent toujours à subir des discriminations en Égypte, voire des persécutions (voir ici), Le film «Agora » a fait 3.4 millions d’entrées en Espagne depuis sa sortie en octobre dernier : l’effet «Luttons contre l’obscurantisme » - évidemment toujours chrétien sinon catholique - est très efficace et pas seulement outre-Pyrénées, pour attirer les foules dans les salles obscures !

Voilà ce qu’en a dit Josep Miró i Ardèvol, ancien ministre catalan de l’agriculture dans les années 80, membre du Conseil Pontifical pour les Laïcs, président de la Convention Chrétiens pour l’Europe et très actif président d’ E-Cristians ,une association d’origine catalane qui s’est étendue à l’Espagne et à l’Amérique latine et qui a s’attache, répondant aux recommandations du Saint Père, à promouvoir l’engagement des chrétiens dans la vie publique avec pour slogan « Vivre le christianisme sans complexe ». Cette association est bien sûr très impliquée dans les grands débats de société qui agitent actuellement l’Espagne dont le rejet des lois avortives du gouvernement Zapatero.
Josep Miró i Ardèvol est particulièrement remonté contre Amenábar. Son analyse démontre bien l’affirmation « Notre époque n’est pas historienne : elle est vindicative » de François Miclo que vous venez de nous faire découvrir (Lu ailleurs , 7 janvier).

Mon texte à partir d’un article paru le 30 octobre 2009 sur http://www.cope.es
Carlota


Amenábar a fait un nouveau film, Agora, qui se caractérise par la déformation des faits, c’est à dire, par la tromperie, pour l’ajuster à son discours athée et anti-chrétien. Il s’est lui même présenté dans de multiples interviews qu’il a données durant la compagne promotionnelle de son nouveau film, comme athée et affichant sa condition d’homosexuel et pour rester dans le sujet c’est comme si Clint Eastwood avait besoin à chaque fois qu’il était interviewé de préciser qu’il était un hétéro militant.
Toutes les interviews sont, logiquement, conçues pour la plus grande gloire du réalisateur et de son film. Cela fait partie des règles du jeu, une simple promotion commerciale où la publicité pure et dure remplace la démarche journalistique habituelle. Malgré cela, et malgré le soin des interviewers, toujours attentifs à l’obligatoire panégyrique, le réalisateur manifeste des qualités curieuses, pour le dire de cette façon là.
C'est en effet un curieux sentiment de culpabilité qui l’amène à déclarer « je ne peux m’en empêcher. Dans les aéroports j’ai toujours le soupçon qu’on va m’arrêter à tout moment pour n’importe quoi ». Il attribue cela à une peur de l’ « Autorité » qui constitue dans son imaginaire une valeur abstraite et omniprésente. Des plaisanteries que la propre conscience dissipe.
Il ne cesse de déclarer que dans sa nouvelle oeuvre il est fidèle aux faits historiques. Comme je pense qu’il s’agit d’une personne raisonnablement instruite, qu’il a préparé son film, alors il ne me reste plus qu’à en déduire qu’il trompe, ment, ou peut-être s’abuse lui-même, parce que ce que projette Agora n’a rien à voir avec ce qui s’est réellement passé.

Ce film n’est pas l’histoire d’Hypatie, ni encore moins des relations entre les néoplatoniciens et les Chrétiens à Alexandrie. La véritable intention du réalisateur apparaît grâce aux si nombreuses et longues interviews qui l’obligent à parler. Par exemple quand il affirme que sa véritable intention est de dénoncer ceux qui usent de la violence comme argument, comme le font, dit-il les étarristes (ndt: autonomistes basques extrémistes) et les terroristes islamistes. Évidemment, et pour cela il a recourt à un fait d’il y a plus de 1600 ans, en impliquant les Chrétiens dans l’affaire. En réalité, son intention est manichéenne et il ne peut la cacher : « j’ai imaginé cette lutte entre les païens et les chrétiens anciens […] comme si cela avait été notre guerre civile ». C’est clair, n’est ce pas ?

Malgré ces faux pas, il récidive dans ce que la nécessité commerciale lui a prescrit, en pensant spécialement à un marché qui lui résiste comme celui des Etats-Unis, très sensible aux pamphlets antichrétiens : « J’ai insisté beaucoup dans le fait que le film n’est pas contre les chrétiens mais contre ceux qui utilisent la force pour défendre leurs idées ».
Dommage qu’en ayant des exemples aussi catégoriques et proches comme Staline et Lénine, Hitler, Mao, Pol Pot, ou peut-être pour faire une production sur un thème historique, l’époque de la Terreur de la Révolution Française, ou le premier génocide, de Vendée, il ait besoin d’avoir recours à une des multiples révoltes de la cité cosmopolite d’Alexandrie à la période du début du christianisme, et aux affrontements politiques qui eurent lieu entre les différents groupes. Des faits qui présentent mal la thèse qu’il dit vouloir raconter : des violents qui massacrent des pacifiques, bienveillants et cultivés rationalistes

L’évidence de sa non-connaissance ou de sa volonté de trahir la réalité se manifeste dans des prétentions comme celle d’affirmer que le cinéma n’a pas beaucoup raconté la période de changement entre le monde antique et le monde médiéval, alors qu’il s’agit d’un des thèmes ayant enregistré, avec des œuvres médiocres ou bonnes, une notable production cinématographique.

Mais surtout ce qui doit être souligné c’est qu’il est toujours étonnant que, alors que les quatre premiers siècles de l’histoire chrétienne se caractérisent par la persécution dans des circonstances terribles pour ceux qui en furent les victimes, on aille se fixer sur un fait isolé, qui en outre a été utilisé maintes fois mais aussi d’une manière fausse, dans l’histoire, par l’athéisme agressif et la franc-maçonnerie.
On a tenté de convertir une mathématicienne et astronome, Hypatie, en un symbole de la raison contre l’obscurantisme chrétien. Mais dans ce cas, à la différence des autres, l’évidence des faits est si grande que le succès n’a pas accompagné le dessein historique. Dans ce cas-là la légende noire n’a pas réussi à prendre.
En d’autres termes, Amenábar utilise comme scénario un des pamphlets édités au XIXème siècle. Pour le faire, c’est clair, il a pu compter sur un budget de 50 millions d’euros, quelque chose d’insolite pour un réalisateur espagnol, mais c’est bien sûr que lorsqu’il s’agit de se payer l’église catholique l’argent ne manque jamais.
Présenter la femme dans le contexte de ce que fut la société païenne, dans des conditions d’émancipation comme celles qui caractérisent Hypatie, serait absolument incompréhensible si on ne signale pas en même temps que c’est le développement croissant du christianisme et sa conception de l’égale dignité de l’homme et de la femme qui les ont rendues justement possibles. Le paganisme, les Classiques grecs et romains ont conféré à la femme un rôle subalterne et essentiellement domestique et en aucun cas lié aux institutions publiques, exception faite pour des cultes religieux spécifiques et déterminés. Ce qui veut dire qu’Hypatie est le résultat de l’évolution de la société influencée de manière croissante par le christianisme. Et cela notre réalisateur l’escamote..
Pareillement, de la même façon qu’Amenábar présent Hypatie, il est nécessaire de se rappeler d’autres figures de femmes philosophes ou écrivains comme Eudocie, née dans une famille païenne sous le nom d’Athénaïs, et convertie ensuite au christianisme. La présence publique de femmes dans une société qui était en train de se christianiser s’explique seulement par ce dernier fait, lequel contredit de plein fouet ce que Amenábar nous raconte. Comme le fait de vouloir présenter le paganisme, le néo-platonisme même, comme une source de raison et de lumière. Pas de doute que Platon, comme d’autres Classiques, a été à l’origine d’importants apports à la philosophie, mais ce que nous connaissons de ces apports comme bon est passé par le tamis de l’interprétation, et dans beaucoup de cas, celui de Saint Augustin, la recréation chrétienne.
Le platonisme intégral, sans rien d’autre et sans nuances, serait quelque chose d’inacceptable pour un esprit éclairé et celui qui en doute, qu’il s’intéresse seulement à “La République. (*)
L’idée de la confrontation brutale entre des chrétiens et des païens est elle aussi absolument fausse. Dans l’empire byzantin et à Alexandrie en particulier, de nombreuses troubles se produisirent aux IV et V ème siècles, fruits de tensions entre les différents courants politiques et des chrétiens eux-mêmes. Hypatie est morte mais aussi des évêques avant elle. Ce fut une période de luttes politiques fortes. C’est si évident que les relations entre les penseurs chrétiens et païens furent, en général, bonnes. En réalité, beaucoup appartenaient aux mêmes familles. Hypatie elle-même eut parmi ses élèves des chrétiens et des païens et elle fut conseiller aulique du gouvernement de la cité.
Et la constatation de tout cela c’est que l’assassinat d’Hypatie fut le fruit d’un groupe, et de troubles et non le résultat d’une confrontation entre « ce qui était chrétien et ce qui ne l’était pas ». C’est si évident que l’école platonicienne continua à fonctionner tout à fait normalement durant plus de 200 ans après sa mort (ndt : Ce ne sont donc pas les chrétiens qui supprimèrent ce courant de pensées mais d’autres. Les lecteurs rechercheront la coïncidence des dates…). Et surtout la prémisse majeure : ceux qui persécutèrent massivement, réprimèrent, torturèrent les chrétiens, ce furent les païens au nom du paganisme et des raisons qui aujourd’hui nous paraissent brutalement irrationnelles, comme le constatèrent les propres procès-verbaux des jugements romains.
Amenábar abuse tellement, ment tellement avec ses images et argument qu’il fait du film le plus cher jamais tourné en Espagne un pamphlet politique.

Note de Carlota

(*) Malheureusement il est de bon ton de glorifier les Anciens en oubliant les grands penseurs chrétiens. J’ai lu récemment le dernier court roman de Roman Sardou : « Quitte Rome ou meurs » (Xoeditions.com 2009).
Il y met en scène Sénèque, contemporain de Jésus, mais né à l’autre bout du monde romain (dans l’actuelle Cordoue). Sénèque, à peu près à l’époque où le Christ commence sa vie publique, se rapproche de la gloire en devenant l’amant d’une sœur de l’empereur Caligula. Il est fait par la suite précepteur de Néron, et se suicide à l’âge de 65 ans sur l’ordre de son ancien impérial disciple. Certes cet auteur latin est l’un des meilleurs penseurs de son époque, mais j’avoue qu’à la lumière de l’enseignement chrétien, je ressens sa pensée comme inachevée. Romain Sardou écrit cependant : « […] les Lettres à Lucilius de Sénèque. Cet ouvrage bientôt bimillénaire […] n’a jamais connu d’éclipse durable, même au cours de l’essor pris par la pensée chrétienne qui inféoda les propos de Sénèque à ses besoins ».
Il est, je crois, utile de relire vraiment (si tant est qu’une première lecture en a déjà été faite) les grands penseurs chrétiens avant de prononcer ce genre d’assertion ? D’autant que Romain Sardou lui-même cite en début de son livre, Émile Faguet, l’Art de lire, 1912, qui dit notamment « […] Il faut lire aussi lentement un livre pour en jouir que pour s’instruire par lui ou le critiquer […] ».
Toujours aussi rude tâche aujourd’hui !

Sortie d'Agora, le "chef-d'oeuvre" d'Amenabar La lettre de Jeannine (II)