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"Un singulier prophète de l'espérance chrétienne", a dit Benoît XVI. L'hommage de JL Restàn, traduit par Carlota (14/4/2012)

-> Article original en espagnol:
http://www.paginasdigital.es/

     



Le Soleil d’Indochine
José Luis Restán
22/03/2012
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La perte de mémoire est l’un des plus grands péchés du peuple chrétien et l’une des clefs de sa faiblesse en ce moment historique. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’oublier (l’oubli est synonyme de banalité et d’inconscience) les merveilles que Dieu fait dans notre histoire : non pas pour amasser de beaux souvenirs, mais parce que cette mémoire est le fondement de la certitude qui nous permet d’affronter les circonstances quelles que soient leur dureté. C’est une chose qu’Israël a du apprendre dans la douleur tout au long de son aventure, et nous suivons en cela.

Dix ans ce n’est pas beaucoup, mais dans l’actuel marasme virtuel cela paraît une éternité. C’était en 2002 quand le cardinal Van Thuan nous quittait prématurément. Quatre auparavant il avait assumé dans la joie la charge que lui avait faite Jean-Paul II de présider le Conseil Pontifical Justice et Paix. Qui meilleur que lui, témoin vivant du goulag, qui avait pardonné aux bourreaux, les mêmes devant lesquels il ne s’était jamais incliné ? Mais dans le fond, jamais il ne s’est adapté à son séjour romain, il a toujours voulu retourner dans son pays bien aimé. Personne n’a fait un film sur ce Vietnamien dont l’histoire passionnante émeut toute personne qui s’est approché de lui : fils d’une famille catholique avec plus de trois cents ans de croyance derrière les épaules (*), qui fournit à la Cour de grands fonctionnaires et intellectuels, jeune archevêque de l’ancienne capitale du Sud, Saigon, dont la sentence d’emprisonnement fut décrétée par les révolutionnaires avant même que tombe la ville ; prisonnier en mesure d’isolement, témoin infatigable, ami de ses geôliers, sagace et astucieux pour profiter de la faille la plus petite dans les terribles camps d’internement, finalement exilé de sa patrie et accueilli à Rome.

La pourpre cardinalice lui est arrivée comme un hommage d’un autre homme qui connaissait bien le régime qui l’avait torturé, Karol Wojtyla. Le même qui l’avait rencontré dans un couloir et lui avait lancé : « Savez-vous qui va prêcher mes exercices spirituels cette année, c’est un Vietnamien, peut-être que vous le connaissez ? » Notre humour n’est pas couramment familier aux Orientaux, mais Van Thuan avait compris : « Saint Père, que puis-je dire ? J’ai passé ma vie en prison ». Et le Pape lui a souri : « Parlez-nous de cela, parlez-nous de la façon dont l’espérance vous a soutenu ». Et de cet ordre est né un très beau livre écrit à cœur ouvert, dans lequel nous avons découvert ce que la foi dans le Christ réalise dans l’âme qui l’accueille sans réserves. Un torrent de raison et d’amour, une intelligence unique, une liberté indomptable qui étonnent tout le monde et qui avait rendu obligatoire le changement systématique de ses gardiens pour qu’ils ne restassent pas captivés par le prisonnier-évêque. La description de la nuit durant laquelle, ayant été dépouillé de tout, Van Thuan parcourt son pays sur le chemin de son cruel internement, est impressionnante. Là voyant tomber par terre ses projets, il a du prendre partie entre le désespoir et la confiance en un Dieu qui ne lui demandait plus de grandes constructions, mais seulement son cœur. C'est-à-dire en effet qu’il s’est transformé en soutien tant d’hommes qui se sont trouvés comme lui au milieu de la désolation.

Dans cette nuit terrifiante se rassemble la véritable histoire de François-Xavier Van Thuan, celle qui ces jours-ci a porté une délégation vaticane jusqu’aux lieux où il a vécu, pour solliciter de multiples témoignages qui complètent le nécessaire scrutinium (ndt thème pour l’enquête) pour sa cause de canonisation. La mémoire de ce géant humble et souriant nous amène à prendre conscience de l’épopée des catholiques du Vietnam, qui aujourd’hui encore luttent pour que leur pleine citoyenneté soit reconnue. Aujourd’hui encore, alors que le gouvernement communiste dialogue avec le Saint Siège, abondent les attaques, les restrictions, les contrôles, même les détentions de prêtres et de laïcs qui se montrent libres dans leur implication dans la vie civile. Mais la communauté catholique continue à grandir.
Tandis que l’Église mère fouille les stations de la vie de son fils né de la bonne terre d’Indochine, nous pouvons tirer beaucoup de profit de son témoignage. Lui, il a vécu la familiarité avec Christ, jusqu’à s’en laisser totalement modeler, il a été témoin du changement humain que porte la foi là où elle a été apportée et portée, sans que l’amertume et la rancœur n’aient jamais réussi à s’emparer de lui. Il a vécu l’espérance qui ne trompe pas au milieu des plus horribles circonstances, non pas comme une échappatoire spirituelle, mais comme une forme de l’esprit et du cœur. Et c’est ainsi qu’il a aidé à forger un peuple (qui ne cesse d’en faire souvenir) et il nous a appris que la foi n’enlève rien mais qu’elle donne tout.

     



Notes


a) L’évangélisation de l’Indochine commença au milieu du XVIème siècle avec des missionnaires portugais et espagnols. Un siècle plus tard, il y avait plus de 80 000 catholiques et les ordinations de nombreux prêtres autochtones. Les missionnaires français vont arriver surtout à partir du règne de Louis XIV et n’oublions pas c’est le Jésuite avignonnais (à l’époque état pontifical) Alexandre de Rhodes (1591-1660), qui améliora l’alphabet latin adapté au vietnamien par ses prédécesseurs. La péninsule ayant été sous domination chinoise pendant près d’un millénaire, elle avait jusque là une écriture avec des idéogrammes. Le Vietnam est toujours aujourd’hui l’un des rares asiatiques à avoir une écriture romanisée (avec les Philippines).

Par ailleurs au XIXème siècle, sous Napoléon III, c’est l’exécution de prêtres et notamment du vicaire apostolique du Tonkin Central, un Espagnol, le Père José María Díaz Sanjurjo (21 mai 1857) qui provoqua une « expédition punitive » française et le début de l’Indochine française. Ce qui est aujourd’hui quasiment oublié c’est que l’Espagne y participa avec des effectifs conséquents, et notamment lors de la prise de Saigon. Les forces espagnoles venaient essentiellement des Philippines avec des officiers et des sous-officiers d’origine européenne et des troupes indigènes aguerries et adaptées aux conditions climatiques. Les Espagnols habitués de la zone furent particulièrement efficaces même si l’histoire officielle française les a un peu oubliés ! Il est vrai que les autorités espagnoles de Manille s’étaient montrées réticentes à cette intervention, imposée par Madrid pour des raisons plus politiques de bon voisinage entre le couple impérial français et la Reine Isabelle d’Espagne, que pour acquérir de nouvelles capitaineries ultramarines. Les militaires des Philippines considéraient ne pas devoir disperser leurs forces alors qu’ils se battaient déjà contre les pirates à l’activité endémique au Nord de l’archipel et subissaient sans cesse les attaques des musulmans de l’île de Jolo, au sud. Les troupes indigènes philippines s’embarquèrent néanmoins, pas forcément mécontentes d’aller défendre leurs frères catholiques de Cochinchine qui subissaient une domination « chinoise », des Chinois pas très appréciés non plus par les Philippins.

b) François-Xavier Nguyên Van Thuân (1928-2002), est un cardinal vietnamien.
Aîné d’une famille de huit enfants, il est ordonné prêtre en 1953 . Il continue ses études à Rome.
En 1975, il est nommé par le Saint-Siège archevêque coadjuteur de l'archidiocèse de Saïgon. Sa nomination est refusée par le nouveau pouvoir communiste qui, le 15 août 1975, le convoque au palais de l’indépendance avant de le placer en résidence surveillée, puis de l'interner pendant plus de treize ans : en 1976, au cachot de la prison de Phu Khanh, puis au camp de rééducation de Vinh Phu au Nord Viêt Nam, dans la résidence surveillée dans la petite chrétienté de Giang Xa, et enfin dans les locaux de la Sûreté de Hanoï. Lorsque son internement prend fin le 21 novembre 1988, il est assigné à résidence dans les bâtiments de l’archevêché de Hanoï. C'est durant ces années d'emprisonnement qu'il écrit Sur le chemin de l'Espérance (cf. http://www.famillechretienne.fr/ ) , le testament spirituel pour tous les catholiques du Vietnam et de l'étranger.
Lors d’un séjour à Rome en septembre 1991, il apprend que le gouvernement ne souhaite pas son retour au pays.
En 1994, Jean-Paul II le nomme vice-président du Conseil pontifical « Justice et Paix », dont il devient président en 1998.
En 2001, il est créé cardinal par Jean-Paul II.
Le cardinal Van Thuan s’éteint le 16 septembre 2002 à l’hôpital romain Pie XI des suites d’un cancer.
Le 18 avril 2007, Mgr Giampaolo Crepaldi, secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix, a annoncé l’ouverture prochaine de la cause de béatification du cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân. (d'après wikipedia)

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Le 17 septembre 2007, pour le Ve anniversaire de la mort du cardinal, Benoît XVI prononçait devant les membres du Conseil Pontifical Justice et Paix un discours, où il saluait "la noble figure de ce fidèle serviteur du Seigneur [..] encore vivante dans l'esprit et dans le cœur de ceux qui l'ont connu"; Et il concluait: "j'ai accueilli avec une joie profonde la nouvelle selon laquelle la Cause de béatification de ce singulier prophète de l'espérance chrétienne a été ouverte et, alors que nous confions au Seigneur son âme élue, nous prions pour que son exemple constitue pour nous un enseignement précieux".
(Texte ici).