Tribune: Les Légionnaires du Christ
Un texte envoyé par un lecteur, Philippe N., pour information (11/4/2010)
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Le 8 avril 2010
Diverses circonstances font qu’à partir du milieu des années 90, j’ai été amené à m’intéresser aux Légionnaires du Christ, et à les rencontrer.
Mais si leur orthodoxie doctrinale, leur attachement au Saint-Père et leur jeunesse n’étaient pas pour me déplaire, je dois reconnaitre que le charisme de la congrégation ne m’apparaissait pas clairement et que la figure même du fondateur ne me semblait attachante ni humainement ni spirituellement et que, dans le langage même des Légionnaires, un terme comme «professionnalisme», associé à l’évangélisation, me semblait davantage se rapporter au lexique de l’entreprise qu’à celui de la Tradition de l’Eglise.
J‘avais aussi observé – certes, ça n’est pas propre aux légionnaires, qu’il était absolument impossible de formuler des critiques portant par exemple sur les activités apostoliques, comme si la certitude d’être, pour tout, dans le vrai, empêchait les LC d’être à l’écoute du catho de base et du père de famille que j’étais.
A la fin des années 1990, en lisant la presse, je fus troublé par l’évocation de très graves soupçons qui pesaient sur Maciel. Mon trouble s’est accentué en 2005 lorsqu’un communiqué de la Secrétairerie d’Etat - 20 mai 2005 - indiqua que le père Maciel ne serait pas l’objet d’un procès canonique. Or, ce communiqué, au contenu insolite car le sujet n’était pas de la compétence des bureaux du cardinal Sodano, intervenait après que Mgr Scicluna, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) eût auditionné au Mexique, en avril 2005, 32 plaignants contre Maciel.
Puis, le 19 mai 2006, Joseph Ratzinger devenu pape, une décision de Rome demandait à Maciel, alors âgé de 85 ans, de «renoncer à tout ministère public» et de «vivre une vie retirée dans la prière et la pénitence»; il était préconisé que le Pape avait approuvé le choix de la CDF de renoncer à un procès canonique contre ce prêtre, du fait de son âge et de sa santé.
Il n’y avait à partir de ce moment là, plus de doutes possibles sur la réalité des faits reprochés et leur gravité.
La réaction quasi immédiate de la Légion du Christ fut celle-ci: «le P.Maciel a reçu tout au long de sa vie un nombre important d’accusations (...) il a toujours affirmé son innocence, et suivant l’exemple de Jésus-Christ, a toujours fait le choix de ne se défendre d’aucune manière(...) avec l’esprit d’obéissance à l’Eglise qui l’a toujours caractérisé, il a accepté ce communiqué avec foi , avec une sérénité totale, et une conscience tranquille sachant qu’il s’agit d’une nouvelle croix que Dieu, le Père de Miséricorde, a permis qu’il endure(...)»
Il fallait donc comprendre que, du point de vue de la LC, Maciel était innocent, configuré au Christ par une décision pontificale, qui, dans cette logique de victime, ne pouvait être qu’inique. Mais bien sûr, il n’était pas possible pour les LC si obéissants et si dévoués au Pape, de contester ouvertement un acte aussi grave.
Mais en ces jours de printemps 2006, la désobéissance de la direction de la LC aurait du apparaître de façon évidente pour tous les observateurs de la vie de l’Eglise. La Légion faisait, coûte que coûte, passer son attachement au fondateur avant la vérité et avant son attachement au Pape et personne ne fît état de cette attitude étonnante. Comme si de rien n’était, la « bonne presse » catholique continuait de relayer, dans ses petites annonces, les propositions de camps et formations diverses, alors même que la direction générale de la Lc ne remettait rien en cause de ce qui concernait celui qu’elle continuait d’appeler « nuestro padre ».
Et force est de constater, aujourd’hui, que malgré les événements intervenus depuis 2006, révélations publiques relatives aux liaisons de Maciel et enquête du Saint-Siège commencée en 2009, la « tête » de la LC est déterminée à ne pas remettre en cause les charismes de cette congrégation, et continue à considérer que le père Maciel, malgré ses crimes, a été «d'une façon bien mystérieuse», l’instrument de la Providence. C’est donc animée de ces étranges certitudes que la haute hiérarchie de la LC, celle là même qui a méprisé les victimes de Maciel jusqu’à une date très récente, et a cultivé à dessein une règle du secret permettant de couvrir toutes les dérives, s’apprête aujourd'hui à ouvrir un nouveau chapitre de son histoire sans se remettre en cause sur le fond.
C’est ainsi que dans 2 documents publiés le 25 mars dernier, (communiqué de la LC - lettre du père Corcuera aux membres du Regnum Christi) où la LC évoque notamment «les actions condamnables du père Maciel», il apparait:qu’aucune explication n’est fournie quant au retard mis à accréditer les motivations de la décision de 2006, si ce n’est qu’il était «pensé et espéré que les accusations présentées contre le fondateur étaient fausses et sans fondements» et qu’elles ne correspondaient pas à l’expérience que les légionnaires avaient «de sa personne et de son œuvre» et que même «cela a été une découverte soudaine». Ainsi, il faut en déduire que la direction de la Légion a considéré, jusqu’à l’automne 2008 au moins, fausses et sans fondements les accusations sur lesquelles fût prise la décision de 2006 et qui résultaient pourtant d’une enquête diligentée par le cardinal Ratzinger, alors préfet de la CDF.que, même si le fondateur ne peut être considéré comme un modèle de vie chrétienne ou sacerdotale, il a toutefois été choisi par Dieu comme instrument pour fonder la Légion du Christ et le mouvement Regnum Christi.
que la Légion, sans attendre les décisions à venir du saint- Siège, s’affirme prête à «prendre les mesures nécessaires pour consolider les fondements, la formation et la vie quotidienne des Légionnaires du Christ et des membres du RC». Cela montre bien qu’elle n’est pas disposée à remettre en cause les principes fondamentaux dont le respect a justement abouti à la situation actuelle. Pas disposée non plus à attendre les conclusions et orientations de Rome pour «relancer son travail avec ardeur pour la mission que le Seigneur a confié à la LC au service de l’Eglise,» alors même que le simple bons sens suggére que Rome vérifie les conditions d’exécution de ce travail et s’assure qu’il s’agit bien en vérité du service de l’Eglise.
Pour conclure, les responsables de la LC ont été mis devant l’obligation de reconnaitre officiellement, incomplètement, peu à peu, mais très tardivement, sans toutefois les qualifier, les turpitudes multiples et anciennes, de celui qu’ils continuent de présenter comme un instrument providentiel. A ce stade, et compte-tenu de la proximité qu’ont eue les dirigeants actuels de la LC avec Marcial Maciel, il faut s’interroger sur la sincérité de leurs affirmations pour ce qui concerne leur ignorance des faits ou s’interroger - s’ils ne savaient vraiment rien - sur leur aptitude à gouverner et donc à poursuivre leur mandat.
Dans les deux cas, leur départ apparait comme indispensable même s’il n’est qu’un simple préalable à une opération complexe, délicate et dangereuse pour ceux (le St Père et ses collaborateurs) qui auront à la mener.
- complexe, de par la multiplicité de ses aspects:
théologiques: un pervers peut-il être choisi par Dieu pour donner un charisme spécifique à son Eglise? Humains: quid des drames qui peuvent se jouer dans l’âme de ceux qui, droitement , ont choisi d’entrer dans la Légion du Christ? Economiques: la Légion du Christ serait à la tête d’une fortune de 25 milliards d’euros. ecclésiaux: des missions de formation du clergé ont été confiés à la Légion du Christ !.
- délicate de par la nécessité de disposer de structures permettant d’accueillir ceux qui voudront quitter la LC et délicate aussi par le risque de voir mis en cause une partie de l’ancien entourage de Jean-Paul II. En effet, difficile d’imaginer comment une âme aussi sainte que celle de Jean Paul II ait pu être trompée à un très haut degré par le P.Maciel sans l’entregent de personnages qui pouvaient accéder facilement et opportunément au saint père.
- dangereuse car tout montre que la direction générale de la LC, muette sur sa désobéissance de facto de mai 2006, ne se remet absolument pas en cause, et n’envisage pas de bouleversements fondamentaux ni à la tête, ni dans les principes de cette œuvre. La LC poursuit d’ailleurs, comme si de rien n’était, à organiser des formations partout où cela lui est possible, à s’implanter dans les diocèses qui la reçoivent, à recevoir comme elle sait faire, c’est-à-dire parfaitement, notamment à Rome, les évêques nouvellement nommés, et toutes les autorités de passage - grâce aux multiples moyens dont elle dispose qui sont colossaux et fort séduisants, il est vrai.
Dans une telle atmosphère, cette direction pourrait bien refuser des décisions romaines drastiques au motif qu’elle se charge elle-même des évolutions institutionnelles utiles, comme l’ écrit le P. Corcuera dans la lettre du 25 mars dernier évoquée ci-dessus.
On ne peut donc pas écarter le risque, dans les mois à venir, d’un refus d’obéissance caractérisé d’une congrégation dont la genèse, l’histoire, et la conception même de la liberté spirituelle, sont si viciées que sa dissolution ne semblerait pas anormale en un temps de purification de notre Sainte Eglise.
Philippe Nicolardot