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Le Pape vu par le Rabbin

Jacob Neusner est le "Rabbin ami du Pape", celui qui a été cité longuement dans "Jésus de Nazareth". Il est venu à Rome pour la visite à la Synagogue, et a été reçu en privé par le Saint-Père. Un récit très émouvant, sur Il Foglio (22/1/2010)

Voir ici: Juifs et chrétiens, le mythe d'une tradition commune.

J'ai traduit ce très long article paru sur le journal exemplaire qu'est l'italien "Il Foglio"
Il s'agit d'une longue interviewe du "rabbin ami du pape", une personnalité attachante, Jacob Neusner, venu à Rome en particulier pour assister à la visite de Benoît XVI à la grande Synagogue.
Pour moi, c'est un document exceptionnel, sur la personnalité du Saint-Père, et surtout sa façon d'envisager le dialogue avec les juifs. Un dialogue, ici, avec un ami, un savant, comme lui.

Le journaliste explique dans quelles circonstances il a été amené à rencontrer le Rabbin, et comment ce dernier s'est fait connaître du Saint-Père. Nous le savions déjà.

Le passage le plus important, le plus intéressant et le plus émouvant, est le récit de la rencontre privée (et brève), du rabbin Neusner avec le pape. Confirmation que ce dernier n'a pas un moment à lui. Et qu'il a terminé le second volume de Jésus de Nazareth. (en rouge dans le texte)

Les racines judéo-chrétiennes dans la rencontre entre deux professeurs.
Quatre jours avec Jacob Neusner à Rome

Andrea Monda
Source: Raffaella
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J'étais en compagnie de Jacob Neusner, en ce tranquille week-end romain de Décembre, sans pluie, et cela a été une expérience unique que je souhaite à chacun d'entre nous, Italiens aux yeux paresseux et poussiéreux. J'ai compris en fait ce que veut dire Tolkien quand il écrit que "Nous devrions regarder encore le vert, nous laisser surprendre de nouveau [...] regagner, retrouver une vision claire. Nous devrions, en tout état de cause, nettoyer nos fenêtres, de sorte que les choses vues avec clarté puissent être libérés de l'opacité ennuyeuse de la banalité ou du familier.

Pour un romain, rien de plus familier que le pape. Même quand il vient d'un pays lointain, le Pape est toujours Trasteverino (de l'autre côté du Tibre, que l'on traverse pour se rendre de Rome au Vatican). Et s'il est beau que le pape soit quelqu'un de familier, il peut y avoir un risque s'il devient banal, si nos fenêtres s'opacifient et s'incrustent de préjugés.
Heureusement, d'après Tolkien, il y a l'humilité. Et il y a, surtout pour les humbles, Mooreeffoc, autrement dit l'imagination chestertonienne. Mooreeffoc est un mot imaginaire, mais on peut le voir écrit dans chaque village de notre pays. C'est en fait l'enseigne d'un Coffeeroom, un café, vue de l'intérieur, à travers une porte vitrée, comme Dickens l'a vu en une une sombre journée de Londres; et Chesterton s'en est servi pour décrire la bizarrerie de choses devenues évidentes, quand on les découvre tout à coup d'un autre point de vue .
[NDT: coffeeroom, à l'envers Mooreeffoc, "coffee-room, viewed from the inside through a glass door, as it was seen by Dickens on a dark London day; ... used by Chesterton to denote the queerness of things that have become trite, when they are seen suddenly from a new angle." [J.R.R. Tolkien]]

Jacob Neusner est venu ici en Italie pour dépoussièrer les yeux et pour nettoyer quelques fenêtres.
Je ne l'avais rencontré qu'à travers un échange de mails en Mai 2007; je voulais l'interviewer pour Il Foglio à propos du livre du Pape, qui l'avait mis en cause, en lui consacrant plusieurs pages de commentaires sur le Sermon sur la Montagne.
Aujourd'hui, il est ici, à Rome pour un débat avec Mgr Bruno Forte, qui s'est tenue lundi soir à l'Auditorium de Rome pour la présentation du livre Imago Christi réalisé par la Fondation Marilena Ferrari. C'est cette Fondation qui m'avait demandé d'inviter Jacob Neusner pour un débat sur le texte de l'Evangile de Matthieu chapitres 5-7, et il n'y avait pas de choix plus évident: déjà en 1993 Neusner avait écrit un essai, "A Rabbi Talks with Jesus" dans lequel le Rabbin imaginait être présent sur la montagne pour écouter l'ipsissima verba Christi (les paroles mêmes du Christ) pour la première fois, s'efforçant d'éliminer cette accumulation bimillénaire d'opinions et de préjugés, de commentaires, de conceptions et d'idées préconçues qui s'étaient créés sur le texte.
La tentative avait plu alors au cardinal préfet de la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger ( "Cette discussion m'a ouvert les yeux sur la grandeur de la Parole de Jésus") au point que quinze ans plus tard, devenu pape, il a voulu retracer dans son livre sur Jésus de Nazareth le dialogue à distance avec son ami, le rabbin américain. La chose m'a frappé parce qu'Elio Guerriero, l'éditeur en italien du pape m'avait fait remarquer que "la place consacrée au rabbin Neusner est vraiment étonnante, le signe d'une volonté claire, un grand pas en avant dans le dialogue avec les juifs".
Et j'ai donc fait la chose la plus simple à faire: j'ai navigué sur Internet et en quelques secondes, j'ai trouvé l'adresse e-mail de Neusner, je l'ai interviewé. Après la longue conversation par e-mail, nous étions amis: le Rabbin, qui répondait immédiatement, laconiquement, mais avec une rapidité émouvante et surprenante pour mon paresseux temps italien, me dit que je pouvais l'appeler Jacobbo, qui pour lui est l'équivalent italien de Jacob (mais maintenant il a compris l'orthographe exacte et quand il a signé l'autographe sur son livre , il a écrit correctement Giacommo). Mon ami Giacomo m'a en effet offert un livre, l'édition italienne de son introduction au Talmud, dont il est l'un des plus grands experts au monde (son site universitaire recense plus de 800 publications sur la tradition rabbinique) et il m'a également fait don d'une maxime du Talmud qu'il a choisi comme mode de vie "Say little but do much: parler peu, mais faire beaucoup.

J'ai cité le dicton italien, qui dit: "chi fa non parla, chi parla non fa" celui qui fait ne parle pas, celui qui parle ne fait pas") et il s'en est réjoui, non seulement parce qu'il comprend très bien l'italien, malgré son âge et les douleurs qui se font sentir, mais aussi parce qu'il resent profondément la proximité entre l'Italie et l'Amérique. "Rome me rappelle New York" me dit-il tandis que nous nous promenons près de la Villa Borghese, c'est un centre vital, plein de beauté".
Mais la proximité qui lui tient à cœur est autre: "Le Talmud est un texte qui renvoie à la tradition orale du judaïsme. En plus de la partie écrite, la Torah, nous les Juifs, nous attachons une grande importance à la partie orale, le Talmud. Tout comme dans l'église catholique où il n'y a pas seulement l'écriture mais aussi la tradition. Voici une autre chose qui nous unit".
Je lui pose encore des questions sur le Talmud: dire qu'il en est fasciné ne rendrait pas l'idée, et il m'explique que le livre est le résultat de l'étude de générations de rabbins, presque une étude sur le concept d'étude. C'est quelque chose de fondamental, pour Neusner, l'étude et il cite Elie Wiesel qui, dans son essai "Célébration Talmudique" dit: "Étudier signifie s'opposer à la mort, et à ce qui est pire que la mort: l'oubli".

Je commence à lui parler de Benoît XVI, qui, déjà lors de son premier voyage apostolique à Cologne en 2005, alla visiter une synagogue allemande et parla à la jeunesse du monde contemporain affecté d'un oubli "étrange de Dieu" et lui se montre en parfaite harmonie: "Aujourd'hui, nous vivons dans l'oubli. Ce qui manque, c'est l'étude de l'histoire. Je pense à la question des racines chrétiennes. Peut-être que cela a toujours été un peu comme cela ... Je me souviens que, pour les jeunes Américains d'aujourd'hui, parler de la guerre au Vietnam, c'est comme quand on me parlait à moi de la Première Guerre mondiale, un passé qui n'était pas le mien." Mais Neusner ne désespère pas, se déclare heureux d'être né américain (d'une famille d'Odessa) parce que, dit-il, "j'ai confiance dans le peuple américain comme un peuple capable d'autocritique. Nous sommes des patriotes, dans le bon et profond sens du terme".

Je lui demande quelles sont les relations aux États-Unis entre les juifs et les chrétiens et la réponse est brève: "Excellentes. Surtout dans les petites villes il y a une très belle relation entre les chrétiens et les juifs. J'ai beaucoup d'amis chrétiens et catholiques, je pense à l'évêque John Favalora, archevêque de Miami, et au Professeur Andrew Greley de Chicago. Mais ici aussi, en Italie, comme avec les amis de la Communauté de Sant'Egidio. Je me souviens quand j'ai été invité à Milan dans les années 90, où j'ai rencontré le rabbin Giuseppe Laras qui était un ami de l'archevêque d'alors de la ville " (Martini!! ndt).

Neusner lui-même est un carrefour vivant de la relation entre juifs et chrétiens: à 78 ans il enseigne toujours et au premier semestre, il fait un cours à l'université Bard, d'études comparatives de la doctrine sociale, selon le judaïsme et le christianisme classique, de Paul à Irénée, d'Origène à Augustin. Encore plus lapidaire est la réponse à ma question, peut-être trop candide: pourquoi vous intéressez-vous tellement au christianisme "Parce que c'est la religion qui a conquis le monde et c'est l'avenir du monde, parce qu'elle se dresse en défense de la vie contre la mort".
Ces quatre jours de Neusner à Rome ont connu trois moments saillants: la participation à la visite du Pape à la synagogue, l'audience privée avec le Pape pour lui et sa femme Suzanne et le débat à l'Auditorium avec Mgr Forte sur le Sermon sur la Montagne.

Sur le premier, Neusner a été clair: «Un événement incroyable, avec tous les sièges occupés, j'étais vraiment heureux d'y participer, un bon signe pour le dialogue interreligieux.

Sur le second, il s'étend au contraire beaucoup plus, nous en parlons "à chaud" (je l'ai accompagné au Vatican), c'est-à-dire à peine la visite terminée, et le récit qu'en font les époux Neusner mérite d'être cité in extenso:
"Nous sommes arrivés à la Cour de Saint Damase à 11h15 et nous avons attendu longtemps pour être reçus, le pape, en fait, avait du retard dans ses rendez-vous. On nous ont fait asseoir dans une salle, très belle, en vérité, puis on nous a demandé de passer dans une autre encore plus belle, puis un autre encore ... eh bien, nous avons visité cinq salles différentes, toutes très belles, et quelqu'un est venu dans chacune nous présenter des excuses au nom du pape; des personnes très gentilles parlant chacune une langue différente, nous nous en sommes sortis en anglais. Mais personne n'a jamais mentionné où étaient les toilettes, cela m'a frappé car quand nous avons été reçus à la Maison Blanche à plusieurs reprises on nous a demandé si nous avions besoin des toilettes, mais vous le savez, nous, les Américains , nous sommes des gens pratiques. Enfin nous entrons dans le bureau du Pape (mais qu'il est grand, ce bureau!) Et nous étions vraiment électrisés. Il a été très gentil et nous a mis à notre aise. Il n'y avait que nous trois et nous sommes restés seuls pendant quinze minutes, un temps suffisant, dirais-je, pour deux professeurs.
Je connaissais depuis de nombreuses années le savant et je l'estimais, à présent il m'intéressait beaucoup de rencontrer et de connaître l'homme.
Et Ratzinger est un homme humble, gentil. Il ne ressent pas l'urgence de combler le silence entre un mot et l'autre, il se met à l'écoute. En outre, il a encore la saine curiosité du savant, il ne l'a pas mise de côté. Il m'a interrogé sur mes étudiants, je lui ai dit que je les adorais et il a souri, il a compris ce que je voulais dire par cette expression. La chose qui m'a le plus frappé, ce sont ses yeux pénétrants, capable de vous traverser. "
Tandis que Neusner parle je me souviens des mots qu'a utilisé Pier Paolo Pasolini dans son livre sur l'Inde quand il parle de Mère Teresa de Calcutta: "Quand elle regarde, elle voit" et puis Deus Caritas est, qui, au n°31, affirme: "Le programme du chrétien est un cœur qui voit".
Neusner poursuit sur ce thème de l'œil et de la vision.

"Ratzinger est un homme qui a une vision pour l'Europe, pour le monde, pour l'humanité, pour la vie (et contre la mort). Personne d'autre ne semble aujourd'hui avoir une vision, la politique elle aussi est un peu partout en crise. Cet homme gentil sait où il veut aller".
Je lui demande si ils ont parlé politique, il dément catégoriquement: "Nous n'avons pas parlé de politique".
- Et de la rencontre d'hier à la synagogue?
"Rien".
- Et de quoi, avez-vous parlé?
"Nous avons parlé de nos livres, comme on fait entre professeurs. Je lui ai offert deux livres, l'édition italienne de mon essai sur le Talmud et l'édition allemande de "A Rabbi talks with Jésus" et il était très content car il l'avait lu en anglais (une langue qu'il connaît et prononce excellemment ) et aussi parce que, a-t-il dit, "ce sont des livres pas trop longs... ainsi je pourrai les lire, a- t-il ajouté en soupirant, et il m'a parlé de son nouveau livre, le second volume sur Jésus de Nazareth, qu'il vient de terminer et qui sortira dans les six mois. Je lui ai demandé s'il avait l'intention d'écrire d'autres livres, mais la réponse (ce qui semble révéler son désir réel) a été plutôt négative: «J'ai 83 ans, et autre chose à faire".
Là j'ai renoncé à mon intention, de lui proposer d'écrire un livre ensemble".

Je l'ai laissé parler, finir de raconter cette étrange rencontre entre deux vieux professeurs qui sont désormais à des milliers de km de distance, et qui, même s'ils ne se sont rencontrés que pour quinze minutes, se sentent peut-être un peu moins seul.

Le troisième moment était lundi soir à l'Auditorium, le dialogue public entre lui et S. E. Mgr Forte. Nous avons déjeuné ensemble avec Neusner et il m'a dit qu'il avait lu et apprécié le texte qui serait lu par l'archevêque de Chieti, paru dans Il Sole 24 Ore (le rabbin lit et parle correctemnt l'italien).

Là, pour parler comme Bernanos, le risque était que la rencontre entre le théologien catholique et le rabbin soit plutôt une conversation à l'enseigne du miel qu'un débat avec une bonne quantité de sel, mais le danger a été évité grâce en particulier à la sincérité des deux interlocuteurs qui sont courtoisement restés en désaccord.
"Un vrai maître n'est pas quelqu'un qui dit quelque chose de nouveau, mais qui dit quelque chose de vrai", a déclaré Neusner, et Mgr Forte a apprécié la franchise, ajoutant: "La nouveauté du message du Christ n'est pas le message, mais le messager."
"Celui qui se déclare le Seigneur du Sabbat se place en dehors et au-dessus de la Torah", a rappelé le rabbin, mais "le Sermon sur la montagne n'est pas une loi qui s'oppose à la loi mosaïque», a conclu le théologien (citant le protestant Jeremias ), mais plutôt un Evangile, la bonne nouvelle sur l'amour de Dieu qui s'incarne pour sauver l'humanité".
Une vraie rencontre marquée par la rondeur des discours de Forte et les réponses sèches et rapides de Neusner.
Il a été tout aussi laconique dans la voiture alors qu'il rentrait à l'hôtel, quand j'ai essayé de le provoquer en l'interrogeant sur Pie XII: "Maintenant, il est trop tôt pour juger. Certes, il me semble qu'il y a des attaques contre le dialogue entre nous et l'Eglise par des gens qui, de façon malhonnête, n'ont aucun intérêt, même dans pour le judaïsme », mais il n'a rien voulu ajouter de plus. Je lui rappelle la position d'un Juif italien comme Paolo Mieli, qui a maintes fois déclaré qu'il appréciait beaucoup plus les actions concrètes de l'Eglise qui a sauvé de nombreuses vies, que le discours public hypothétique de dénonciation de la part du Pape. Neusner m'a regardé et m'a dit une fois de plus laconiquement: “Say little but do much”.
À la fin de ce week-end intense avec un vieux rabbin en promenade à Rome, avec son comportement un peu extravagant, davantage tendu vers l'observation que vers la parole, je peux dire que c'est justement le fait qu'il vienne de l'extérieur qui m'a aidé à nettoyer mes fenêtres et à voir quelque chose de si proche, comme le pape, avec une autre perspective. Et si au contraire je pense à mon ami Jacob-Giacomo, qui est maintenant en route pour New York, il me vient immédiatement à l'esprit ce que Jésus sait de l'intrépide apôtre Nathanaël, celui qui se moquait de lui quant à ses origines de Nazareth: "Voici un Israélite sans hypocrisie" (Jn 1:47).

© Copyright Il Foglio, 20 Janvier 20 (ma traduction)
http://paparatzinger3-blograffaella.blogspot.com/2010/01/il-papa-visto-dal-rabbino-jacob-neusner.html

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