Père Scalese: réponse argumentée...
mais sans invective, à une critique récurrente du Pape. Elle vient cette fois d'une icône du catholicisme libéral en Italie, Alberto Melloni (30/9/2009)
Alberto Melloni (**) , italien, spécialiste d'histoire des religions, interrogé au lendemain du retour du Pape de Tchéquie (mais surtout, selon moi, de la rencontre avec Berlusconi à Ciampino), ressasse dans la Stampa les éternels lieux communs sur l'intellectuel enfermé dans sa tour d'ivoire, plus apte à manier des concepts qu'à comprendre les gens, et finalement étroit d'esprit et mesquin..
Le père Scalese lui renvoie plaisamment la balle (à lui, et idéalement, à ses semblables, qui sévissent régulièrement dans la presse), et livre en passant une réflexion surprenante mais pertinente sur les racines chrétiennes de l'Europe... et sur la vacuité de la commémoration de la chute du mur. Comme quoi une bonne défense peut aussi être critique constructive.
-> L'article de Melloni
-> La réponse du Père Scalese
-> Notes explicatives
1. L'article d'Alberto Melloni, dans La Stampa
(version PDF en italien ici: melloni.pdf [86 KB]
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"Benoît XVI ne voit pas des gens, il voit des perpectives"
La Stampa, 27/9/2009
>>> Lire ma traduction: Melloni dans la Stampa...
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2. La réponse du Père Scalese
Mardi 29 Septembre 29
Alberto Melloni sur Benoît XVI
http://querculanus.blogspot.com/ (ma traduction)
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Avant-hier, Alberto Melloni a accordé une brève interviewe à La Stampa, au sujet du Pape. Quatre questions seulement.
Avec la première réponse (la question portait sur le message envoyé par Benoît XVI à Prague), on pourrait même être d'accord. Selon Melloni, à Prague, Papa Ratzinger a rouvert la question depuis longtemps dépassée, des racines chrétiennes de l'Europe. Question dépassée, parce que Jean-Paul II l'avait déjà posée, sans succès. "Aujourd'hui - dit Melloni - Ratzinger y revient par habitude (inertia)".
Peut-être a t'il raison.
Personnellement, je me demande quelle peut être l'utilité de ce rappel des racines chrétiennes de l'Europe.
Que l'Europe ait des racines chrétiennes, c'est un fait que personne ne peut nier: il suffit de regarder autour de soi, il suffit d'étudier l'histoire, il suffit de connaître la culture européenne: on ne peut pas faire semblant de ne pas voir que l'Europe est l'enfant du christianisme [ndt: c'est une évidence pour nous, mais malheureusement pas pour tout le monde, comme on ne peut que le contester en consultant les medias et ... aussi en regardant autour de nous... c'est pourquoi il n'est peut-être pas si inutile de la rappeler]. Mais le problème, du moins pour nous, chrétiens, n'est pas tant de reconnaître un fait historique, le problème est que cette Europe, aux racines chrétiennes, n'est plus chrétienne. C'est le problème dont, comme chrétiens, nous devons être conscients. L'unique préoccupation d'un chrétien devrait être, non pas que quelque part il est écrit que l'Europe a des racines (judéo?) chrétiennes, mais que l'Europe est réellement chrétienne. Toutefois, on doit s'interroger: le rappel actuel à l'Europe totalement sécularisée qu'elle a des racines chrétiennes, est-il suffisant pour qu'elle redevienne chrétienne?
Pour être honnête, j'avais oublié que Jean-Paul II s'était rendu par trois fois à Prague. Eh bien, quel a été le résultat de ces trois visites du Pape, qui ont rempli les places, du grand communicateur qui entraînait les foules, du leader charismatique, aimé des jeunes? Que Prague est apparemment une des villes les plus impies d'Europe. Si Wojtyla, avec son charisme, n'a pas réussi, Joseph Ratzinger, avec son style discret, le pourra t'il? Nous verrons. Pour l'instant, permettez-moi de soulever quelques doutes.
Pourquoi?
Comme je l'ai écrit en d'autres occasions, pour moi, il n'y a pas de remède à l'apostasie. C'est un péché contre l'Esprit Saint ("contester la vérité connue"), et nous savons qu'il n'y a pas de pardon pour ces péchés. Il n'y a plus qu'à attendre que l'Europe finisse d'elle-même et qu'une nouvelle Europe émerge de ses cendres. À l'heure actuelle, ce qui est important, c'est que l'Eglise - le petit troupeau, "le reste d'Israël» - maintienne la flamme vive, garde la foi; de sorte que le moment venu, il puisse servir de semence pour la renaissance. Mais je pense que Ratzinger n'est pas étranger à de telles pensées. Seulement, en tant que pape, il ne peut pas tellement s'en faire l'interprète, car elles sont politiquement incorrectes.
Comme vous le voyez, je n'exclus pas que, dans certains cas, on puisse discuter ce que le pape dit ou fait.
Et même, à titre personnel, je proposerai une dernière remarque à la suite de la visite de Benoît XVI à la République tchèque.
Je comprends que cette année marque le vingtième anniversaire de la chute du mur, et donc que les commémorations deviennent presque inévitables, mais je pose la question: est-il vraiment nécessaire de continuer à parler d'un épisode qui appartient au passé? Quel sens cela a t'il de condamner le communisme aujourd'hui? Le communisme, il fallait le condamner quand il existait, aujourd'hui, il est mort et enterré. C'est trop facile de mettre l'athéisme et l'indifférence actuelle sur le dos d'un régime qui n'existe plus depuis vingt ans. Le système dans lequel nous vivons aujourd'hui ne serait-il pas un peu responsable? J'ai l'impression que le passé devient souvent une excuse pour ne pas parler du présent: nous continuons à condamner le nazisme et le communisme, mais il nous est difficile d'exprimer une opinion critique sur le présent, comme si nous vivions dans le meilleur des mondes possibles. Souvent, nous ne réalisons pas (ou faisons semblant de ne pas nous en rendre compte) les limites de ce régime et nous continuons à déplorer des régimes que l'histoire a déjà définitivement jugés. Laissez-moi vous donner un exemple: pourquoi l'Eglise ne se prononce t'elle pas clairement sur le traité de Lisbonne (en effet, il paraît que les évêques irlandais ont appelé leurs partisans à voter pour sa ratification ...). On dira que ce n'est pas le devoir de l'Eglise de faire de la politique. Eh bien, si c'est de la politique de s'occuper du présent, c'est aussi de la politique d'exprimer des jugements sur le passé ; si, au contraire, nous pouvons exprimer des jugements moraux sur le passé, nous pouvons le faire aussi avec le présent.
Si, comme je l'ai dit, sur la première réponse on pouvait rejoindre Melloni, sur le reste de l'interview ne ne peut en aucune façon être d'accord avec lui. L'opinion qu'il exprime sur Benoît XVI, tout en étant peu généreuse et agressive, est totalement bancale. "Le pape est un théologien, il suit strictement sa ligne de pensée». Cela veut dire: Ratzinger est un intellectuel, qui vit hors du monde, un prisonnier de ses pensées, incapable de saisir la réalité. «Dans la situation italienne Ratzinger a une vision très étroite, il ne personnalise pas le nœud-Italie. Chose en soi possible pour un étranger, mais ce n'est pas la raison, selon Melloni, la vraie raison est son approche intellectualiste: «Il voit intellectuellement un scénario dans lequel s'agitent des cultures, des tensions. Il ne voit pas des gens, mais des perspectives.
Je me demande de qui parle Melloni, de Benoît XVI, ou de lui-même. Oui, parce que ces mots sont parfaitement adaptés à ceux qui les prononcent.
Melloni est l'intellectuel qui vit hors du monde, applique ses schémas de pensée à la réalité qui l'entoure, est incapable de voir des personnes (Papa Ratzinger est lui aussi une personne), mais seulement des points de vue. Melloni ne le dit pas explicitement, mais c'est ce qu'il sous-entend: pour lui, Benoît XVI est un idéologue. Mais il ne réalise pas que si dans toute cette histoire , il y a un idéologue, c'est justement lui.
D'ailleurs, je pense qu'il n'est même pas cohérent dans sa description expéditive de Papa Ratzinger: d'un côté, il le considère comme un intellectuel qui vit dans les nuages, et de l'autre, un opportuniste cynique, "Son raisonnement est simple: "Berlusconi est le Premier, il écoute nos demandes, il n'y a donc aucune raison de ne pas bien le traiter". Pour le reste, ce sont des problèmes doctrinaux.... Pour le gouvernement, Ratzinger est un client complexe, parce que c'est un négociateur qui ne recule pas dans ses exigences". Je ne pense pas qu'il s'agisse là de la description exacte d'un intellectuel qui vit enfermé dans ses abstractions.
Outre le fait que je ne vois pas vraiment Papa Ratzinger dans le rôle du "négociateur" insatiable, j'ai l'impression que sur ce point, Melloni, en bon idéologue, ne comprends rien à Benoît XVI. Il semblerait que la seule préoccupation du Pape soit de «défendre les principes non-négociables. Une fois encore, donc, un homme qui se nourrit d'abstractions et réduit le christianisme à une question de «principes». Il suffirait d'avoir lu certains écrits du cardinal Ratzinger, ou tout simplement écouter des discours de Benoît XVI, pour comprendre que pour lui, le christianisme n'est pas une question de principe, mais il est, avant tout, l'expérience, il est la vie.
Mais comment un homme aveuglé par l'idéologie, prisonnier de ses schémas de pensée, pourrait-il comprendre certaines nuances ?
C'est vrai, Melloni ne voit pas des gens, mais des perspectives.
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Notes explicatives
Pour situer (très sommairement) les protagonistes
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(*) Pour faire court, Gianfranco Fini est un homme politique italien venu du post-fascisme, et qui, croyant avoir beaucoup à se faire pardonner, n'en finit pas, par opportunisme politique, de renier ses convictions de jeunesse - sans parler de sa vie sentimentale agitée.
Ex-ministre du précédent gouvernement de Berlusconi, il est actuellement président de la chambre des députés.
Depuis lors, il ne cesse de démarquer de son ancien allié, par ses positions sur l'immigration, et sur toutes les questions de bio-éthique.
Par exemple, Henri Tincq, dans un article au vitriol contre Berlusconi daté du début du mois (dont les informations ont été partiellement démenties par la rencontre de Samedi sur le tarmac de Fiumicino), nous informe que "La Chambre des députés italienne doit examiner le projet de loi sur le «testament biologique» (*), déjà adopté par le Sénat, qui interdit toute diminution de l'hydratation et de l'alimentation des mourants". Or, nous raconte Tincq, des voix se font entendre en Italie, notamment celle du président de l'Assemblée, Gianfranco Fini, pour que ce texte, qui va dans le sens de la lutte contre l'euthanasie souhaitée par l'Eglise, soit modifié dans un esprit plus laïque".
(**) Alberto Melloni: peu connu en France, mais semble-t'il star en Italie; intellectuel italien consulté par les grands medias comme un oracle, arbitre de morale, d'orthodoxie catholique (anti-Ratzinger, évidemment), et "spécialiste de l'histoire des religions", en particuler du Concile Vatican II, où j'ai cru comprendre que (bien entendu encore!) il s'oppose à l'herméneutique de la continuité de Benoît XVI, disposant d'une chronique dans Il Corriere della Sera où il polémique régulièrement avec l'Eglise, par exemple sur la béatification de Pie XII, ou la vénération de Padre Pio.
Il n'est pas difficile de voir de quel bord il est, en lisant l'article. Pas difficile non plus de trouver des "Melloni" français (je laisse mes lecteurs imaginer des noms), peut-être ne plus médiocre... et donc de transposer ses propos ici. Sauf qu'évidemment, le siège de la papauté est à Rome, et pas à Paris, et que l'Eglise interfère forcément beaucoup moins sur la politique française (en fait, pas du tout!) que sur l'italienne. Au grand dam de ses contempteurs transalpins.