Herméneutique de la réforme
Un billet du Père Scalese, qui met en évidence la véritable "clé de lecture" de ce Pontificat. (7/4/2010)
Issu de l'Echo des Barnabites, la revue de l'ordre des Clercs réguliers de Saint-Paul
Texte original ici: http://querculanus.blogspot.com/2010/04/ermeneutica-della-riforma.html
Ma traduction:
Mardi 6 avril 2010
«Herméneutique de la réforme"
Voici un article que j'ai publié dans le numéro 1 / 2010 de l'Echo Barnabites, (pages 12-13). Les lecteurs du blog sont familiers avec certaines thématiques. L'article sera une tentative de faire partager aux simples fidèles ces mêmes thématiques.
Nous entamons, avec cet article, une nouvelle rubrique de «l'Echo»: L'observatoire Ecclésial.
Le Grand Dictionnaire de la langue Tullio De Mauro donne du mot "observatoire", la définition suivante: «lieu ou bâtiment opportunément situé et équipé du matériel nécessaire pour l'observation scientifique des phénomènes naturels", et, par extension, "institution qui a pour tâche de relever l'évolution de phénomènes économiques et sociaux". Donc si je comprends bien l'intention de la direction de l'Écho, le rôle de la nouvelle rubrique devrait être de suivre l'évolution des phénomènes ecclésiaux.
Est-ce nécessaire? Eh bien, je pense que oui, parce que parfois, tout en participant activement à la vie de l'Église, nous ne percevons pas clairement ce qui se passe autour de nous et nous continuons à penser et à juger la réalité avec les modèles qui pouvaient être bons il y a vingt ans, mais qui ne sont plus adaptés pour comprendre la situation actuelle. Je me souviens qu'il y a trente ans - nous étions au début du pontificat de Jean-Paul II - moi, grand admirateur de Paul VI, j'avais un jour exprimé une certaine perplexité sur les orientations du nouveau Pape. Et Mgr Andrea Erba , qui était encore un simple prêtre, me dit, "Souviens-toi que l'Église avance". Sur le moment, la réponse ne m'avait pas tout à fait convaincu, mais maintenant, des années plus tard, je dois dire qu'il avait absolument raison: l'Église, sous la direction de l'Esprit, continue son voyage, il faudrait être myope pour ne pas remarquer l'évolution qui se produit en elle, comme du reste dans la société ou toute autre réalité.
J'ai l'impression que quelque chose de semblable se passe aujourd'hui. Il y a maintenant cinq ans que Benoît XVI a été élu, mais il semble que quelques-uns ne l'ont pas encore remarqué. Nombreux sont ceux qui continuent à "penser" l'Eglise comme s'il y avait encore Papa Wojtyla, et qui continuent à faire des comparaisons désagréables entre les deux papes et de juger le pape actuel sur le modèle de son prédécesseur. Mais ils oublient une vérité très simple: que Jean-Paul II est mort, et que celui qui conduit l'Eglise, c'est Benoît XVI. On peut être plus ou moins d'accord avec les décisions du Pontife régnant, mais on ne peut pas ignorer la marque que ses interventions impriment à l'Eglise. S'il est vrai que tout le monde (y compris le Pape) est le fils de son temps, il est également vrai que chacun (et a fortiori, le Pape) apporte une contribution à l'époque à laquelle il se trouve vivre et travailler.
Le propos de cet article n'est pas de faire des jugements de valeur, positifs ou négatifs; s'agissant d'un «observatoire», il devrait se limiter à observer la réalité. Chacun, ensuite, pour son propre compte, peut, s'il le souhaite, procéder à ses propres évaluations; mais pour que cela soit possible, il est nécessaire d'abord de prendre conscience de ce qui bouge autour de nous.
Ceci posé, on peut se demander quelles sont les lignes directrices, les orientations de fond de l'actuel pontificat: c'est exactement la question à laquelle nous allons essayer de donner une réponse avec les articles de la nouvelle rubrique, cette année. Comme c'est le premier numéro de "l'Écho 2010", nous nous demanderons s'il existe une clé de lecture, un critère unifiant qui nous permette de "lire" le pape Benoît XVI.
Ce n'est pas par hasard (pour un croyant, rien ne peut être considéré comme fortuit, mais tout est partie d'un plan divin précis) que le cardinal Joseph Ratzinger a été élu pape en 2005, quarantième anniversaire de la conclusion du Concile Vatican II. Eh bien, l'une des premières questions traitées par le nouveau Pontife fut précisément l'interprétation du Concile. Il l'a fait dans le discours mémorable à la Curie romaine, le 22 Décembre 2005 (huit mois après son élection). A cette occasion, le Pape Benoît XVI posa cette question: «Pourquoi la réception par le Concile dans de larges secteurs de l'Eglise a-t-elle été si difficile?". Question à laquelle il a donné la réponse suivante:
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"Eh bien, tout dépend de la juste interprétation du Concile ou - comme nous le dirions aujourd'hui - de sa juste herméneutique, de la juste clef de lecture et d'application. Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. L'une a causé de la confusion, l'autre, silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte des fruits. D'un côté, il existe une interprétation que je voudrais appeler "herméneutique de la discontinuité et de la rupture"; celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d'une partie de la théologie moderne. D'autre part, il y a l'"herméneutique de la réforme", du renouveau dans la continuité de l'unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné; c'est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l'unique sujet du Peuple de Dieu en marche."
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Il a poursuivi en expliquant les caractéristiques essentielles des deux «herméneutique» opposées et les divers fruits de leur application. Nous ne pouvons ici retracer toute l'argumentation de Papa Ratzinger; chacun, pour son propre compte peut lire le discours dans son intégralité sur le site du Vatican
Pour le moment, nous nous contenterons de relever quelques points:
1. Le discours du 22 Décembre 2005, tout en étant formellement un discours pour la présentation des vœux de Noël, comme premier discours important de son pontificat, a une valeur qui pourrait être qualifiée de «programmatique».
2. Le problème de l'interprétation correcte du Conseil, quarante ans après sa conclusion, est essentiel en ce moment critique dans la vie de l'Eglise. On ne peut plus continuer à répéter les mêmes stéréotypes éculés; il faut assumer une attitude critique, non pour mettre en question le Concile, mais pour se demander ce qu'il a vraiment dit, si son message a été bien compris, si ses enseignements ont été effectivement mis en œuvre et quels ont été les résultats.
3. Benoît XVI, dans le plein exercice de ses fonctions de Magistère, comme interprète authentique de Vatican II, indique l'interprétation correcte: ce qu'on nomme l'"herméneutique de la réforme", expliquée par lui comme l'herméneutique "du renouveau dans la continuité de l'unique sujet-Eglise". Désormais, les textes de Vatican II ne pourront plus être interprétés à la lumière d'un fantomatique esprit du Concile (dont on ne connaît pas bien les caractéristiques exactes ni qui en sont les gardiens), mais à la lumière de la tradition ininterrompue de l'Eglise. Non pas parce que dans cette tradition, il ne peut y avoir aucun développement, mais parce que le renouvellement doit être effectué dans la continuité de l'Eglise, qui demeure la même avant et après le Concile.
4. Personnellement je trouve dans cette "herméneutique de la continuité" la clé de lecture non seulement du Concile, mais de la papauté même de Benoît XVI. Ses décisions, ses gestes, ne peuvent être compris que dans cette lumière.
Beaucoup décrivent Papa Ratzinger comme un pape conservateur, nostalgique et restaurateur, cela parce qu'ils persistent à lui appliquer les modèles idéologiques qui divisent de manière expéditive les hommes entre progressistes et conservateurs. Mais en faisant cela, on risque de ne rien comprendre à la "politique" de Benoît XVI. Si au contraire nous nous efforçons de lire ses nombreuses interventions à la lumière du critère de "l'herméneutique de la réforme", voilà que tout acquiert un sens. Benoît XVI ne veut pas ramener en arrière les aiguilles de l'histoire, il veut tout simplement que l'Eglise se renouvelle en restant elle-même.
Relire ici un des premiers articles du père Scalese sur son blog, qui m'avait donné envie de le traduire: L'esprit du Concile
Et aussi son espèce de lettre ouverte à la FSPX : Et si on essayait de simplifier un peu la « question lefebvriste »?, où il qualifiait de magistral le discours à la Curie de 2005